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DES SAVANTS.

JANVIER-FÉVRIER 1918

ÉTUDES DE BIBLIOGRAPHIE LITTÉRAIRE.

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LOUIS LOVIOT. Études de bibliographie littéraire. Auteurs et Livres anciens (XVI et XVII siècles). Un vol. in-8, 206 p. et 1 f., trois planches hors texte et une carte, Paris, Fontemoing et Cie, 1917.

Je suis embarrassé pour rendre compte d'un livre qui m'a été très aimablement dédié; cependant les études de M. Loviot sont si curieuses, elles nous apportent la solution de problèmes littéraires depuis si longtemps discutés, que je me reprocherais de ne pas les faire connaître aux lecteurs du Journal des Savants.

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M. Loviot est un chercheur infatigable, qui ne se contente pas de vagues informations; quand il s'est proposé de résoudre une énigme, il ne néglige rien; il fouille les bibliothèques, les archives, les registres paroissiaux; il demande, s'il le faut, des renseignements au delà des mers, bref il ne s'arrête qu'après avoir trouvé la solution, une solution tout à fait incontestable. Il s'efforce surtout de nous faire connaître les auteurs dont il s'occupe, de les faire sortir d'une obscurité souvent volontaire; il attache moins d'importance aux sources, dont l'intérêt est parfois tout à fait secondaire. Quand il est maître de son sujet, il le présente sous une forme agréable et concise, peut-être même un peu trop concise.

Le volume que j'ai entre les mains se compose de dix-huit études, très diverses, publiées d'abord dans la Revue des livres anciens. La première est consacrée au mystérieux seigneur de Cholières, l'auteur

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à qui nous devons les Matinées (1585), les Après-Disnées (1587), La Guerre des masles contre les femelles (1588) et La Forest nuptiale (1600). M. Loviot démontre que le seigneur de Cholières n'est autre que Jean Dagoneau, de Mâcon, qui, après avoir été protestant, se fit chartreux et mourut en 1623. Son anagramme A Diane ou ange donne exactement Jean Dagoneau; un sonnet adressé par lui à Estienne Tabourot est signé J. D. S. de Cholières, c'est-à-dire Jean Dagoneau, sieur de Cholières; dom Ganneron, qui l'avait connu au Mont-Dieu, nous dit que son vieux confrère « avoit escript des livres de folastreries estant au siecle »; enfin une preuve plus formelle encore est fournie par un passage des Après-Disnées. Le conteur parle de la Rose des nymphes illustres composée par monsieur de céans, c'est-à-dire par Cholières; or cet ouvrage nous a été conservé dans un manuscrit de la Bibliothèque de Reims (n° 1902), lequel est intitulé: La Rose des nymphes illustres par Jean Dagonneau, Masconnois. On le voit, il ne s'agit pas de présomptions : la démonstration est complète.

M. Loviot résume très brièvement ce que l'on peut savoir de son personnage; il ne nous donne qu'une liste sommaire des ouvrages de dévotion publiés par le chartreux, et cependant ce sont des livres fort rares. L'édition du Reveil des chrestiens à la vie religieuse, publiée par Simon Saint-Martel à Toul en 1618, a échappé aux recherches de Beaupré sur l'imprimerie en Lorraine; l'édition originale de ce même livre, imprimée par la veuve de Jean de Foigny à Reims en 1598, est aussi un livre presque inconnu.

Je passe rapidement sur les chapitres I et III, consacrés à deux poèmes rouennais : La petite Bourgeoise, ou La Bourgeoise débauchée, et La Gazette (1609). M. Martin Löpelmann a réimprimé la première pièce à Berlin, et M. Loviot, la seconde à Paris il est facile de consulter ces reproductions.

La quatrième étude fait sortir de l'oubli un poète de Valréas, Antoine Prévost, à qui l'on doit un recueil de vers, L'Amant desconforté, imprimé cinq fois au moins, à Lyon ou à Paris, de 1529 à 1539. Prévost, réfugié dans la ville d'Avignon, au commencement de l'année 1529, a chanté la passion malheureuse qu'il avait conçue

pour une dame appartenant à l'une des premières familles du Dauphiné. Tout en assurant qu'il ne trahira pas le secret de la dame, il n'a pas craint de la nommer en toutes lettres dans un acrostiche qui termine son livre, et que M. Loviot a relevé. Il s'agit de Jehanne de Vesc, probablement fille de Rostaing, seigneur de Vesc et de Béconne, capitaine de cinq cents hommes de pied, tué à Pavie en 1525. Bien que les vers de Prévost aient un caractère assez personnel, ils eurent un succès attesté par les diverses réimpressions. Il est vrai qu'Alain Lotrian, qui fit les frais des deux dernières, y joignit plusieurs pièces, empruntées à d'autres auteurs; L'Amant desconforté, Le Dard de jalousie, L'Amour parfaite de Guisgarius et Sigismunde (traduction du De duobus amantibus de Leonardo Aretino par Jehan Fleury), enfin l'Epistre d'ung amant envoyee a sa dame par maniere de reproche. L'histoire du jeune poète de Valréas est curieuse, et son livre, négligé jusqu'ici, attirera désormais l'attention des bibliophiles.

Dans la cinquième étude, M. Loviot nous fait connaître Les fascetieux Devitz des cent Nouvelles nouvelles remis en leur naturel par le seigneur de La Motte Roullant, Lyonnois (1549). L'éditeur de ce recueil, Antoine (?) Roullant, sieur de La Motte, ne paraît pas avoir marqué. Les biographes ne savent rien de lui, et M. Loviot luimême, malgré ses efforts et sa perspicacité ordinaire, n'a découvert aucun document qui puisse éclairer la vie de ce personnage. On ne peut le juger que par son œuvre, et cette œuvre n'est pas brillante. Il a remanié et tronqué 86 des Cent Nouvelles nouvelles, en rejetant quatorze qu'il a jugées « indignes, sans saulces ne raisons »; il y a joint 23 contes empruntés à d'autres sources. Son remaniement est fait sans discernement et sans goût; il n'en a pas moins été reproduit en 1550, 1570 et 1574. Pernetti cite même une réimpression de 1584, que nous n'avons pas vue et qui n'existe peut-être pas. Plusieurs des contes ainsi remaniés ont passé dans les recueils postérieurs.

Bénigne Poissenot, qui est le sujet de la sixième étude, ne serait pas plus connu que le sieur de La Motte s'il ne nous avait donné dans ses œuvres quelques détails biographiques. Il était né vers 1558 à Genevrières, au sud-est de Langres. La figure de son maître

d'école, le curé de Pierrefaite Georges Pelleteret est des plus curieuses. A la fin de l'année 1572, Poissenot arrive à Paris. Il y trouve difficilement sa voie; il ne parvient pas à sortir de la misère; l'étude du droit ne peut l'en tirer. Il n'a de goût que pour les lettres; le manque de livres le force à se borner à des œuvres d'imagination. En 1583, il publie son recueil de contes auquel il donne un titre aimable: L'Eté; en 1586, il fait paraître six nouvelles, qu'il appelle Histoires tragiques. M. Loviot nous entretient de ces deux volumes. Il eût pu ajouter aux ouvrages de son auteur un sonnet imprimé, en 1585, en tête de l'Esther de Pierre Mathieu, et un autre sonnet qui précède la tragédie de Clytemnestre du même Pierre Mathieu en 1586. On ne sait rien de Poissenot après cette date.

C'est encore d'un recueil de nouvelles, Les Heures perdues de R. D. M., cavalier françois, que M. Loviot s'occupe dans son étude suivante. Il nous montre que les initiales, dont les éditeurs modernes n'ont pas réussi à percer le mystère, sont celles de René de Menou, sieur de Charnizay, gentilhomme tourangeau né le 18 novembre 1578, marié en janvier 1599 avec Nicole de Jousserand, mort le 10 mai 1651. René s'est fait surtout connaître comme éditeur du traité d'équitation de Pluvinel.

Après avoir réimprimé Le Passe-Partout du mardy gras, facétie très libre, dont l'auteur pourrait bien être Saint-Amant, M. Loviot aborde un sujet tout nouveau. Il nous entretient de dame Hélisenne de Crenne, qui s'appelait de son vrai nom Marguerite Briet. Originaire d'Abbeville, Marguerite, presque enfant, épousa Philippe Fournet, écuyer, seigneur de Cresne près de Coucy. Le nom sous lequel elle s'est fait connaître était donc celui d'un fief appartenant à son mari. Les deux époux ne restèrent pas longtemps unis. Hélisenne s'éprit d'un beau cavalier de vingt-deux ans. Alors commença un roman que la jeune femme a raconté elle-même dans ses Angoysses douloureuses imprimées à Paris en 1538. Le bibliographe a pu rétablir la plupart des faits racontés à mots couverts par Hélisenne. Il a identifié toutes les localités qu'elle cite; seul le beau cavalier Guénélic est resté obscur. En 1542 la dame de Crenne était toujours

à Paris où elle publia une traduction en prose de l'Énéide. Elle avait un fils. Pierre Fournet, à qui son père fit don, en 1548, de So livres de rente pour l'aider à faire ses études. Le dernier acte où M. Loviot avait rencontré le nom de son héroïne est une donation faite, au mois d'août 1552, par « demoiselle Margueritte de Briet, femme de Philippes Fournel sic], escuier, seigneur de Crasnes, et de luy sepparée quant aux biens, demourant à Saint-Germain-des-Prez-lezParis », en faveur de Christophe Le Manyer, écuyer, pour rémunération des « sallaires et scances » qu'elle avait reçus du donataire.

Les Noël: nouveaux pour l'année 1562, dont M. Loviot nous entretient ensuite d'après une édition de Jean Bonfons, ne réunissent que cinq pièces. Ils ne diffèrent guère des autres compositions du même genre dont le xvi siècle produisit un grand nombre.

François de Louvencourt, seigneur de Vauchelles, à qui l'on doit des Amours et autres oeuvres poëtiques (1595), une traduction française de l'Historia de duobus amantibus, Euryalo et Lucretia, d'Enea Silvio Piccolomini (1598), le Voyage du chevalier François Drach, admiral d'Angleterre, à l'entour du monde, traduit sur le texte latin (1613) et une Paraphrase et Traduction en vers du Psaultier de SaintAugustin (1626), appartenait à l'une des premières familles de Picardie. M. Loviot, qui nous parle de lui dans sa onzième étude, a reconstitué sa vie, Il nous raconte en particulier le voyage et les amours du jeune gentilhomme en Italie, et relève les vers italiens composés par lui, vers que nous avons eu le tort de ne pas mentionner dans nos Français italianisants.

C'est un livre célèbre que La Vida de Lazarillo de Tormes, longtemps attribuée à Diego Hurtado de Mendoza et dont on fait honneur aujourd'hui à Sebastian de Horozco. Une première traduction française de ce roman picaresque, par J. G. de L., parut à Lyon en 1560. Quel est l'auteur caché sous les initiales que porte le titre? La Monnoye a proposé Jean Garnier de Laval; M. Loviot recommande comme plus vraisemblable l'attribution à Jean Gaspard de Lambert, gentilhomme savoisien, qui fut un ami de Marc-Claude de Bullet, et lui a dédié des vers français et latins.

SAVANTS.

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