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Théophanes se retira, forma un engagement avec le directeur du théâtre des Arts d'Athènes, excita un enthousiasme universel par les miracles de sa danse, et obtint un traitement de 15,000 liv. Il parut dans un spectacle lyrique, enivra d'admiration tous ceux qui l'entendirent, et dans l'espace de quelques jours gagna 40,000 fr.

Enfin, il ne dédaigna pas de se montrer même dans un spectacle forain, et par le jeu de sa physionomie, la bizarrerie de ses grimaces, et la sublimité de ses niaiseries, il ravit encore tous ceux qui le virent et l'entendirent: le directeur du spectacle lui offrit 20,000 liv. s'il voulait rester avec lui, et Théophanes se vit bientôt recherché, prôné dans toute la Grèce, et possesseur d'une immense fortune. Ravi de cette heureuse métamorphose, il voulut la consacrer par un monument allégorique : il fit élever une statue qui représentait un homme avec des pieds de cerf, un cou de cygne, et une tête de singe, et grava au-dessous ces mots :

<< Si vous voulez réussir dans la carrière des << arts, rappelez-vous toujours que les pieds va<< lent mieux que la tête; la parole, plus que la pensée; et la folie, plus que la raison. »>

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LA VIE CONJUGALE.

A UN NATURALISTE.

E suis abonné, depuis près de vingt ans, à un cabinet de lecture, et moyennant une rétribution annuelle de 36 francs, que j'acquitte exactement, à raison d'un écu par mois, je me suis rendu très-familier avec toutes les richesses littéraires qu'enfante journellement notre féconde et ingénieuse patrie. Il y a quelque temps que mon libraire me présenta un livre dont il vantait beaucoup les principes : « Lisez-le, Monsieur, me dit-il; vous êtes garçon, vous craignez de vous enchaîner sous les lois de l'hymen ; mais je puis vous assurer que lorsque « vous aurez médité cet excellent traité, le mariage vous paraîtra l'état le plus heureux du << monde». J'emportai la brochure, qui avait pour titre : l'Etat conjugal considéré dans ses rapports avec le bonheur de l'homme et de la femme, et je la lus avec empressement : j'y vis en effet que l'auteur était un zélé partisan du mariage, et qu'il portait l'enthousiasme jusqu'à prétendre que, sans le mariage, il ne peut y avoir de bonheur dans le monde et de salut dans l'autre. Or je cherche depuis long-temps le bonheur, et quant à mon salut, personne ne serait plus aise que moi de le faire; car je ne connais pas de

perspective plus déplaisante pour un galant homme, que d'être brûlé éternellement sur des charbons ardens. J'ai donc lu, relu et médité avec une attention particulière l'Etat conjugal considéré sous tous ses rapports. L'auteur m'a d'abord appris que du côté des qualités physiques, la femme est bien supérieure à l'homme, Voyez sa peau ; comme elle est douce! ses yeux, comme ils sont vifs! ses joues et ses lèvres, comme elles sont vermeilles! ses bras, comme ils sont potelés et arrondis! sa poitrine, comme elle est embellie de deux monts d'albâtre! etc. etc. Ces descriptions commençaient à me monter l'imagination, et je ne les continuerai pas, dans la crainte de monter la vôtre. Mais du côté des qualités morales, quels avantages inexprimables! une ame sensible, un cœur tendre et généreux, un esprit vif, actif, pénétrant! une intelligence au-dessus de toute expression ! Voulezvous encore des talens? écoutez ce clavecin résonnant sous les doigts les plus légers, les plus jolis, les mieux arrondis du monde; entendez cette harpe soupirer et tressaillir sous cette main spirituelle et savante; prêtez l'oreille aux accords de cette voix délicieuse dont les sons surpassent mille fois ce que l'art des Jubal et des Orphée a de plus merveilleux.

Séduit par ces tableaux, je résolus de quitter enfin le célibat, et de m'associer à toutes les félicités que me promettait l'auteur de l'Etat conjugal considéré dans tous ses rapports. Je priai donc un de mes amis de me chercher une femme,

qui eût la peau douce, l'œil vif, les bras bien faits, etc.; qui joignît à ces qualités un esprit actif, une voix enchanteresse, des doigts plus légers que ceux d'Erato, des pieds plus piquans que ceux de Therpsicore. Quel plaisir! me disais-je, j'étais seul, et j'aurai une compagne! D'avides domestiques me volaient, ma compagne les surveillera, et je serai à l'abri de leurs larcins; ma maison était en désordre, tout y présentera l'image de la propreté, du soin, de l'élégance; et si quelque jour la fièvre au teint blême, aux yeux creux, vient verser dans mes veines ses poisons brûlans, une femme assise à côté de mon lit me prodiguera les soins les plus empressés, et, présentée de sa main chérie, la potion la plus amère deviendra suave et délicieuse. Enfin, de jolis enfans naîtront autour de moi, me couvriront de leurs baisers, m'enivreront de leurs caresses. Telles étaient les idées séduisantes auxquelles je me livrais depuis que j'avais le bonheur de connaître l'Etat conjugal considéré dans tous ses rapports. Hélas! l'homme propose, et Dieu dispose!

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Bientôt mon ami vint me voir, la joie dans les yeux, le sourire sur les lèvres : « Réjouis<< toi, me dit-il, tes vœux sont accomplis; j'ai << trouvé l'épouse qui te convient: grâces, esprit, talent, elle réunit tout; les fées semblent l'avoir «< enrichie à l'envi de leurs dons les plus précieux, et pour comble de bonheur, Apollon <«<et Plutus se sont réunis pour lui prodiguer << leurs faveurs. Avant huit jours, tes vœux seront accomplis, si tu veux, et la capitale te citera

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<< au nombre des hommes les plus heureux. » II dit, et je volai aussitôt pour voir, contempler, admirer l'incomparable Dulcinée qui devait remplir mes jours de bonheur, de plaisir, de gloire et d'opulence. J'avais, avant de me présenter, consulté l'ingénieux recueil publié sous le nom de Bouquets de famille, et qui contient des vers pour toutes les circonstances: mariages, naissances, étrennes, etc. J'avais appris dix vers qui me semblaient dictés par Apollon lui-même. Je les récitai à la dame de mes pensées; elle en parut singulièrement satisfaite. En huit jours, toutes les conditions furent réglées, les visites faites, le contrat passé, les témoins invités, et, le neuvième, ma terrestre déité reçut de mes mains l'anneau qui l'enchaînait à ma destinée.

Je ne sais quel auteur a dit que les bords de la coupe nuptiale étaient couverts de miel le premier jour, et frottés d'absynthe le second. J'en suis, hélas! depuis long-temps à l'absynthe, et pourtant ma séduisante maîtresse n'a rien perdu des avantages qu'on vantait en elle. Elle est belle comme Vénus; elle chante comme Erato; elle danse comme Therpsicore; les Muses n'ont ni plus d'esprit ni plus de talens qu'elle; mais elle chante, elle danse, elle fait de l'esprit éternellement: ma maison est devenue une espèce d'académie.

Chaque jour je vois ma table environnée d'une foule d'artistes de tous les genres, hommes d'un génie supérieur, mais d'un appétit désolant. Le matin, toilette élégante, à laquelle deux femmes

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