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loin de rendre un acte moins volontaire, elle est au contraire une preuve de la force ou de l'intensité avec laquelle la volonté s'y porte, et ne peut par conséquent qu'en augmenter le mérite ou la malice. « Bona passio consequens judicium rationis augmentat me« ritum (1). Passio autem (mala) consequens non diminuit pecca « tum, sed magis auget, vel potius est signum magnitudinis ejus, «< in quantum scilicet demonstrat intentionem voluntatis ad actum " peccati; et sic verum est quod quanto aliquis majori libidine, vel concupiscentia peccat, tanto magis peccat (2). »

ARTICLE III.

De la Crainte et de la Violence.

25. La crainte, en général, est une inquiétude de l'âme, un trouble de l'esprit, un mouvement de répulsion, occasionné par la vue d'un mal dont on est ou dont on se croit menacé. On distingue la crainte qui vient d'un principe intérieur, et celle qui est imprimée par une cause extérieure.

La crainte qui provient d'une cause purement intérieure ou naturelle n'empêche pas qu'un acte ne soit volontaire. Un homme, étant dangereusement malade, promet à Dieu de faire une aumône aux pauvres, s'il revient en santé. Quoiqu'il agisse par la crainte de la mort, il agit volontairement et librement. De même, quand un marchand, ne croyant pas avoir d'autre moyen d'échapper au danger que de jeter à la mer les effets dont le navire est chargé, se résout à prendre ce dernier parti pour sauver sa vie, cette résolution est un acte volontaire; c'est une détermination libre, une démarche à laquelle il se porte de lui-même et avec choix (3).

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26. La crainte qui est imprimée par une cause extérieure peut être grave ou légère. Elle est grave, lorsqu'elle a pour objet un mal qui est de nature à faire impression même sur une personne forte telle est la crainte d'une mort probable et prochaine, dont on est sérieusement menacé de la part d'un ennemi; telle est encore la crainte de perdre sa réputation, son honneur, sa liberté, une partie notable de sa fortune, par suite de la méchanceté d'un homme. La crainte est légère quand son objet n'est pas un mal considérable, ou que, lorsqu'il est considérable, on ne le craint que faiblement, soit parce que les menaces ne paraissent pas sé

(1) Sum. part. 1. 2. quæst. 76. art. 6. quæst 6, art. 6.

· (2) Ibid.

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(3) S. Thomas, 1. 2.

rieuses, soit parce qu'elles ne peuvent que difficilement avoir des suites.

Pour juger si la crainte est grave ou légère, il faut avoir égard à l'âge, au sexe, à la condition et à la délicatesse des personnes qui peuvent en être affectées. Telle crainte qui ne serait pas jugée suffisante pour intimider un homme fort peut l'être à l'égard d'un enfant, d'un vieillard, d'un malade, d'une femme, surtout si elle est naturellement timide.

27. La crainte dont il s'agit est ordinairement l'effet de la vio→ lence. On entend par violence une force majeure, venant d'une cause extérieure et libre, qui nous porte à faire une chose que notre volonté désavoue. La violence est communément accompagnée de quelques menaces ou de quelques mauvais traitements, de la part de celui qui en est l'auteur. C'est ainsi que ceux qui persécutaient les premiers chrétiens leur faisaient souffrir les plus cruels tourments, pour les forcer à renoncer au christianisme.

La violence ou contrainte peut être plus ou moins grande, comme aussi la résistance de notre volonté peut être plus ou moins forte ou plus ou moins faible.

28. La violence n'atteint point les actes intérieurs de la volonté. Elle ne peut être forcée de vouloir une chose malgré elle : « Invitus « nemo potest velle; quia non potest velle, nolens velle, » dit saint Anselme (1) ou, comme s'exprime saint Thomas, il est contre la nature d'un acte de la volonté que cet acte soit forcé : « contra <«< rationem ipsius actus voluntatis est quod sit coactus vel vio<< lentus (2).

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Mais il n'en est pas de même des actes extérieurs : le plus fort peut contraindre le plus faible à faire une chose malgré lui, ou l'empêcher de faire ce qu'il veut faire : « Per violentiam exteriora "membra impediri possunt ne imperium voluntatis exsequantur (3).»

29. La violence à laquelle on résiste autant que possible, détruit le volontaire. Dieu ne nous impute point les actes extérieurs qu'on nous arrache, et auxquels la volonté ne prend aucune part. « Hinc ■ fœmina quæ omni modo resistit violentiæ, quæ illi infertur contra virginitatem, non peccat, etiamsi stuprum patiatur invita. Ainsi s'exprime saint Alphonse de Liguori, d'après saint Augustin (4). Mais celui qui ne résiste pas de toutes ses forces, celui qui, se laissant ébranler par les menaces, par la crainte même de la mort,

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fait une action mauvaise, immorale, pèche; et son péché peut être mortel en matière grave. « Si aliquis propter timorem quo refugit << periculum mortis, vel quodcumque aliud temporale malum sic « dispositus est ut faciat aliquid prohibitum, vel prætermittat ali« quid quod est præceptum in lege divina, talis timor est peccatum « mortale (1). »

30. Cependant, toutes choses égales d'ailleurs, son péché est moins grave que s'il agissait sans contrainte. « Diminuitur secun« dum aliquid ejus peccatum, quia minus voluntarium est quod ex « timore agitur (2). · » « Violentia secundum quid et insufficiens non « tollit, sed duntaxat minuit voluntarium,» dit saint Alphonse de Liguori (3).

Nous reviendrons sur cette question, en parlant des injustices, des vœux et des contrats, et particulièrement du contrat de mariage.

CHAPITRE IV.

De la Moralité des Actes humains.

31. Nos actions sont bonnes ou mauvaises, suivant qu'elles sont conformes ou contraires à la droite raison, à l'ordre moral, aux lois qui résultent des rapports de la créature avec le Créateur, de l'homme avec ses semblables, d'un inférieur avec ceux qui sont dépositaires du pouvoir ou de l'autorité. La moralité d'un acte consiste donc dans sa conformité à la loi qui en est la règle. « Bo<< nitas moralis actus humani consistit in quadam conformitate et « convenientia actus liberi cum recta ratione et lege, ita ut ille << actus dicatur bonus qui est conformis legi et rationi (4).

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32. Si on considère les actes humains en général, in specie, en s'arrêtant à leur objet, abstraction faite de la fin et des circonstances qui les accompagnent, il est vrai de dire qu'il y a des actes bons, des actes mauvais, et des actes indifférents, c'est-à-dire des actes qui ne sont objectivement ni bons ni mauvais. « Bonum est continentia, dit saint Jérôme, malum luxuria, inter utrumque «< indifferens ambulare (5).

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(1) S. Thomas, Sum. part. 2. 2. quæst. 125. art 3. (2) Ibid. art. 4. (3) Theol. moral. de Act. hum. no (4) S. Alphonse, Theol. moral. de

Act. hum. no 34. — (5) Epist. 89.

18.

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Mais si on envisage un acte en particulier, in individuo, c'est-àdire dans son objet, dans la fin qu'on se propose et dans les circonstances qui s'y rattachent, cet acte ne peut être indifférent sous le rapport de la morale; il est nécessairement bon ou mauvais. « Necesse est omnem actum hominis a deliberativa ratione procedentem, in individuo consideratum, bonum esse vel malum (1). » En effet, ou l'acte qui est indifférent de sa nature se rapporte au Créateur, ou il se rapporte à la créature. Dans le premier cas, il est moralement bon; dans le second, il est mauvais; car l'homme est obligé de rapporter toutes ses actions à Dieu : « Sive manducatis, sive bibitis, sive aliquid aliud facitis, omnia in gloriam Dei « facite (2). »

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33. On distingue trois choses dans un acte : l'objet, les circonstances et la fin. L'objet est la chose que l'on fait; les circonstances sont comme les accessoires de l'acte, qui se rapportent au temps, au lieu, à la qualité de la personne qui le fait, et à la manière dont cette personne agit. La fin de l'acte est le but qu'on se propose en le faisant.

Ces trois choses concourent à la moralité de nos actions. Premièrement, la moralité d'un acte dépend de la nature de son objet. En effet, les actions de l'homme sont bonnes ou mauvaises, suivant que leur objet, considéré sous le rapport moral, est conforme ou contraire à la loi qui le régit. Or, il est des choses que la loi commande; il en est qu'elle condamne. Les premières sont l'objet des actions moralement bonnes; les dernières sont l'objet des actions mauvaises. L'objet est donc nécessairement pour quelque chose dans la moralité de nos actes; il en est même la partie principale.

34. Secondement, les circonstances concourent aussi à la moralité des actes humains, elles en augmentent ou diminuent la bonté ou la malice. Ainsi, par exemple, qu'une personne indigente fasse une aumône modique, mème très-modique; cette action peut être beaucoup plus louable, beaucoup plus méritoire qu'une aumône considérable de la part d'un riche: comme aussi le vol en matière légère à l'égard d'un pauvre peut être plus coupable qu'un vol considérable à l'égard d'un homme qui est dans l'opulence. D'où vient cette différence? c'est évidemment de la diversité des circonstances. Il arrive même qu'à raison des circonstances un acte acquiert un nouveau caractère, une malice spéciale qu'il n'a point

(1) S. Thomas, Sum. part. 1. 2. quæst. 18. art. 9.—(2) I. Corinth. c. 10. v. 31,

de sa nature. Lorsque, par exemple, on vole dans une église, la circonstance du lieu fait que ce vol devient sacrilége, et lui donne une seconde espèce de malice, qu'il n'aurait pas s'il se commettait dans un lieu profane. Cet acte est tout à la fois contraire à la justice et à la religion.

Les circonstances qui influent sur la bonté ou sur la malice de nos actions sont au nombre de sept, qu'on exprime ainsi dans l'école : Quis, quid, ubi, quibus auxiliis, cur, quomodo, quando? Nous les expliquerons dans le traité des Péchés.

35. Troisièmement, la fin qu'on se propose en agissant concourt à la moralité de l'acte ; elle le rend bon ou mauvais, s'il est indifférent de sa nature. La promenade, par exemple, devient moralement bonne, si on la fait dans l'intention de se procurer du délassement, et de se mettre en état d'accomplir plus facilement ses devoirs. Elle est mauvaise, si elle est commandée par un motif de vanité, ou par un autre motif contraire à la sainteté de la morale évangélique.

La fin peut aussi augmenter la bonté ou la malice d'une action qui est bonne ou mauvaise dans son objet. Jeûner par esprit de mortification est une action louable; mais jeûner et pour se mortifier et pour pouvoir faire l'aumône, c'est une action, sans contredit, plus louable encore. De même, voler pour avoir de quoi s'enivrer ou se livrer au libertinage, est certainement, toutes choses égales d'ailleurs, un plus grand mal que de voler pour secourir une famille indigente. « Si objectum sit indifferens, tunc finis bonus « facit actum moraliter bonum, ut est ambulare ex obedientia ; << finis malus facit malum, ut ambulare ad ostensionem luxus. Finis « malus facit actum ex malo pejorem, ut furari ad concubinam alendam; et facit ex bono malum, ut eleemosynam dare ad va« nam gloriam (1). »

36. Enfin, comme on le voit par le texte que nous venons de citer de saint Alphonse, une action bonne de sa nature devient mauvaise par l'intention de celui qui la fait, lorsque cette intention est réellement mauvaise, et qu'elle peut être regardée comme cause déterminante ou comme principe de cette action. Exemple: jeûner est acte de vertu; jeûner par hypocrisie, c'est un péché. « Si objectum sit bonum, finis vero operantis sit malus; actus huma«nus est totus malus ex malitia finis quæ destruit omnem boni« tatem (2). »

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(1) S. Alphonse de Liguori, Theol. moral. de Actibus humanis, no 38. (2) Ibid.; S. Thomas, Sum. part. 1. 2. quæst. 18. art. 4 et 6.

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