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de l'intérieur de l'ouvrage ; j'en ferais comme un sanctuaire consacré au mérite et à la vertu des femmes. On y trouverait les traits les plus célèbres que l'histoire ait consacrés à leur mémoire; les leçons de vertu publiées dans leurs propres ouvrages et dans ceux des philosophes les plus sensibles et les plus sages. D'utiles préceptes de madame de Lambert ou des œuvres de Fénélon; des lettres pleines de bon sens, de raison et d'esprit de madame de Sévigné; quelques contes même tirés des livres de madame Elie de Beaumont, etc., formeraient ma galerie principale. Je n'en bannirais ni les grâces, ni les muses; mais je n'admettrais que les grâces toujours décentes, et les muses toujours chastes. Le bruit des soupirs languissans et des gémissemens plaintifs, ne s'y ferait jamais entendre. On n'y chanterait que des hymnes purs et des vers dignes d'Appollon. L'importun calembourg, le madrigal niais, et les fadeurs sentimentales, en seraient toujours exclus. Ce choix déplairait aux Pindares des Lycées, aux Anacréons du Vaudeville, aux jeunes et légères déités des cercles frivoles; mais il plairait aux épouses vertueuses,' aux tendres mères de famille, et à quelques femmes dont je pourrais citer le nom dans ces feuilles, si je ne craignais d'alarmer leur modestie, et de révéler le secret de leur intéressante solitude.

LES GOBE-MOUCHES.

J'AI toujours été étonné qu'aucun des savans instituteurs de la Gobe-Moucherie n'ait entrepris d'en écrire l'histoire. Les Gobe-Mouches sont une des plus anciennes familles qui existent au monde. Leurs titres généalogiques sont enregistrés chez les nations les plus célèbres de l'antiquité. Les Athéniens avaient leurs Gobe-Mouches, qui se tenaient habituellement sur les places publiques, aux avenues de la ville, sur le port, à la porte des temples; là, ils attendaient les voyageurs, les étrangers; les entouraient, les interrogeaient, et recueillaient avidement toutes les nouvelles qu'on leur débitait. Que dit-on de nouveau? c'était leur mot favori.

Que dit-on de nouveau? demandaient-ils, quand Philippe était à leurs portes, que leurs troupes étaient battues de toutes parts, que leur liberté et leur existence politique étaient menacées des plus grands dangers. Que dit-on de nouveau? répétaient-ils; et ils ne s'occupaient ni de Philippe, ni de leurs armées, ni de leur liberté.

La famille des Gobe-Mouches fut d'abord trèspeu répandue à Rome; elle ne parvint à s'y établir avantageusement que sous le règne des empereurs. Horace nous a dessiné d'une manière fort gaie, le portrait d'un Gobe-Mouche qui voulait savoir tout ce que faisait Auguste, tout ce

que disait Mécène; c'était dans les boutiques des artisans que se tenaient les Gobe-Mouches; les barbiers de Rome en étaient les commissaires et les agens les plus actifs : rien n'échappait à leur vigilante curiosité.

Le caractère des Gaulois ressemblait beaucoup plus à celui des Grecs qu'à celui des Romains. Ils étaient naturellement légers, inconsidérés, avides de nouvelles ; jamais la Gobe-Moucherie n'eut de disciples, de partisans et d'amis plus nombreux et plus fidèles. Ils entouraient les étrangers, les marchands, les interrogeaient sur tout ce qu'ils avaient vu, ce qu'ils avaient appris, et se déterminaient quelquefois sur une simple rumeur dénuée de vraisemblance. César profita souvent de cette disposition à la Gobe-Moucherie pour les tromper.

Les cités les mieux policées furent obligées de se mettre en garde contre les effets de ces rumeurs publiques, et dans plusieurs villes, il fut défendu aux particuliers de divulguer aucune nouvelle avant d'en avoir fait part aux magis

trats.

Malgré ces règlemens, la famille des GobeMouches n'a cessé de prospérer parmi nous; elle est arrivée de siècle en siècle jusqu'à nos jours, et répand encore un assez brillant éclat. Il fallait que Mirabeau eût une bien haute opinion de la puissance de la Gobe-Moucherie, pour avoir conçu le projet d'armer, en un instant, la France toute entière, en lui faisant peur d'une invasion de brigands.

Il est fâcheux qu'on ait abattu l'arbre de Cracovie; que de belles choses il aurait pu nous révéler, si ses feuilles eussent acquis quelque jour la faculté de parler, comme les chênes de Dodone!

Les Cracovites ont abandonné les ombrages du Luxembourg; mais on les retrouve dans les cafés, les cercles, les cabinets littéraires; leur république embrasse toutes les parties de la France; elle a un comité central, une administration, des bureaux, un président, un secrétaire, des affiliés et un garde-des-sceaux.

Elle prend des délibérations; elle donne des lettres de naturalité, expédie des brevets et des diplômes; elle admet aussi des dames, suivant leur mérite et leur aptitude, et leur décerne le titre de Gobe-Mouchettes. Les actes sont en ce moment signé de M. J. de S. M., comme président; Nazicour, comme secrétaire-général.

Chaque récipiendaire est tenu d'observer littéralement les règlemens de la société. Il doit se contenter de gober la mouche, sans la prendre; dans le cas contraire, il devient coupable de lèze Gobe-Moucherie, et s'expose à être condamné aux guêpes, genre de mouches les plus dangereuses de toutes.

Outre son comité central de gouvernement, la république des Gobe - Mouches a aussi ses diètes générales, sous le nom de grande diète de Cracovie; c'est dans ces assemblées que l'on propose, qu'on discute et qu'on admet les candidats.

On accorde la préférence à ceux qui ont donné des gages à la Gobe-Moucheric, soit en prônant le magnétisme, la mnémonique, les ballons; soit en fréquentant les athénées, les cafés, les salons littéraires, etc. L'acte générale d'admission est ainsi conçu :

LA DIETE GÉNÉRALE DE CRACOVIE,

<< A tous conteurs, hableurs, aboyeurs, enfileurs, gazetiers, journalistes anciens et nouveaux, faiseurs de projets ou d'alınanachs, nouvellistes du coin et autres lieux, redresseurs des torts, restaurateurs des réputations, poètes sans verve, orateurs sans ame, docteurs sans doctrine, et autres gens tenant le haut bout dans les cafés, salons, cercles, cabinets littéraires, académies des sciences, musées, coulisses, ruelles, boudoirs, etc.....

« A tous parasites, piqueurs d'assiettes, brûleurs d'encens, panégyristes, jongleurs, plaideurs, agioteurs, joueurs, voyageurs venant de loin, vétérans militaires sous la remise, magnétiseurs, vaccinateurs, docteurs en cuisine et médecine, charlatans, galvanistes, alchimistes, arracheurs de dents, cerveaux lunatiques timbrés ou brûlés, narrateurs à la toise, et tous. autres divagant dans le pays des cspaces imaginaires, présens et à venir, salut;

«SAVOIR FAISONS, que sur les représentations qui nous ont été faites par les grands officiers. de la société des Gobe-Mouches, que depuis un long laps de temps, le sieur N....., désigné en

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