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avec laquelle on a des relations particulières. Il suffit qu'en aimant ie prochain comme soi-même, on ne les exclue point de cet amour général, si d'ailleurs on est disposé à leur rendre les services, leur accorder les secours dont ils peuvent avoir besoin dans un cas de nécessité : « Si esurierit inimicus tuus, ciba illum (1). » Hors de là, les aimer d'un amour particulier, c'est un acte de perfection, un conseil, et non une obligation (2).

362. On pèche contre la charité, lorsque en faisant une prière générale à Dieu, en récitant, par exemple, l'Oraison Dominicale, ou lorsque en faisant une aumône à ceux qui se présentent, on exclut un ennemi.

Ne pas saluer un ennemi n'est point un défaut de charité; mais refuser de le saluer, ou de lui rendre son salut, dans une conjoncture où ce refus sera un sujet de scandale pour le prochain, et sera pris pour un acte de rancune, d'inimitié, c'est un péché contre la charité; péché plus ou moins grave suivant les circonstances, auxquelles il faut avoir égard pour apprécier à leur juste valeur ces sortes de manquements.

363. Quelquefois on est obligé de prévenir un ennemi; savoir, lorsqu'il est notre supérieur, ou qu'on a lieu d'espérer, en le prévenant, de le ramener à de meilleurs sentiments. D'autres fois on n'est pas même tenu de lui rendre son salut. Un père, par exemple, un prélat, un magistrat peut ne pas répondre au salut d'un enfant, d'un inférieur, quand l'offense qu'il en a reçue est grave et récente; pourvu qu'il n'agisse point par haine, mais bien pour manifester sa douleur et son indignation (3).

Cependant un pasteur n'oubliera pas que le moyen pour lui de se gagner les cœurs et de les gagner à Jésus-Christ, c'est de prévenir en tout ceux qui se donnent pour ses ennemis, de leur rendre le bien pour le mal, de les bénir lorsqu'ils le maudissent, et de chercher à les excuser, autant que possible, devant Dieu et devant les hommes.

364. On pèche contre la charité, si on refuse de voir un ennemi, à moins cependant qu'on n'ait lieu de craindre de ne pouvoir se contenir en sa présence. On excuse, par exemple, une personne qui cherche, par ce motif et non par un sentiment de haine, à éviter la rencontre du meurtrier de son père, de son fils, ou la présence du corrupteur de sa fille.

(1) Prov. c. 25. v. 21..

(2) S. Thomas, Sum. part. 2. 2. quæst. 25. art. 8 et 9. (3) Voyez S. Alphonse de Liguori, Collet, Billuart, le P. Antoine, les Conférences d'Angers, etc.

Il n'est pas permis de se venger d'un outrage, d'une injure : la vengeance est réservée au Seigneur; c'est à lui à juger entre nous et nos ennemis qui font partie de son peuple : « Mihi vindicta, et «<ego retribuam. Et iterum; judicabit Dominus populum suum (1). »

365. C'est un devoir de charité de se réconcilier avec ses ennemis; et l'on pèche quand on ne veut pas entendre parler de réconciliation, de rapprochement. Mais c'est celui qui a offensé qui doit faire les avances et demander pardon. Si les deux parties se regardent comme offensées, c'est à celle qui a offensé la première ou qui a offensé plus grièvement, à faire les premières démarches. Si l'une et l'autre ont également tort, elles sont également obligées de se prévenir, et de saisir l'occasion convenable qui se présentera, pour opérer une réconciliation. Le plus souvent on ne réussit à les rapprocher que par l'intermédiaire de quelques amis qui ont de l'ascendant sur leur esprit.

On ne doit pourtant pas exiger de toutes sortes de personnes qu'elles demandent pardon à ceux qu'elles ont offensés. Quand ce sont des supérieurs qui ont manqué à leurs inférieurs, la prudence ne leur permettrait pas de faire une démarche qui compromettrait leur autorité. Un père doit en user avec son fils autrement que le fils avec son père; un maître avec son serviteur, autrement que le serviteur avec son maître; un supérieur avec son inférieur, autrement que l'inférieur avec son supérieur. Mais celui qui, à raison de son rang, est dispensé de demander pardon à la personne offensée, doit y suppléer en lui donnant des marques d'une bienveillance particulière, une satisfaction proportionnée à la peine qu'il lui a causée; car un supérieur ne doit jamais abuser de son autorité envers qui que ce soit.

366. Nous sommes encore obligés de pardonner à ceux qui nous ont offensés, même avant qu'ils aient reconnu leur tort. Sans cela, on ne peut recevoir de Dieu le pardon de ses péchés. Si vous ne pardonnez, le Père céleste ne vous pardonnera point non plus : « Si autem non dimiseritis hominibus, nec Pater vester dimittet vobis peccata vestra (2). »

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Mais autre chose est de pardonner, autre chose est de renoncer à ses droits. Tout en pardonnant bien sincèrement les injures qu'on a reçues, on peut recourir aux tribunaux pour en obtenir réparation, pourvu qu'on ne le fasse ni par esprit de vengeance, ni par animosité, ni par haine, mais uniquement pour conserver, par des

(1) Hebr, c. 10. v. 30.—(2) Matth. c. 6. v. 15.

voies justes et légitimes, son bien, son honneur, sa réputation, son crédit.

Cependant, si celui qui s'est rendu coupable envers nous nous offre toute la satisfaction que nous sommes en droit d'exiger, la charité ne nous permet plus de le poursuivre en justice, à moins qu'il ne soit un homme dangereux pour l'État, un fléau pour le pays. Encore, dans ce dernier cas, il est bien à craindre que celui qui, tout en disant qu'il pardonne à son ennemi, veut que la justice ait son cours, ne se fasse illusion, et n'agisse plutôt par passion que par amour du bien public (1). Les confesseurs y feront at

tention.

ARTICLE IV.

De l'Aumône.

367. La charité n'est point stérile; « Non diligamus verbo, ne« que lingua, sed opere et veritate (2): » elle se manifeste par des œuvres de miséricorde, dont les unes appartiennent à l'ordre temporel, et les autres à l'ordre spirituel. Les premières sont: de visiter les malades et les prisonniers; de donner à manger à ceux qui ont faim, à boire à ceux qui ont soif; de racheter les captifs; de vêtir ceux qui sont nus; d'exercer l'hospitalité envers les étrangers, et d'ensevelir les morts. Les œuvres spirituelles de miséricorde sont de donner conseil à ceux qui en ont besoin; de corriger les pécheurs; d'instruire les ignorants; de consoler les affligés; de pardonner à nos ennemis; de supporter les défauts du prochain; de prier pour les vivants, pour les morts, et pour ceux qui nous persécutent. Mais, après le pardon des injures dont nous avons parlé, les principaux actes de charité sont l'aumône et la correction fraternelle.

368. L'aumône proprement dite est un secours temporel qu'on donne aux indigents; elle est de précepte pour ceux qui sont en état de la faire; et cette obligation découle de la charité, qui nous prescrit d'aimer notre prochain comme nous-mêmes, de faire aux autres ce que nous voudrions raisonnablement qu'ils nous fissent a nous-mêmes. Aussi, Jésus-Christ déclare dans l'Évangile que les réprouvés seront condamnés au feu éternel, pour n'avoir pas fait l'aumône.

On distingue, relativement aux indigents, trois sortes de néces(1) S. Alphonse de Liguori, Theol. moral. lib. 11. no 29; Collet, le P. Antoine, les Conférences d'Angers, etc., etc. — (2) Joav, I. Epist. c. 3. v. 18.

sités : la nécessité commune, où se trouvent les pauvres qui n'ont pas les choses nécessaires à la vie, et qui ne peuvent se les procurer par le travail; telle est, généralement, la nécessité de ceux qui sont réduits à mendier: la nécessité grave ou pressante, qui met un homme en danger de tomber malade, ou de déchoir de sa condition: la nécessité extrême, où l'on est dans un danger évident de succomber, de mourir, si on ne reçoit promptement quelques se

cours.

369. On distingue aussi ce qui est nécessaire à la vie, et ce qui est nécessaire à l'état. Le nécessaire à la vie comprend ce qu'il faut pour se nourrir, s'habiller et se loger. Le nécessaire de l'état comprend ce qu'il faut pour se soutenir avec bienséance dans son rang, dans sa condition, sans faste et sans luxe. De cette distinction nait naturellement celle du superflu de la vie et du superflu de l'état.

Mais on ne peut fixer avec précision ce qui est ou n'est pas nécessaire à chacun selon sa condition; le superflu ne consiste pas dans un point indivisible; il est proportionné à la position, qui, n'étant pas la même pour tous, entraîne plus ou moins de dépenses. Il faut donc, sur cet article, s'en tenir au jugement des personnes sages et prudentes. « Hujusmodi necessarii terminus non est «< in indivisibili constitutus; sed multis additis, non potest dijudi«< cari esse ultra tale necessarium; et multis subtractis, adhuc re« manet unde possit convenienter aliquis vitam transigere secun« dum proprium statum. » Ainsi s'exprime saint Thomas (1).

370. Quand quelqu'un se trouve dans une nécessité extrême, nous sommes obligés, sous peine de péché mortel, à défaut d'autres, de l'aider non-seulement des biens superflus à notre rang, mais même des biens superflus à la vie et nécessaires à notre condition. Lui refuser le nécessaire, ce serait se rendre coupable d'une espèce d'injustice à son égard, coupable de sa mort: «< Res «< alienæ possidentur, cum superflua possidentur,» dit saint Augustin (2). « Pasce fame morientem; si non pavisti, occidisti. » C'est la pensée de saint Ambroise (3). Lactance n'est pas moins énergique : « Qui succurrere perituro potest, si non succurrerit, occidit (4). » On doit même le secourir des biens d'autrui, quand on ne peut le secourir de ses propres biens : « In casu extremæ necessitatis, dit saint Thomas, omnia sunt communia. Unde licet

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(1) Sum. part. 2. 2. quæst. 32. art. 6. - (2) Serm. CXLVII. — (3) De Officiis, lib. 1. c. 30. (4) Inst. div. lib. u. c. 11.

<< ei qui talem necessitatem patitur, accipere de alieno ad sui sus<< tentationem, si non inveniat qui sibi dare velit; et eadem ratione « licet habere aliquid de alieno, et potest de hoc eleemosynam dare, quin imo et accipere, si aliter subvenire non possit neces«<sitatem patienti. Si tamen fieri potest sine periculo, requisita << domini voluntate, debet pauperi providere extremam necessi« tatem patienti (1). »

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Mais il est important de faire remarquer que les expressions de S. Augustin, de S. Ambroise, de Lactance, de S. Thomas, et autres expressions semblables de quelques docteurs de l'Église, ne sont applicables qu'au cas dont il s'agit, au cas d'une nécessité extrême. Les prédicateurs auront donc soin d'en restreindre l'application à l'égard de ceux qui laissent un pauvre, une personne quelconque, périr ou mourir de faim, faute de secours, periturum, fame morientem. Hors de là, on ne serait plus dans le vrai, ce serait une exagération dangereuse, d'autant plus dangereuse qu'elle pourrait compromettre, dans l'esprit du pauvre, le respect dû à la propriété.

371. Ceux qui ont des biens superflus à leur état sont tenus, par le précepte de la charité, de secourir les indigents qui sont dans une nécessité pressante; et, pour pouvoir le faire, ils doivent s'interdire toute dépense vaine et frivole, ou qui ne serait point commandée par les bienséances de leur position. Le pape Innocent XI a censuré la proposition suivante, qui tendait à rendre illusoire l'obligation de l'aumône: «Vix in sæcularibus invenies, etiam in regibus, superfluum statui. Et ita, Vix aliquis tenetur ad elee«mosynam, quando tenetur tantum ex superfluo statui (2). »

Le précepte de l'aumône oblige surtout dans les calamités publiques, lorsque, par exemple, la disette se fait sentir, ou que le pays est ravagé par des inondations, par la guerre, ou par d'autres fléaux. Il peut arriver qu'on soit alors obligé de sacrifier au soulagement des malheureux, non-seulement les biens superflus à son état, mais même une partie des biens nécessaires pour le conserver en tout.

372. Quant à la nécessité commune, elle n'impose point d'obligation à ceux qui n'ont absolument que ce qu'il faut pour soutenir convenablement leur rang, leur condition. « De hujusmodi (bonis « sine quibus non potest convenienter vita transigi secundum con« ditionem) eleemosynam dare est bonum; et non cadit sub præcepto, sed sub consilio. Inordinatum esset autem, si aliquis tan

a

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(1) Sum. part. 2. 2. quæst. 32. art. 7.-(2) Décret de 1679.

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