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douces, quoiqu'il ait composé un cours de litté

rature.

LE CRITIQUE. Je n'ai ni le mérite de Rollin, ni même celui de l'abbé Le Batteux; si je m'en tenais à mes seules forces, je tomberais. J'ai voulu essayer l'efficacité de votre recette dans un journal qu'on appelait l'Année littéraire. Je discutais gravement, je réclamais les principes, je m'érigeais en Quintilien, et personne ne me lisait : mon Année littéraire n'a pas eu deux printemps. Quand j'ai été raisonnable, tout le monde m'a délaissé; quand j'ai déraisonné, les souscripteurs sont venus en foule. Voyez-vous cet estomach rebondi, ces joues pleines et vermeilles, et ce coffre où dorment mes écus? C'est à mes talens dans l'art de déraisonner que je dois tout cela. Quand j'aurais traité, comme vous, les universaux a parte rei, les equipollences et les règles des syllogismes, jamais je n'aurais amassé la moitié du numéraire que recèle ce coffret.

ARISTOTE. Cela est fort bien pour ce mondeci; mais le soin de l'avenir demande quelque chose de mieux: il me semble qu'une bonne réputation a aussi son mérite. C'est l'unique récompense que j'aie ambitionnée dans mes travaux littéraires et philosophiques. Vous avez, à ce qu'on assure, du goût, de l'esprit et du savoir, pourquoi n'en faites-vous pas un meilleur usage? Un critique sage, judicieux et éclairé est un homme précieux dans la société peut-être gagneriez-vous moins d'argent; mais vous n'auriez pas non plus le déplaisir de voir votre portrait

figurer sur les quais au milieu de tant d'images grotesques et ridicules.

LE CRITIQUE. Je sais qu'on m'a peint d'une manière fort bizarre, qu'on m'a travesti sous mille formes burlesques, qu'on se moque de moi dans les assemblées publiques; mais ce sont ces petites avanies qui grossissent les revenus et tiennent la cuisine chaude : j'aime mieux une broche bien garnie que cent couronnes de lauriers. Vous rassembleriez ici tous vos syllogismes et vos enthymèmes, que vous ne me convertiriez point, et je vous répondrais comme Grégoire....

ARISTOTE. Pourriez-vous m'expliquer, au moins, pourquoi j'ai été l'objet de votre censure dans un de vos articles sur Zaïre? Il me semble que je n'ai rien de commun avec cette princesse de vos siècles modernes, et que l'on s'occupe trop peu de moi pour que les injures que vous pouvez me dire vous rapportent beaucoup d'argent.

LE CRITIQUE. Ceci est facile à expliquer. J'ai fait quarante articles sur Zaïre, j'ai usé tous les paradoxes, j'ai épuisé mon dictionnaire d'injures contre Voltaire; il fallait bien que vous vinssiez à votre tour. Je mords où je peux: pourquoi aussi parlez-vous en faveur de la tragédie? Je veux soutenir que la tragédie est essentiellement mauvaise, qu'elle corrompt le cœur, qu'elle endurcit l'ame; qu'elle mène à la révolte, à l'athéisme, à tous les crimes; que c'est la tragédie enfin qui a engendré la révolution.

ARISTOTE. Il me semble que vous donnez à

cette révolution beaucoup de parens; car il y a quelque temps que l'on vous vit. soutenir que c'était le goût pour la musique italienne qui avait amené les échafauds et le régime révolutionnaire habituellement vous en accusez la philosophie; voilà, si je ne me trompe, des causes un peu disparates; ne pourriez-vous pas vous concilier avec vous-même, et rendre plus de justice au mérite et plus d'hommages à la vérité? Vous m'accusez d'avoir dit une sottise en parlant de la manière dont la tragédie purge les passions, et vous paraissez vous amuser beaucoup de ce mot purger; mais je ne puis répondre de l'impéritie de vos traducteurs ; et si vous connaissiez la langue grecque, que vous avez professée, vous n'auriez trouvé aucune sottise dans l'opinion que j'ai énoncée.

J'ai dit, et c'est le sens littéral de ma phrase, que la tragédie adoucit par le charme de l'imitation, ce que la terreur et la pitié ont de trop dur dans la réalité; il me semble qu'il n'y a là aucune ineptie. J'attendais du traducteur de Théocrite plus de lumières, de raison et de justice.

LE CRITIQUE. Si vous attendez cela, je crains que vous n'attendiez long-temps.

LE MUSEUM ET LES STATUES.

J'AVAIS jusqu'à ce jour traversé rapidement la première salle des Antiques, pour aller au Muséum contempler les nouvelles productions de nos Apelle et de nos Phidias. Pressé par le désir de satisfaire ma curiosité, je m'étais hâté de monter les escaliers sans faire attention à la beauté et aux inconvéniens du passage; j'avais même, dans un premier mouvement, loué la sagesse des administrateurs, qui, pour éviter les embarras de la foule, avaient sagement ordonné qu'on entrât par une porte et qu'on sortît par l'autre. Ce trait de prévoyance m'avait frappé, et je me sentais disposé à autant de bienveillance que le docteur Pangloss. Aujourd'hui la première chaleur de mon admiration commence à se réfroidir; je vois les choses d'un œil plus reposé, et je sens mon optimisme se ralentir fortement.

Rien de mieux assurément que de rendre facile l'accès du temple des arts et d'éviter ces flux et reflux de curieux montant et descendant qui se foulaient sur les degrés et s'étouffaient à chaque porte. Il faut veiller à la sureté et à la conservation des personnes; mais la loi doit veiller aussi à la sûreté et à la conservation des

mœurs.

Or, je demande si les mœurs sont en sûreté

quand de jeunes personnes qu'une curiosité innocente, et même souvent louable, amène au milieu des chefs-d'œuvre de nos artistes, sont forcées de promener leurs regards sur ces nudités dont une mère vertueuse doit dérober le spectacle à sa fille? Je dis forcées, car nul autre passage ne conduit au salon que la galerie des Antiques.

Que les arts contribuent à la gloire des nations, c'est une vérité reconnue; mais ne seraitil pas plus glorieux encore de concilier les mœurs et les arts? Nous nous passionnons tous les jours pour les chefs-d'œuvre de l'antiquité, pourquoi les mœurs anciennes seraient-elles les seules qui n'auraient pas nos hommages? Quelles statues sorties des mains des plus célèbres sculpteurs du beau siècle de Louis XIV, ont jamais offensé la pudeur? Vous m'opposez l'exemple des Grecs et des Romains; mais je vous demanderai si c'était à l'époque où les Grecs et les Romains avaient des mœurs sages et austères, que les statues qu'ils nous ont transmises étaient exposées aux yeux du public? Ce n'est que depuis un petit nombre d'années que le respect des bienséances a été regardé comme une petitesse d'esprit, une hypocrisie de mœurs indigne d'un esprit élevé. Ce sont quelques artistes qui ont publié cette doctrine et fondé cette coutume. C'est depuis qu'ils ont acquis dans la société une influence qu'ils n'avaient pas, que nos jardins et nos monumens publics ont offert des images que réprouve la pudeur; et c'est ainsi

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