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privilégiés : c'est le plus beau présent de noces que l'on puisse faire à deux époux. Dès qu'il sera répandu dans tous les ménages, il n'existera plus sur la terre que des grands hommes et des génies élevés, et l'on donnera un démenti au proverbe du sage: Stultorum numerus est infinitus.

<< Cet autre livre n'est pas décoré d'un titre aussi solennel; mais il n'en est pas moins respectable. Il a pour objet la construction des culottes et leur influence morale. L'auteur y démontre que le caractère, les sentimens, les passions dépendent de la forme des culottes, de la largeur des ceintures, des dimensions des jarretières et des canons : c'est un ouvrage neuf, profond et original (1).

Prenez encore ce troisième livre; il est d'un savant accoucheur, qui a découvert, dans ses fréquentes relations avec les sexes, les moyens de les produire à volonté. Avec sa méthode, il n'est plus d'état qui ait besoin de la polygamie; un mot des médecins, et voilà une partie des filles changées en garçons, et la proportion rétablie entre les deux sexes. Le docteur a également enseigné l'art de perfectionner les races, d'accroître les forces physiques et morales, et de former des générations qui surpasseront en qualités tout ce que les premiers âges du monde ont produit de plus parfait; enfin, il

(1) L'ouvrage a pour titre : Recherches et considérations médicales sur les vétemens des hommes, et particulièrement sur les culottes; par L. J. Clairdan, médecin. A Paris, Gabon, libraire.

chez

n'est pas d'ouvrage qui atteste plus hautement le progrès des lumières dans le siècle où nous

vivons. »

Il me sembla alors que mon jeune homme était un peu enthousiaste, et qu'il était possible de faire quelques observations sur ce qu'il venait de me dire; mais je me contentai de le remercier poliment, et je pris congé de lui, en me promettant d'aller le lendemain chercher ailleurs d'autres témoignages du progrès de nos lumières.

J'avais à peine traversé quelques rues en me retirant, que j'entendis un homme crier à haute voix: Voilà l'explication des songes et des rêves pour les numéros de la loterie.

J'avais toujours entendu dire dans ma province qu'il ne fallait pas croire aux rêves; mais j'étais au centre des lumières : je crus qu'il pou-, vait en être autrement à Paris, et que si la lune pouvait faire croître les cheveux, les rêves pouvaient indiquer les ternes et les quaternes de la loteric. J'achetai l'ouvrage, et je vis que ce n'était qu'une esquisse imparfaite, sans théorie et sans explication. J'entrai dans un bureau voisin, et je demandai un ouvrage complet sur les gros lots. On me présenta le Manuel des loteries; et comme j'y vis des estampes nombreuses, je ne doutai pas qu'il ne contînt toute la science que je cherchais. Arrivé chez moi, je le parcourus; j'y vis des arbres de fortune, des calculs italiens, des nombres cabalistiques; et après l'avoir parcouru, je ne doutai plus que nous ne fussions en effet dans le siècle des lumières.

Il y avait déjà quatre jours que j'étais à la recherche de tant de sublimes connaissances, lorsqu'en me rendant à une réunion des plus illustres philosophes qui m'avaient admis parmi eux, une femme me présenta une adresse imprimée. J'hésitais à la recevoir. « Prenez, prenez, Monsieur, me dit une autre femme, vous ne sauriez être en meilleures mains pour vous faire tirer les cartes et savoir votre bonne aventure. La devineresse ne demeure qu'à deux pas d'ici; et si vous voulez y entrer, vous serez sûrement content. » Je pris l'adresse qu'on me donnait ; je me rendis à l'hôtel de ma bohémienne, et j'y trouvai vingt jeunes femmes qui attendaient l'heureux moment où l'on pourrait tirer leur horoscope. Je n'eus pas la patience d'attendre comme elles; mais je vis bien que notre pays était le centre des connaissances, et que le siècle où je vivais était le siècle des lumières. Enfin, je me rendis à la Société Philosophique, qui m'avait invité à ses séances. J'étais dans l'attente de ce qu'on allait y dire; mais je m'aperçus bientôt qu'il ne s'agissait que d'une lecture. Un des membres se plaça dans un bureau, et, déroulant un manuscrit, il en annonça le titre en ces termes: De l'homme considéré moralement, de ses mœurs et de celles des animaux. Après quelques minutes de silence, il commença sa lecture, et débita avec beaucoup de feu les plus beaux morceaux de son ouvrage. Je m'attendais à des considérations morales, mais c'étaient des recherches physiques sur l'origine de l'homme. L'orateur le

compara au singe; il fit voir qu'il dérivait en droite ligne d'un orang-outang; qu'Alexandre-le-Grand, Socrate, Auguste et Charlemagne n'étaient que des singes dégradés; que pour faire d'un pongo un géomètre, un homme d'état, un poète, un guerrier, il ne s'agissait que de l'épiler. Il regretta beaucoup de ne plus vivre avec les jokos, et invita ses collègues à se rendre dignes, autant qu'ils le pouvaient, de la noblesse de leur origine. Je l'écoutai avec silence, et je vis de nouveau que nous vivions dans un siècle de lumières.

Il serait superflu de décrire ici tout ce que j'entendis encore; mais on m'apprit que ma pensée était une modification de mon corps ; que la vertu et la morale étaient des accidens de la matière; que tout ce qui existait s'était créé luimême, et que Dieu et l'ame étaient des êtres imaginaires inventés par l'ignorance et adoptés par la crédulité. J'écoutai toutes ces belles choses sans rien objecter, et je fus décidément convaincu que nous vivions dans un siècle de lu mières.

THÉOPHANES,

OU LA TÊTE ET LES PIEDS.

NUL mortel n'avait été plus favorisé du ciel

que Théophanes. Il était beau, spirituel, plein de pénétration, de goût et de jugement. Les dieux lui avaient sur-tout donné une aptitude singulière pour les sciences, les lettres et les arts; Minerve elle-même s'était plu à perfectionner sa raison et à éclairer son entendement. Athènes, sa patrie, le regardait comme un véritable prodige, il ne lui manquait que la richesse pour posséder tous les avantages. Plutus était le seul qui n'eût point voulu assister à sa naissance et l'enrichir de ses faveurs; mais avec les qualités dont Théophanes était doué, il n'enviait point les dons de la fortune, et se croyait en état de réparer facilement ses injustices.

Parvenu à l'âge où il pouvait avantageusement commencer à faire usage de ses talens, il délibéra sur le genre d'études auquel il se livrerait de préférence. Se placera-t-il parmi les orateurs dont l'éloquence étonne la tribune d'Athènes ? S'armera-t-il du compas d'Euclyde ou de la sphère d'Archimède? Préférera-t-il les savantes recherches des Hérodote et des Thucydide? Marchera-t-il sur les pas des Sophocle et des Ménandre ? ou bien choisira-t-il la lyre d'Amphion ou le pinceau de Parrhasius?

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