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'AI le cœur tendre, l'ame douce, et des sentimens philanthropiques : quand je regarde ce qui se passe autour de moi, je suis loin de me croire dans le meilleur des mondes possibles; je ne vois pas un être souffrant sans souffrir moi-même, pas un ouvrage imparfait sans en être affligé. Le divin Platon a dit que nous portions en nous-mêmes le type immortel et céleste du beau et du bon je ne sais si ce type est plus fortement empreint chez moi que chez les autres; mais je ne saurais considérer un objet sans gémir de ses défauts, je voudrais les voir disparaître, rendre parfait tout ce qui existe, à commencer par moi-même. Ces pensées me suivent par-tout.

J'habitais autrefois un petit village sur les bords d'une belle rivière, et au milieu d'une plaine charmante; mais la misère de ses habitans, l'incivilité de leur langage, la pauvreté de leurs idées, l'insensibilité de leurs organes, les vices de leurs habitudes, la forme de leurs huttes, la malpropreté de leurs rues, et tant d'autres choses dont il serait trop long de vous parler, révoltaient tellement ma délicatesse, que

je me suis hâté d'aller établir mes pénates dans une petite ville voisine.

J'espérais que là tout serait mieux, que les idées y seraient plus justes, les connaissances plus étendues, les mœurs plus douces, les habitations plus saines, le goût des arts plus répandu. Je n'y ai trouvé qu'un esprit de cotterie, des tracasseries sans frein, des sociétés ennuyeuses, un amour déréglé du jeu, l'ignorance de toutes les sciences, une vanité insupportable.

Je me suis encore éloigné de ce séjour, et je me suis dit: Il n'y a rien de bien que dans la capitale ; c'est là que le génie a tout créé, le gout tout perfectionné, la science tout éclairé. C'est là que tout existe pour l'agrandissement de la pensée, la satisfaction de l'esprit et les besoins du cœur. Que ne saurai-je pas quand j'aurai assisté aux séances de l'Institut, au cours du collège de France, à ceux de l'Athénée des arts, aux lectures de l'Athénée de Paris, aux soirées de l'Athénée des étrangers, aux leçons de la Société d'agriculture, de la Société philotechnique, etc.? De quelles sensations ne seraije pas animé à la vue de tant de beaux établissemens institués pour le soulagement de mes semblables, de tant de magnifiques édifices consacrés à l'instruction, aux arts, à l'industrie! De quels charmes ne jouirai-je pas dans les entretiens de tant de savans, dans la conversation de tant d'hommes d'esprit, dans la société de tant de femmes spirituelles! Ces idées m'échauffèrent tellement la tête, que je me hâtai de rem

plir mes malles, de déménager de ma petite maison, d'abandonner ma province et ma petite ville, pour me rendre le plutôt possible à Paris. Hélas (si j'ose me servir d'une vieille expression)! depuis que j'y suis arrivé, que je me suis trouvé terriblement désapointé!

Cependant ma maladie n'est pas guérie ; je me flatte toujours que tout s'améliorera, et depuis que j'ai lu les romans philosophiques de madame de Staël, je ne doute plus de la perfection indéfinie, absolue et prochaine du genre humain.

Il n'est pas une découverte intéressante qui n'échauffe aussitôt mon imagination : les montgolfières et les ballons ont pensé emporter mon esprit, comme celui d'Astolphe, dans les régions de la lune ; j'ai vécu pendant un mois de soupes à la Rumford; je me suis éclairé avec le thermolampe ; j'ai mangé de la gélatine d'os cassés; je ne prends jamais mon café qu'avec la graine de l'iris palustris, et il n'est pas un jour de pluie où l'on ne me voie dans les rues couvert d'un drap impénétrable. Le galvanisme occupe sur-tout mes loisirs; tous les matins je m'amuse à faire danser des grenouilles; j'ai appris à des têtes de veau à me regarder quand je les mange, et à des langues de bœuf à remuer sur mon assiette. Qui me dira si quelque jour nous n'apprendrons pas à ressusciter les morts? Enfin, je suis tellement à l'affût de tout ce qui peut améliorer le sort de nous autres pauvres créatures humaines, que je me suis abonné à tous

les journaux, et qu'il n'est pas un article des Petites-Affiches et de la Bibliothèque PhysicoEconomique que je ne lise, et dont je ne fasse des extraits quand ils le méritent.

Ce travail me laisse encore le temps de faire des promenades; mais ce n'est ni à Tivoli, ni à Frascati, ni aux Champs-Elysées, ni au Jardin Turc, ni au Bosquet de Flore que l'on peut espérer de me trouver; je ne fréquente que les quartiers où l'on placarde les écriteaux, les annonces, les affiches; je parcours toutes les colonnes du Palais - Royal, tous les environs des édifices publics, pour me mettre au fait de ce que le génie de mes concitoyens invente pour l'amélioration et la prospérité du genre humain. Dès que j'aperçois de grandes lettres rouges, bleues, vertes, jaunes ou noires, je cours, je tire mes tablettes, je saisis mon crayon.

mais le plus souvent il m'arrive ce que j'éprouvai en arrivant à Paris: je me trouve terriblement désapointé, et je remets, tout honteux, mon crayon dans un étui, et mes tablettes dans ma poche.

Il y a quelques jours que je lisais ces mots en grosses lettres: VOS DÉSIRS SERONT SATISFAITS. Je les pris pour une expression prophétique; je m'approchai avec avidité, et la pupille de mes yeux se dilata pour lire plus. promptement; mais, hélas! que trouvai - je? qu'une certaine société qui fabrique du chocolat analeptique, avait quitté la rue du Mouton, et qu'elle s'était logée dans la rue de l'Oratoire,

pour satisfaire les habitans de ce quartier, qui aiment le chocolat analeptique. Je n'aime point le chocolat; c'est une pâte lourde et épaisse qui me gonfle les intestins et me donne mal à la tête.

Trompé dans ma première conjecture, je me dirigeai vers une autre affiche qui portait en tête ce mot, lequel, seul, vaut tout un dictionnaire : VÉRITÉ. La vérité est rare et difficile à découvrir, me disais - je; les anciens l'avaient placée dans un puits, d'autres l'ont logée dans un flacon; mais il paraît que personne n'a encore vidé ni le puits ni débouché le flacon: voyons cependant. Je m'approchai, et je vis qu'il était question d'oxigène, de phlogistique et de beaucoup d'autres belles choses revêtues de noms grecs que je ne comprends pas; je lus néanmoins jusqu'au bout, et la seule vérité que je découvris, c'est que la déesse Vénus avait, dans ce pays comme à Cythère, beaucoup d'adorateurs d'une mauvaise

santé.

J'ai heureusement de la constance dans le caractère, et je me décourage difficilement. Je jetai mes regards à quelque distance de moi, et j'aperçus, sur un placard violet: Voyez et croyez; ceci est de l'Evangile, me dis-je ; c'est le mot de J. C. à saint Thomas; il s'agit sans doute de quelque grand mystère. Voyons d'abord, et nous croirons ensuite, si nous pouvons. Me voilà au pied de l'affiche.

Quel prodige on m'apprend! un homme a saisi une puce dans ses habits, il l'a enchaînée ; et, pour la punir de l'avoir mordu, il lui fait

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