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l'autre part, s'était exercé dans l'art noble de maltraiter toutes sortes de vérités, de broder les récits en augmentant ou diminuant tous faits qui arrivent dans ce monde terrrestre, et que, par des succès heureux, fruits d'une imagination féconde et brillante, il était parvenu à inventer des vérités qui n'ont jamais existé, à créer des histoires qui, sans lui, auraient resté éternellement dans l'oubli ; et qu'enfin, après une multitiplicité d'expériences, il s'était déjà acquis, dans ce genre de littérature, un nom des plus illustres ;

«

Nous, toujours zélés à maintenir et accroître la réputation de notre ordre, en le remplissant de bons et idoines sujets, parfaitement convaincus des talens rares que la nature lui a si libéralement prodigués en toutes sortes de menteries;

« Sur la demande de nos confrères, les officiers supérieurs des Gobe-Mouches, nous avons jugé à propos de l'incorporer dans notre diète, et de le recevoir en frère et bon ami, comme il paraît plus amplement par les lettres-patentes que nous lui octroyons, en l'exhortant à persévérer toujours dans une si noble occupation, à y faire même des progrès, et à nous indiquer les sujets qui, comme lui, pourraient faire honneur à notre ordre, afin de les y incorporer, si telle est notre volonté.

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Lettres-patentes de la cour de Cracovie.

Nous, grand garde des sceaux de la diète générale,

«En cette qualité, seigneur haut justicier de la ville et faubourgs de Cracovie, contrôleur-général de toutes les vérités qui se disent dans ce basmonde, chef fondé de tous les hableurs, menteurs, nouvellistes, bourgeois sans occupations, et autres personnes désœuvrées qui s'exercent à mentir finement, sans porter préjudice à autre qu'à la vérité, dont nous faisons profession d'être ennemis jurés; à tous ceux qui les présentes verront salut, joie et santé, sur-tout haine pour la vérité ;

<< Sur la demande de nos confrères les GobeMouches, qui nous ont exposé que le sieur N...., sus nommé, désirant d'être agrégé dans la diète, s'exerçait depuis long-temps dans la noble profession de menteur, et qu'il avait fait de si grands progrès, que dans peu il mériterait la réputation d'un modèle parfait en ce genre.

« A ces causes : Enquête scrupuleusement faite des dispositions heureuses, des rares talens, des brillans succès du susdit sieur, voulant seconder le vif désir qu'il a de pouvoir mentir avec autorité, lui avons accordé et octroyé, et par ces présentes, lui accordons et octroyons, dès à présent, la charge de grand correcteur de toutes les vérités qui se diront dans l'étendue de notre empire; le recevons frère et chevalier des vérités altérées.

L'autorisons, en outre, d'y agréger, après un mûr examen, toute personne qui se présentera à lui, et par interim, lui faire expédier des lettrespatentes signées de sa main, et scellées du petit

sceau, à la charge par lui d'en envoyer un état circonstancié à notre bureau, pour qu'après un fidèle rapport, nos lettres du grand sceau lui soient expédiées.

Ce faisant, lui avons donné et lui donnons plein pouvoir de mentir par-tout; et pour l'effet de l'exécution de nos ordres, nous enjoignons à tous nos sujets de le publier et reconnaître pour tel, afin qu'on n'en prétende cause d'ignorance, à peine contre les contrevenans d'être punis sévèrement suivant les lois de la diète; car tel est notre plaisir.

Donné sous l'arbre de Cracovie, en pleine diète, sous le contre-scel de notre chancelier.

(L'an de la vérité oooo.)

Signé le baron de CRAC-CRIC, contrôleur, garde de sceau.

Et plus bas : BRAILLARDINI, secrétaire.

LE BON GOUT.

Il y a quelque temps que deux célèbres acteurs

de Paris se trouvaient dans la même ville de province; le même motif les y avait amenés, l'espérance de la gloire et de la fortune. L'un venait faire admirer l'esprit des Jocrisse et des Cadet Roussel; l'autre les manières élevées du Glorieux, et les beaux vers de Corneille et de Racine.

Les traités étaient faits et la concurrence établie.

La Melpomène française et la Muse burlesque des Variétés, se partageaient l'empire du goût, et se disputaient les suffrages publics.

Lequel des deux eut l'honneur de triompher? le dialogue suivant l'expliquera.

L'ACTEUR FRANÇAIS; il est dans un fauteuil, les jam

bes allongees, le corps negligemment étendu sur un sofa. Son rival, qui vient lui rendre visite, est debout, dans l'attitude qui convient à un artiste d'un rang inférieur.

Eh bien! mon pauvre Br., te voilà donc dans cette ville?

Br. Eh! mais oui, monsieur B.

M. B. Tu viens gagner quelque argent, n'est-ce pas, mon pauvre Br.?

Br. Eh! mais oui, monsieur B.

M, B. As-tu fait quelque arrangement un

peu avantageux? Espères-tu rapporter quelque chose dans ton ménage?

Br. Mais, monsieur, je ne suis pas mécontent. M. B. Tu n'es pas mécontent! c'est-à-dire qu'il te restera quelque chose, tes dépenses acquittées n'est-ce pas, mon pauvre Br.?

Br. Ah! monsieur B., si je dépensais ce que je gagne, certainement il n'y aurait pas de quoi me vanter pour l'économie.

M. B. Oh! je sais que tu dépenses peu, mon pauvre Br.; je te rends justice à cet égard. Tu fais bien, mon pauvre enfant ; tu fais bien; il faut régler sa dépense sur son état. Mais enfin, dismoi, que te donne-t-on pour venir ici jouer tes parades?

Br. Dame, monsieur B., on me donne 400 francs.

M. B. Tu as 400 fr. Mais sais-tu que te voilà riche! 400 fr....! Ah! mon ami, on te donne plus que cela! Tu n'est pas venu de Paris pour gagner ici 400 fr. ; on te paie au moins ton voyage?

Br. Certainement, je dis 400 fr., mes dépenses acquittées.

M. B. Ecoute, Br., mon ami, entendonsnous. Je te demande.... ce que l'on te donne ici pour jouer chacune de tes parades?

Br. Mais dame! monsieur B., je vous l'ai déjà dit; on me donne 400 fr., valeur métallique.

M. B. Tu ne me comprends pas.... je te demande... écoute bien... je te demande... m'entends-tu ?...

Br. Oui, monsieur B. ; je te demande...

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