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LE DOCTEUR. La hausse a cessé, et la baisse commence; je crois qu'elle continuera. La première alarme est d'abord très-vive parmi nous; mais on ne tarde pas à se remettre. Quand on voit une denrée monter rapidement, on se figure qu'elle doit manquer tout-à-coup et chaque famille veut faire sa provision. Ce concours, cette inquiétude publique, servent merveilleusement les spéculateurs. Plus la denrée est recherchée, plus on la resserre, et plus on élève son prix ; mais quand les petites provisions partielles sont faites, quand chacun se croit en sûreté pour l'avenir, alors le calme renaît; plus de demandes, plus de vente; après avoir inquiété les autres, le spéculateur éprouve lui-même de l'inquiétude, et finit par offrir ce qu'il cachait auparavant.

LA BELLE MARCHANDE. Vous parlez d'or, cher docteur, vous me convertirez, je le vois bien; mais vous ne convertirez pas aussi aisément ma laitière, qui prend tous les jours sa tasse de café.

LE DOCTEUR. La laitière sera peut-être plus aisée à convertir qu'une autre. Si Neptune est contre nous, Bacchus nous prodigue ses faveurs; et quel est le Dieu qui vaut mieux pour une ménagère de campagne, de celui qui préside à l'eau, ou de celui qui règne sur les vendanges? J'ai parcouru, il y a trois jours, un village voisin, pour y traiter quelques fièvres printannières. On ne songeait pas seulement a la cherté du sucre. Dans nos villages, il n'y a souvent pas trois onces de sucre existantes à la fois; nos ha

bitans de la campagne sont plus sages que nous. Ils ne connaissent le sucre que comme remède; et vous savez comment ils se portent. J'espère que votre laitière fera comme eux, et tout ira bien. Adieu, ma belle dame.

LES MISÈRES DE LA VIE HUMAINE.

QUEL beau texte que les misères de la vie humaine! quelle source féconde de romances et d'élégies! Quel philosophe, quel naturaliste, quel poète un peu sentimental et mélancolique n'a pas exhalé quelquefois ses plaintes douloureuses sur les infirmités qui accablent la triste humanité!

Que l'homme est bien durant sa vie
Un parfait miroir de douleur!
Dès qu'il respire, il pleure, il crie,
Et semble prévoir ses malheurs.

Avant que J. B. Rousseau fit ces vers, Job, le plus ancien des poètes élégiaques, avait dit : Homo natus de muliere, brevi vivens tempore, repletus multis miseriis. « L'homme né de la femme, n'a que peu de temps à vivre, et ses jours sont remplis de misères. »

Salomon a parlé comme Job, et chez les Grecs, Héraclite, attristé de sa lamentable destinée, se plaisait à épuiser la source de ses glandes lacrymales, pour pleurer son malheur. Young a ressuscité Héraclite, Hervey a marché sur les pas d'Young,

Mais Job, Salomon, Héraclite, Young et Hervey ont pris la chose au sérieux; ils n'ont dessiné le tableau des misères humaines qu'à grands traits, Je connais un Anglais qui a fait

mieux. James Béresfort est entré dans les moindres détails; il a recueilli jusqu'à nos plus légers soupirs. Il vous suit à la ville, à la campagne, au théâtre, en société, dans les académies, à la table, au lit, à la promenade, au coin du feu, et si vous avez envie de rire, il vous arrête toutà-coup, et vous montre tout près de vous une tribulation à laquelle vous ne sauriez échapper.

Le soleil brillant de tout son éclat printanier vous promet-il un air serein, un ciel pur, des routes embaumées, des bosquets ombragés de feuillages et de fleurs ; vous partez pour la campagne. Vous vous bercez d'avance dans mille rêves délicieux; écoutez James Béresfort, et voyez ce qui vous attend. Vous êtes arrivé à votre palais champêtre; un horizon trompeur vous promet la plus belle promenade, vous sortez; mais on a oublié d'applanir les chemins, d'écarter les pierres, de combler les ornières; vous tournez la tête pour dire un mot à une dame jeune, aimable, spirituelle; votre pied heurte contre un caillou, et votre cor au pied vous fait sentir des douleurs intolérables. Vous continuez votre chemin, un ruisseau qui coule d'une prairie voisine le coupe dans sa largeur, et pour le passer, vous n'avez que quelques pierres rondes ou aiguës, placées à de longues distances, et qu'il faut enjamber l'une après l'autre. Les dames tremblent sur ce pont périlleux; vous leur donnez la main, elles arrivent jusqu'à la dernière pierre; leur pied tourne, et les voilà dans l'eau jusqu'à la ceinture. La chaleur

et le soleil réparent cet accident; vous oubliez d'abord cette première tribulation, et tout va bien pendant quelque temps. Mais tout à coup le ciel se couvre, un nuage épais s'avance au couchant, et fait entendre au loin des coups de tonnerre suivis et prolongés; vous vous hâtez de regagner votre habitation; le vent s'élève, roule la poussière en tourbillons, vous en remplit les yeux, et à peine pouvez-vous faire un pas; déjà de larges gouttes d'eau qui tombent sur votre chapeau, vous annoncent de nouvelles misères. L'orage s'avance, les éclairs vous éblouissent, un premier coup de tonnerre fait crever le nuage, et voilà des torrens de pluie qui menacent de vous submerger. Vous fuyez; mais il faut monter une colline, dont le terrein gras, imbibé par la pluie, vous oblige à reculer autant que vous avancez; un de vos souliers s'enfonce dans la boue; vous voulez le retirer, votre pied s'y engage de même, et vous restez implanté dans le terrein fangeux. Enfin, à force d'efforts, vous parvenez à vous retirer; mais la nuit vous surprend, vous vous trompez de chemin; vous marchez à l'aventure; vous arrivez à un village, un gros chien de basse-cour s'élance sur vous, ou se contente de vous poursuivre en aboyant, tenant sa gueule sur vos mollets, tout prêt à les happer. Après tant de fatigues, vous arrivez chez vous, trempé, essoufflé, mourant de besoin, n'aspirant qu'à changer d'habits, et à prendre du repos. Mais vos domestiques ont oublié, pendant l'orage,

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