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bal,

de chambre suffisent à peine; à midi, chevaux attelés à la voiture, courses chez le modiste, le lapidaire, le bijoutier, le tailleur et le coiffeur même, etc.; puis promenade aux ChampsElysées, au bois de Boulogne; à six heures, dîner de vingt convives dont je ne connais aucun; à la suite, soirée délicieuse, concert, souper qui commence à deux heures du matin ; et moi, que mes huit lustres, surchargés de quatre ans, ont commencé à rendre un peu sérieux, un peu lourd, moi qui cherche le repos et le sommeil, je m'étends dans ma bergère, où je baille sans que personne y fasse attention.

J'avais cru que deux cents louis par an suffiraient pour la toilette de mon aimable divinité : hélas! en quinze jours, un cachemire et des boucles d'oreilles ont renversé tous mes calculs; les fonds baissent tous les jours dans mon portefeuille; le produit de la dot est absorbé en trois mois par les besoins indispensables de Madame.

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J'ai osé hasarder quelques observations; j'ai parlé avec les égards et le respect convenables: Hé quoi! m'a-t-on dit, avez-vous donc cru épou<< ser une bourgeoise? Prétendez-vous me faire compter votre linge ou régler votre cuisine ? n'avez-vous pas des gens pour cela ? Croyezmoi, faites-vous des idées plus élevées, et << songez au rang que vous tenez et à la fortune << que je vous ai apportée. »

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Voilà où j'en suis, mon cher Monsieur, pour avoir lu l'Etat conjugal considéré sous tous ses rapports. Hé! que ne puis-je encore vous révéler

bien d'autres sujets d'amertume dont je suis abreuvé, mais que je me garderai bien d'exposer à la risée des malins. On me représente, à la vérité, que l'auteur de l'Etat conjugal n'a eu en vue que les conditions médiocres de la société; que c'est dans cet état que se trouve le vrai bonheur; que c'est là que règnent éminemment la sagesse et la vertu, ce qui a fait dire à Horace : Aurea mediocritas. Mais j'avoue que je ne suis pas encore bien convaincu. Si j'en crois quelques rapports, les mêmes travers infectent aujourd'hui toutes les classes. Il n'est pas une petite bourgeoise qui ne préfère un piano à un métier à broder; qui ne veuille danser comme une artiste de l'Académie Impériale, chanter comme madame Festa, dormir comme une duchesse, se parer comme la femme d'un banquier. Quelle marchande oserait aujourd'hui se montrer dans sa petite société sans un cachemire, paraître au spectacle sans diamans? Que serait-ce que cent louis ou mille écus pour sa toilette? Ainsi, cent mille francs de dot ne sont plus rien aujourd'hui: un voile, un schal suffisent pour en dévorer le produit ; et l'auteur du Tableau de l'état conjugal prétend qu'un célibataire n'a pas de meilleur parti à prendre que de s'aller pendre ou de se marier. Ah! monsieur le moraliste, de grâce, retenez votre courroux, tempérez votre code pénal; et si vous voulez marier les garçons, commencez donc par réformer les filles.

TRÈS-HUMBLE

ET TRÈS-RESPECTUEUSE REMONTRANCE

A une jeune dame qui s'occupe de l'éducation de ses enfans.

SERAIT-IL vrai, Madame, qu'il existât à Paris une femme jeune et jolie, capable de porter l'oubli d'elle-même jusqu'à s'occuper de ses enfans; qui, aux plaisirs des spectacles, des bals, des salons, préférât les soins de sa maison; qui, douée d'assez de connaissances et d'esprit pour disputer aux écrivains de son sexe les honneurs de la réputation littéraire, s'amuse néanmoins à composer des contes d'un genre nouveau pour des enfans de quatre ou cinq ans? Ceci vraiment n'a-t-il pas l'air d'un conte d'un nouveau genre ? Quoi! Madame, au lieu de monter sur un cheval élégant pour vous enfoncer dans les allées du bois de Boulogne; au lieu d'écrire ou de recevoir, tous les matins, vingt billets charmans; au lieu d'occuper les artistes les plus renommés de Paris pour votre parure, de vous faire remarquer aux premières loges de nos théâtres, vous avez le travers gothique de songer à des enfans, d'observer leur tristesse et leurs petites douleurs, quand on les condamne à une tâche pénible, et souvent au-dessus de leur naissante intelligence!

Vous vous affligez de leurs larmes, vous ne voulez point gåter leur bonheur; et pour donner quelques charmes à leurs premières études, vous faites plus, vous devenez leur premier précepteur! Vous transformez en jouissances pour vous une occupation douce et maternelle des soins qui ne sont pour les autres qu'une fatigue importune! Nous avons des pensionnats, des maitres de tous les genres, destinés à délivrer les mères du fardeau de leurs enfans, et les vôtres sont auprès de vous! Sentez-vous bien, Madame, tout ce qu'une pareille conduite a de répréhensible? C'est une censure, une satire indirecte de nos mœurs. Ah! je promets de vous dénoncer au Journal des Dames comme une corruptrice du bon ton, une infidèle qui déserte les autels et le temple de la mode. J'ai lu vos Contes d'un nouveau genre; et, pour comble de scandale, j'ai vu qu'ils étaient écrits avec une aimable et élégante simplicité; qu'ils respiraient par-tout la grâce, la sagesse et la bonté; qu'ils supposaient un esprit juste et observateur, une raison éclairée, en un mot, un talent vraiment distingué. Est-il possible que vous fassiez un aussi mauvais usage des dons de la nature ? Les Athénées vous attendent, ils vous ouvrent leurs portes; Pégase serait fier de vous porter sur ses ailes, dans les régions du Parnasse. Osez prendre un nom poétique, instruisez l'univers dans vos épîtres, réformez nos mœurs dans vos romans: c'est ainsi que vous acquerrez des titres à la gloire. Mais que voulez-vous que je fasse de votre petite

guerre d'un enfant contre des fourmis, de ces jolis papillons poursuivis par la petite Emilie, de vos hannetons, de vos mouches et de vos petits canards?

Voulez-vous, Madame, que je vous prédise ce qui vous arrivera? Les femmes aimables de nos salons, les mères charmantes qui laissent à des bonnes le soin d'élever leurs enfans, les savantes parisiennes qui compilent les anecdotes des siècles derniers pour faire ou détruire des réputations, les brillantes rivales des Scudéri, des Deshoulières, ne vous liront pas; vos Contes seront bannis des boudoirs et des toilettes, et vous n'aurez de lecteurs que parmi les mères d'une vertu obscure et bourgeoise, qui aiment leurs enfans, qui se plaisent à cultiver elles-mêmes leurs facultés naissantes, et dont l'esprit étroit et vulgaire préfère les jouissances de la vie retirée et les tendres soins de la maternité, à l'avantage de briller au milieu des cercles, et d'être enregistrées dans tous les almanachs que l'on consacre au dieu du Pinde, mais dont il n'accepte pas toujours la dédicace.

Pour moi, qui ai le malheur de conserver quelque chose de ces vieux us gothiques qui faisaient le charme de nos pères, j'avouerai que je partage un peu vos torts, que j'aime, comme vous, la retraite et les enfans; mais je ne suis pas femme, je ne suis pas jeune et jolie, je ne cours pas risque, comme vous, de me donner un ridicule ineffaçable. Tenez, Madame, je suis persuadé que vous aurez le mauvais esprit d'élever

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