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MARIE TINTORET.

ES enfans participent quelquefois des vertus de leurs parens & l'on ne s'étonnera point que Marie Tintoret foit devenuë habile dans un art où fon pere fe rendit fi illustre. Elle vint au monde en 1560. avec un efprit vif, d'heureuses difpofitions pour le deffein, une mémoire prompte à recevoir les traces, fidelle à les conferver, & exacte à les représenter. Tintoret prit un foin particulier de feconder de fi grands talens. Dans fon bas âge il habilloit fa fille en garçon, & il la menoit avec lui; on lui apprit à jouer des inftrumens où elle excella en peu de temps. Marie s'attacha au genre de peinture qui convenoit le mieux à son sexe. L'hiftoire demande trop d'application &

MARIE TINTORET.

des études infinies; il faut deffiner des modéles nus & des MARIE figures antiques. Le portrait exige moins de parties, il est TINTORET. plûtôt exécuté & plus utile à l'artiste.

Le Tintoret qui a fait des portraits auffi beaux que le Titien, enseigna à fa fille une pratique aifée & foutenuë d'un excellent goût de couleur; il n'en fallut pas davantage pour mettre au grand jour l'habileté de Marie.

Ma

Son premier ouvrage fut le portrait de Marc dei Vefcovi dont la barbe fut admirée, elle fit auffi celui de fon fils Pierre. Chacun attiré par fes talens, vouloit fe faire peindre par rie, la fingularité y entroit peut-être pour quelque chofe. La joye du Tintoret augmentoit avec la réputation de fa fille; fes progrès l'étonnoient & le fuccès qui enfuivoit ne lui étoit pas infructueux,

Jacob Strada antiquaire de l'Empereur Maximilien se mit fur les rangs, il fe fit peindre & donna fon portrait à l'Empereur fon maître comme une chofe rare : ce portrait acquit un grand nom à Marie; l'Empereur la fit demander à fon pere; Philippe II. Roy d'Espagne & l'Archiduc Ferdinand en firent autant. Tintoret qui aimoit fa fille, refufa tous ces avantages; il ne voulut point la laiffer partir, & la maria à un joaillier à condition de demeurer avec lui.

Marie avoit fuccé le goût de fon pere; elle peignoit aifément, une touche légère & badine, un coloris excellent foutenoit le mérite de la reffemblance de fes portraits : elle donna plufieurs fujets de fon invention, d'autres furent tirés de fon pere, & elle fit les portraits de tous les amis de fon

mari.

La mort l'enleva à la fleur de fon âge dans la ville de Venise en l'année 1590. à l'âge de trente ans. Son & pere fon mari la pleurérent toute leur vie; on la porta dans l'Eglife de fanta Maria del horto où elle fut inhumée. On ne connoît aucun deffein de Marie Tintoret. Ses ouvrages qui font prefque tous des portraits, font répandus dans les maifons de Venife, & même plufieurs ont paffé dans quelques parties de l'Europe.

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N ne peut contester à André Schiavone le titre
de grand peintre, il a eu de même que tous les SCHIAVON.
artiftes fon mérite & fes défauts. Sebenigo en

Dalmatie états de Venise le vit naître en 1522.

Ses parens d'une condition médiocre l'envoyérent tout jeune à Venise. Son premier emploi fut de fervir les peintres qui travailloient dans des boutiques, fon efprit s'ouvrit, & fa forte inclination pour cet art lui fervit de maître. Les grands génies naiffent ce qu'ils font, le temps montre & développe les talens, mais il ne les donne point. Les ouvrages du Giorgion, du Titien, du Parmesan perfectionnérent le Schiavone.

Il peignoit ordinairement des bancs, des façades de mai

fons, & quelques autres tableaux qui lui fourniffoient à peine SCHIAVON. de quoi vivre, enforte qu'il portoit lui-même fes ouvrages chez les marchands. Le Titien eut pitié de fa fituation, il l'employa avec d'autres peintres aux ouvrages de la bibliothéque de faint Marc. Il peignit en concurrence du Tintoret la vifitation de la Vierge pour les peres de fainte Croix. On fit cas de fon ouvrage quoiqu'un peu dur; mais le Tintoret le furpaffa dans le deffein & dans la vigueur du coloris. Ce même Tintoret avoit toujours un tableau du Schiavone devant les yeux lorfqu'il peignoit ; fon ftyle & fon goût de couleur lui plaifoient, il confeilloit même à tous les peintres d'en faire autant, le comparant au coloris & à la maniére du Baroche; il n'en étoit pas de même du deffein; il les auroit repris vivement, s'ils n'euffent pas deffiné plus correctement que le Schiavone.

On regarde ce peintre comme un des grands coloristes de l'école Vénitienne; sa maniére eft vague, agréable & trèsspirituelle, avec un goût de draper fes figures eftimé de tous les peintres; elles font gracieuses, sveltes, fes têtes de femmes admirables, & celles des vieillards bien touchées; les attitudes en font choifies & fçavamment contrastées; la facilité avec laquelle il opéroit ne fe peut trop remarquer. Il avoit coûtume de faire fes teintes, & de les laiffer quelques jours préparées fur fa palette fans les employer; c'eft ainfi qu'il formoit des chairs fi fraîches qu'elles paroiffoient

vivantes.

Avec de fi rares talens, le Schiavone avoit de la peine à fubfifter, il étoit obligé de peindre de pratique, & d'aller fort vîte fans avoir le temps d'étudier. Il auroit fallu deffiner plus long-temps pour joindre la correction aux autres belles parties répandues dans fes tableaux : c'est le coloris, il est vrai, qui appelle le fpectateur; le bon peintre cependant ne doit pas s'attacher à cette feule partie de la peinture, il est dans l'obligation de les pofféder toutes, Le Schiavone fouffroit fon état de pauvreté avec patience, & il étoit fi mal vétu qu'on ne l'auroit jamais pris pour un homme diftingué dans fon art.

Ce peintre devoit à l'amitié de l'Arètin l'élévation des penfées de fes tableaux & une partie de fa réputation. On ne peut lui reprocher que fon peu de correction,

Il mourut à Venife en 1582. dans fa foixantiéme année,

n'ayant pas laiffé de quoi fe faire enterrer; fes amis y pourvû

rent, ils le firent porter dans l'Eglife de faint Luc, & lui dref- SCHIAVON. férent une épitaphe. Ses éléves ne font point connus.

Il n'y a rien de fi rare que les deffeins du Schiavone: quoiqu'incorrects, ils font très-piquans & plufieurs paffent pour être du Parmesan. Le trait est toujours fait à la plume, ils font lavés au bistre relevés de blanc au pinceau : il y en a entiérement faits à la plume dont les hachures font prefque perpendiculaires avec des traits_croifés dans les ombres : les figures gigantefques, leurs coëffures, leurs extrémités dans le goût du Parmesan quoique moins élégantes, font les vraies marques de ce maître.

On voit de fa main dans l'Eglife del Carmine à Venise saint Pierre, faint Paul, le prophéte Elie & les quatre évangélistes dans les angles proche le choeur. Il y a encore dans un grand rond une Vierge foutenue de plufieurs anges, & une préfentation au Temple. A faint Apollinaire un tableau de plufieurs faints, & une annonciation dans les pilaftres de la chapelle. A faint Sébastien Notre Seigneur chez Cléofas & Luce, une Vierge avec le Jefus, faint Jean & faint Joseph; Pilate qui fe lave les mains dans la facriftie, les pélerins d'Emmaüs. Dans l'Eglife des Cruciferi une Vierge & fainte Elifabeth. Dans le palais faint Marc on voit trois ronds qui ornent la bibliothéque. Dans le palais Zanni il a peint à frefque une Galatée, & dans celui Bozza un plafond où eft l'Aurore, dans un autre un Bacchus & autres fujets de la fable. Dans le palais Prioli il a représenté la vie de faint Jean.

Le Grand Duc a un Sanson qui tuë avec une machoire d'âne un Philiftin.

L'Electeur Palatin à Duffeldorf a dans fa galerie un crucifiement avec quantité de figures, Jefus-Chrift mis dans le Sépulcre, le portrait du Giorgion.

Le Roy poffede un faint Jérôme dans un païfage.

M. le Duc d'Orléans a un Philofophe, un Chrift mort, Pilate qui lave fes mains, tous trois grands comme nature, un Chrift au tombeau peint fur bois, petit tableau.

On trouve dans la galerie de l'Archiduc treize tableaux gravés par Van Keffel, Boël, Lauvers, Troien, Lifibetten, & Jupiter & 10 dans le recueil de Crozat.

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