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propre mouvement, devant les juges pour faire connaître le coupable. En ne le faisant pas, il pécherait contre la charité, si sa déposition était nécessaire pour empêcher l'innocent d'être opprimé; mais il ne pécherait point contre la justice. Il en est de même de celui qui s'éloigne de son pays pour n'être pas assigné : « Licet possit ille graviter peccare contra charitatem, dit saint Alphonse de Liguori, non tamen peccat contra justitiam, cum nemo tenea«tur, præcepto superioris, parere antequam ei imponatur (1). » Mais l'exemptera-t-on de l'obligation de restituer, si, étant assigné, il refuse de comparaître, ou si, étant juridiquement interrogé, il s'obstine à garder le silence? Plusieurs théologiens pensent qu'il est alors obligé de restituer; mais nous regardons comme plus probable le sentiment de ceux qui le dispensent de la restitution. Il est vrai qu'il pèche, et contre la charité à l'égard du prochain, et contre l'obéissance à l'égard des magistrats, et même contre la vertu de religion, s'il a prêté serment de dire la vérité; mais on ne peut pas dire, ou du moins on ne peut prouver, qu'il pèche contre la justice commutative: « Testis legitime interrogatus a judice non << tenetur veritatem deponere, nisi aut ex præcepto judicis, aut « ratione juramenti præstiti; unde tacendo veritatem non peccat « contra justitiam, sed tantum contra obedientiam (2). » Il en serait autrement s'il se rendait coupable d'un faux témoignage, comme nous aurons l'occasion de le faire remarquer sur le huitième précepte.

969. Ceux qui sont préposés, par les communes ou par des particuliers, à la garde des bois, des champs, des vignes ou d'autres propriétés, sont tenus, d'office, d'empêcher tout dommage, toute dégradation, et de dénoncer le délinquant, sous peine d'être obligés solidairement de réparer le tort qu'ils auraient laissé faire : « Te<< nentur ad restitutionem custodes vinearum, sylvarum, agrorum, piscinarum, qui damna non impediunt, vel facta non manifes« tant (3). Tenentur crimen denuntiare vel accusare... Alias tenen« tur ad restitutionem damnorum quæ ob omissionem accusationis « obveniunt (4). » Mais s'ils négligent de remplir leur devoir à cet égard, sont-ils tenus de payer l'amende qu'on aurait infligée au coupable? C'est une question controversée : les uns affirment, et les autres nient. Le second sentiment nous paraît assez probable pour

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(1) Lib. iv. no 270; de Lugo, Lessius, Bonacina, etc.—(2) S. Alphonse de Liguori, ibidem; de Lugo, Lessius, Vogler, Sylvius, Billuart. (3) S. Alphonse, lib 1. n° 574.- (4) Ibid lib. iv. no 236.

pouvoir être suivi dans la pratique : en omettant de dénoncer le coupable, les gardes pèchent contre la justice légale; mais il ne parait pas qu'ils pèchent contre la justice commutative, pour ce qui a rapport à l'amende ; car l'État, les communes, les particuliers, n'ont de droit acquis à la valeur de l'amende qu'après la sentence du juge (1). Ce que nous avons dit des gardes s'applique aux préposés du Gouvernement, chargés de faire payer les impôts, soit directs, soit indirects (2).

ARTICLE VII,

De Ceux qui ont concouru au dommage d'autrui, en empêchant quelqu'un de réaliser un bénéfice.

970. Si celui qu'on empêche d'obtenir un bien, un avantage estimable à prix d'argent, un bénéfice quelconque, y a un droit acquis, celui qui l'empêche efficacement d'obtenir ce bien, cet avantage, ce bénéfice, se rend coupable d'injustice, quand même il n'aurait recours ni à la fraude, ni à la violence, ni aux menaces, employant seulement des sollicitations ou des prières capables d'empêcher moralement celui dont il s'agit d'obtenir ce qui lui est dû. Il devient, comme conseiller, complice du tort qu'on lui fait, et contracte l'obligation solidaire de le réparer.

971. Si, au contraire, celui qui est empêché d'obtenir un bien n'y avait pas de droit acquis, il faut distinguer: ou celui qui l'empêche d'obtenir ce bien, ou de faire un certain bénéfice, fait usage de la fraude, du mensonge, de la calomnie, de la violence, des menaces ou de tout autre moyen illicite; ou il use seulement de prières et de sollicitations pour détourner celui dont on pouvait espérer ce bien. Dans le premier cas, on pèche contre la justice ; car, quoique l'empêché n'ait aucun droit acquis à la chose, au bien qu'il désire et espère obtenir, il a le droit acquis de n'en être point privé par des voies illicites et injustes. Celui qui l'empêche est donc obligé de restituer, proportionnellement à l'espérance que l'empêché avait d'obtenir la chose ou le bien dont il s'agit. Cependant, s'il s'agissait d'un bénéfice ecclésiastique, d'un emploi public ou de tout autre emploi, ce ne serait point aller contre la justice que d'en éloigner d'une manière quelconque un sujet qui serait certainement inca

(1) S. Alphonse de Liguori, lib. 1v. no 236; Lessius, de Lugo, Sanchez, Tanner, Azor, Bannès, etc., etc. - (2) S. Alphonse, ibidem.

pable ou indigne, pourvu toutefois qu'on réparât le tort qu'on aurait pu lui faire d'ailleurs, en se permettant, par exemple, la

calomnie.

972. Dans le second cas, on n'est point obligé à la restitution; car les prières et les sollicitations laissent parfaitement libre celui duquel on espère obtenir quelque bien, quelque avantage. Sur ce principe, ce n'est point pécher contre la justice que de détourner une personne, par des conseils ou des prières, de faire un legs ou une donation en faveur de celui que cette personne voulait gratifier ce qui est vrai, très-probablement, lors même qu'on agirait par un sentiment de haine ou d'envie; car ce sentiment, quoique contraire à la charité, n'entraîne l'obligation de restituer que quand il est suivi d'un acte damnificatif de sa nature (1). Néanmoins il en serait autrement, si, pour faire changer les dispositions bienveillantes d'une personne envers une autre, on avait recours à des sollicitations d'une importunité excessive, ou à des prières capables d'imprimer une crainte révérentielle : cette personne ne serait plus suffisamment libre.

CHAPITRE XXVI.

De l'Obligation solidaire en matière de restitution.

973. Outre la solidarité qui résulte d'une convention, et dont nous avons parlé en expliquant les obligations conventionnelles, il peut y avoir solidarité pour cause de coopération ou de complicité en matière de délit. Cette seconde espèce d'obligation solidaire est celle par laquelle on est tenu de réparer la totalité d'un dommage, en sorte que ceux qui ont le plus influé sur le dommage, comme cause principale, soient tenus les premiers à cette restitution totale, et les autres seulement à leur défaut, sauf leur recours sur ceux qui étaient tenus les premiers, ou sur ceux qui devaient restituer avec eux. L'obligation solidaire de réparer un dommage existe entre tous ceux qui y ont coopéré, de manière à ce que tous et chacun d'entre eux puissent être regardés comme cause totale et

(1) S. Alphonse de Liguori, lib. m. no 584; Billuart, Navarre, Soto, Lessius Laymann, Sylvius, etc.

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efficace, physique ou morale, positive ou négative, de tout le dom mage. Ce principe, fondé sur le droit naturel, est consacré par les lois humaines : « Tous les individus condamnés pour un même «< crime, ou pour un même délit, sont tenus solidairement des amen« des, des restitutions, des dommages-intérêts et des frais (1). » 974. Pour qu'une personne soit obligée solidairement de réparer un dommage commis par une autre personne, il ne suffit pas qu'elle en ait été l'occasion, il faut qu'elle puisse en être regardée comme la cause efficace. Exemple: Paul, de son propre mouvement, entre dans une vigne pour y voler des raisins; Pierre prend de là occasion de faire la même chose; Antoine en fait autant, n'étant mû que par l'exemple de Paul et de Pierre. Dans ce cas, Paul n'est obligé de restituer que la valeur de ce qu'il a volé; il en est de même de Pierre. Le mauvais exemple de Paul n'est point par lui-même la cause efficace du vol dont les deux autres se sont rendus coupables; il n'en est que l'occasion (2). Nous pensons qu'il faudrait donner la même décision lors même que Paul, en volant, aurait eu l'intention de déterminer, par son exemple, les autres à faire comme lui. L'intention de Paul, quoique condamnable, étant purement inté rieure, ne rend pas plus efficace le mauvais exemple qu'il a donné.

975. Mais si plusieurs, d'un commun accord, concourent effica cement à un dommage, en s'excitant les uns les autres à commettre un crime, un délit, ils sont tous tenus solidairement à la réparation de ce dommage; en sorte que si tous, à l'exception d'un seul, refusaient de le réparer, celui-là serait tenu de le réparer en entier, sauf son recours sur ses coopérateurs; et cela, suivant le sentiment le plus probable, quand même le dommage eût été porté sans le concours de tel ou tel complice. Nous pensons que cette décision est applicable dans tous les cas où plusieurs contribuent au même dommage, agissant de concert et se prêtant un mutuel secours, soit que l'objet de ce dommage soit divisible, comme, par exemple, le dégât qu'on commet dans une vigne, dans un jardin ou dans un tas de blé; soit qu'il s'agisse d'une chose indivisible, d'une maison, par exemple, ou d'un vaisseau qu'on aura brûlé. Cependant, si plusieurs ouvriers ou domestiques, d'après l'ordre de leur maître commun, commettaient un vol ou un dégât divisible dans un bois, dans une vigne, ou dans un champ, sans s'entr'aider ni s'exciter les uns les autres, nous pensons qu'à défaut du maître ils ne seraient point te

(1) Code pénal, art. 55, 59, 244. —(2) S. Alphonse de Liguori, líb. tu. no 537; Sanchez, Vasquez, Laymann, etc.

nus solidairement de réparer tout le dommage; il suffirait que chacun réparât le dégât qu'il aurait fait par soi-même, nul d'entre eux ne pouvant être regardé comme cause totalc et efficace, soit physique, soit morale, de tout le dommage.

976. Tous ceux qui sont obligés solidairement de réparer une injustice, n'y sont pas tenus dans le même ordre. 1° S'il s'agit d'une chose volée, celui qui en est détenteur est tenu, en premier lieu, de la rendre à qui de droit, ou d'en payer la valeur, dans le cas où il l'aurait consommée de mauvaise foi. Cette restitution étant faite, les complices du vol sont déchargés de toute obligation. Seulement ils peuvent être tenus solidairement de réparer le tort extrinsèque que le maître de la chose aurait éprouvé par suite du vol. 2o S'il s'agit d'un dommage autre que celui qui résulte du vol ou de la rapine, de l'incendie d'une maison, par exemple, c'est celui qui a commandé ce dommage qui est tenu le premier à le réparer; il en est la cause principale. Par conséquent, s'il le répare ou s'il en est dispensé par le créancier, les autres coopérateurs ne sont tenus à rien. Après le mandant, vient celui qui a exécuté ses ordres; car il est après lui la cause principale du dommage. S'il le répare, ou si le créancier lui fait remise, le conseiller, le consentant et autres coopérateurs, à l'exception cependant de celui qui a commandé le dommage, sont déchargés de toute obligation. Dans ce cas, le mandant demeure obligé envers l'exécuteur qui a restitué, ou envers le créancier qui a fait remise à celui-ci, à moins que le créancier n'ait en même temps dispensé de toute réparation celui qui a été la première cause principale. A défaut de la réparation de la part de l'exécuteur ou du mandant, le conseiller et les autres coopérateurs positifs sont tenus solidairement de réparer tout le dommage; mais aucun d'eux n'est tenu avant les autres. Si l'un de ces coopérateurs répare tout le dommage, il devient créancier des autres pour la part de chacun seulement; ceux-ci ne sont point tenus solidairement envers lui. Enfin viennent les coopérateurs négatifs; ils ne sont tenus à la restitution qu'après les coopérateurs positifs, et ils se trouvent placés au même rang; aucun d'eux n'est obligé de prévenir les autres. Mais celui des coopérateurs négatifs qui a réparé le dommage a son recours sur les autres coopérateurs, soit positifs, soit négatifs, en suivant l'ordre que nous venons d'indiquer, à commencer par le détenteur de la chose volée, le mandant, ainsi de suite.

977. Pour ce qui regarde la pratique au sujet de la solidarité, comme il est difficile de persuader à certains fidèles, comme sont

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