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contrastes, et ils en témoignaient quelquefois leur étonnement : mais les Athéniens étaient les premiers à rire de leur propre légèreté; ils répondaient à tout par un bon mot, convenaient de leurs torts, ne réformaient rien, et toujours frivoles, irréfléchis, volages, continuaient d'être le peuple le plus aimable, le plus poli et le plus brave de l'univers.

LE SIÈCLE DES LUMIÈRES.

Je suis né dans les provinces méridionales, et

j'ai toujours aimé beaucoup la lumière; je ne redoute rien tant que l'obscurité d'une nuit profonde : les rayons d'un beau jour répandent dans mon ame une sérénité et un charme inexprimable, et je ne connais point de sort plus à plaindre que celui de ces tristes oiseaux que la nature a condamnés à ne jamais contempler l'éclat du soleil.

Dès mon enfance je me suis félicité d'être né dans un siècle qu'on appelait, par-dessus tout, le siècle de lumières. J'étais persuadé que toutes les sciences et les arts s'étaient rassemblés d'âge en âge pour venir, par un généreux accord, éclairer, à la même heure, mon berceau privilégié.

J'ai été élevé avec ces idées heureuses: elles se sont accrues par tout ce que j'ai entendu dire autour de moi; et dès que mes forces, mon âge et ma fortune me l'ont permis, je me suis hâté d'abandonner le point obscur où le hasard m'avait placé, pour venir, au foyer des lumières, m'échauffer de tout ce que leur réunion a de plus vivifiant.

Aussitôt que je fus arrivé dans la brillante capitale de l'Empire, mon premier soin fut d'aller visiter ce palais magnifique, sur le frontis

pice duquel je vis, en grandes lettres: PALAIS DES SCIENCES ET DES ARTS. J'étais à peine arrivé dans la première cour, que j'aperçus un homme d'un âge avancé, vêtu d'un habit qui m'annonçait qu'il était membre d'une société savante, et qu'il devait être savant lui-même. Je m'approchai avec respect et circonspection; je lui dis Je cherche la lumière; je sais que Nous possédez une partie de ses rayons, daignez ne pas m'en refuser quelques parcelles.

Le savant me regarda avec bonté je vis dans ses yeux qu'il était gai et spirituel, et qu'il aimait à causer. Il m'assura qu'il était, depuis plusieurs années, occupé d'astronomie ; qu'il avait d'abord enseigné la langue latine; qu'il avait composé des drames; qu'il s'était égayé long-temps à dessiner des caricatures morales, politiques et littéraires, mais qu'il avait abandonné tous ces amusemens pour réformer le ciel. Il me déclara alors que son but était de détrôner Copernic et Newton; que leurs systèmes étaient déraisonnables; que jamais une ville n'avait tourné autour de ses réverbères, ni un salon autour du lustre qui l'éclaire; qu'il était par conséquent ridicule que la térre tournât autour du soleil ; qu'il avait remis chacun à sa place, et que la terre n'aurait plus dorénavant la peine de se déranger pour aller chercher son falot. Il tira en même temps une petite brochure de sa poche et me la remit en me disant: « Tenez, lisez ce petit écrit; il vous amusera: c'est une satire contre les astronomes; vous y trouverez la

preuve de tout ce que je viens de vous dire, et vous verrez bientôt que nous vivons enfin dans un siècle de lumières. »

A peine avait-il achevé ces mots, qu'un de ses collègues sortit d'une salle voisine et vint se réunir à nous. Le désir de l'entendre me fit rester encore quelques momens. Je viens, ditil, de faire de nouvelles découvertes : vous Vous occupez du soleil et de la terre, moi je m'occupe de la lune et de la canicule. J'ai découvert qu'il y a dans le ciel des constitutions australes et boréales; que la constitution australe produit le beau temps quand elle n'amène pas le mauvais, et que la constitution boréale amène le mauvais temps quand elle ne produit pas le beau. J'ai rédigé un almanach supérieur à celui de Liége; mes prophéties valent celles de Nostradamus; et quoiqu'il soit presque toujours arrivé qu'il ait fait froid quand j'ai annoncé du chaud, et qu'il ait plu quand j'ai annoncé de la sécheresse, mes découvertes n'en sont pas moins certaines.

Je viens de m'assurer aussi que la lune influe sur les plantes et sur les bois; qu'il ne faut pas planter un arbre dans la lune décroissante, parce qu'il pousserait mal; que les cheveux, qui sont aussi des plantes, doivent être taillés à la nouvelle lune, et qu'il faut couper ses ongles au dernier quartier, quand on ne veut pas les avoir longs. J'ai recueilli toutes ces observations pour en faire un volume; en attendant, je vais les publier dans un journal, afin de répandre les con

naissances et de rendre mon nom digne du siècle de lumières où nous vivons. En achevant cette phrase, il salua son collégue, et nous prîmes tous les trois la direction qui nous convenait.

J'avais traversé la rue de Seine, lorsqu'un de mes amis s'offrit à moi. Je ne lui dissimulai point le sujet qui m'avait amené à Paris, et le priai de m'enseigner s'il n'y avait point dans le quartier où je me trouvais, quelque école savante où je pusse aller accroître mes connaissances, et me pénétrer d'un nouveau respect pour le siècle de lumières dans lequel je vivais. Mon ami me mena dans une rue assez étroite, où j'aperçus un très-bel édifice, sur la porte duquel on lisait : ÉCOLE DE MÉDECINE. Je me disposais à y entrer, lorsque mon ami fut arrêté par un élève de sa connaissance. Vous avez, dit-il, le dessein d'entendre nos savans professeurs ; mais ils ne donneront pas de leçons aujourd'hui. Si vous voulez passer à la bibliothèque, je vous y montrerai des ouvrages nouveaux que quelques-uns de nos docteurs ont composés, et qui font honneur aux lumières du siècle et aux leurs. Je le suivis avec empressement : il ouvrit aussitôt plusieurs livres, dont l'un avait un titre fort savant, mais fort difficile à retenir. « Cette production, me dit-il, est un œuvre de génie; on l'appelle la Mégalanthropogénésie. On y enseigne à réformer les générations, à créer des hommes doués de toutes les qualités éminentes qui distinguent les héros et les esprits

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