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de faint Antoine Abbé. Son mérite l'éleva au-deffus des peintres Vénitiens qui travailloient avec lui.

PAUL

Plufieurs morceaux de fa main entr'autres le plafond de la VERONESE. facristie de faint Sébastien étonnérent les connoiffeurs, & les religieux dans la fuite lui donnérent à peindre toute leur Eglife. Le Sénat toujours attentif à encourager les talens & à les employer, mit Paul Veronefe dans le palais des Procuraties en concurrence avec les meilleurs peintres Vénitiens : une chaîne d'or fut le prix de la victoire qu'il remporta au jugement même de fes camarades, que le Titien & le Sanfovin qui en étoient les juges confultérent féparément.

Paul étoit plus propre aux grands morceaux qu'aux petits tableaux, dans lefquels le feu de l'imagination fe ralentit, au lieu que dans les grandes machines, les productions font pleines de chaleur & de véhémence. Ses penfées étoient fi belles, fi nobles qu'on croyoit qu'il les avoit dérobées à la poëfie.

Il retourna à Verone, & il peignit dans le réfectoire des peres de faint Nazare, N. Seigneur chez Simon le lepreux, ouvrage qui répandit en tout lieu la gloire de fon nom. De retour à Venife il continua les peintures de faint Sébastien, qui le mirent de niveau avec les plus grands peintres auxquels de tels fuccès firent naître la jaloufie. Le Guide difoit de lui, que s'il avoit à choifir parmi les peintres, il voudroit être Paul Veronefe, que dans tous les autres on reconnoiffoit l'art, au lieu que chez Paul, la nature étoit dans tout fon éclat.

Ce peintre étoit recommandable par fes grandes ordonnances, par le beau choix de fes fujets, par le gracieux de fes têtes, par leur variété, par (a) l'abondance de fa veine, par la fraîcheur de fon coloris, & par le mouvement de fes figures: vrai dans fes expreffions, il ne cherchoit que le naturel, fes couleurs locales & fes fonds d'architecture font admirables. Paul évitoit de peindre noir, il ne mettoit des glacis que dans les draperies; il a pofé fes couleurs vierges fi fraîches & avec tant de liberté, qu'il eft le feul dans ce genre. Ce grand artiste confultoit la nature en tout; il fçavoit en habile homme la reformer à propos, & fa penfée élevée cherchoit des attitudes extraordinaires. Ses draperies font un peu dans le goût de celles d'Alberdurer, fouvent il mettoit fur les demiteintes de fes draperies de l'azur à gouaffe, pour qu'elles s'entretinffent plus fraîches. Il fuffifoit qu'il eût vu une chofe

(a) A Venife on l'appelloit felon Ridolfi fertiliffimo

PAUL

pour s'en reffouvenir toujours, en y ajoutant même des graces & de la nobleffe: en effet, il a, pour ainfi dire, augmenté la VERONESE. joye, il a rendu la beauté plus brillante, a rencheri fur le rire, & a donné un caractére de vie à toutes les figures qu'il a peintes.

Paul accompagna à Rome le Procurateur Grimani Ambas fadeur de la République près du Pape. Il parut à fon retour à Venife par les ouvrages qu'il fit au palais faint Marc, qu'il avoit encore ajoûté à fon grand fçavoir tout ce que lui avoient infpiré les ouvrages de Raphaël, de Michel-Ange & les belles figures antiques. Le Sénat reconnut ce nouveau mérite, & le créa chevalier de faint Marc.

Il travailloit uniquement pour la gloire, à peine dans les ouvrages qu'il a faits pour les couvens retiroit-il fon déboursé; il demeuroit fouvent chez les moines pour des affaires qui l'obligeoient à fe cacher. Paul a toujours foutenu l'honneur de la peinture, attendant l'ouvrage fans l'aller chercher comme faifoit le Tintoret. Sa concurrence avec ce peintre n'a pas peu contribué à le rendre habile : les arts font affez connoître le befoin qu'ils ont d'un peu d'émulation & de récompenfe. On ne peut reprocher à Paul, comme au Tintoret ou au jeune Palme, qu'il ait trop fait de tableaux; leur grand nombre n'en diminuë point la perfection, & il ne s'eft jamais oublié. Dans l'obligation où il s'eft trouvé de repéter les mêmes fujets, c'étoient toujours de nouvelles graces & des fcénes variées.

Philippe II. Roy d'Efpagne le demanda pour orner fon beau couvent de l'Efcurial; Paul, qui aimoit fon pays où il étoit confidéré, représenta qu'il ne pouvoit abandonner fes grands ouvrages commencés. Il envoya donc Frédéric Zucchero en fa place. Perfonne ne s'eft plus acquis l'eftime des grands & l'amitié de fes confréres que Paul, jufqu'au Titien même qui l'embraffoit toujours quand il le rencontroit dans les rues. Quoiqu'il fût magnifiquement vétu & qu'il entretînt fa famille avec honneur, il ne laiffa pas d'amaffer par fon économie des biens confidérables. Voici un trait de la générofité; dans un voyage qu'il fit aux environs de Venife, furpris par un mauvais temps, il vint demander l'hofpitalité dans la maison de campagne des Pifani : il y trouva une réception des plus gracieuses. Pendant le féjour qu'il y fit, il peignit fecretement la famille de Darius compofée de vingt figures

grandes comme nature; il roula le tableau fous fon lit en s'en allant, & manda aux Pifani qu'il leur avoit laiffé de quoi PAUL payer fa dépenfe. Je tiens ce trait du Procurateur Pifani qui Veronese. m'a fait voir ce beau tableau, les figures d'Alexandre & de Parmenion font parfaites, & l'affliction eft peinte fur la malheureufe famille de Darius.

Paul toujours attentif à fa gloire fit graver par Auguftin Carrache fon tableau de fainte Juftine de Padouë, le fameux mariage de fainte Catherine, le beau crucifiement de l'école de faint Roch, la tentation de faint Antoine Abbé, Villaméne grava la purification de la Vierge & plufieurs autres ont travaillé d'après lui. La coûtume de Paul Veronese en peignant étoit de tirer fon jour d'un peu haut pour occafionner de plus grandes ombres. Il profitoit adroitement de tout ce qu'il voyoit, & furtout des deffeins du Parmesan qui étoient fort de fon goût. Quoiqu'il ait peint quantité de fujets de métamorphofes, il y en a très-peu de libres. Paul difoit que pour bien juger de la peinture, il falloit être inftruit des régles de l'art, & que de s'y appliquer fans un talent naturel, c'étoit femer fur les ondes.

Ce grand peintre s'étant trop échauffé à suivre une proceffion, la fièvre le prit, & il mourut à Venise en 1588. dans fa cinquante-huitième année. Les peres de faint Sébastien par reconnoiffance lui donnèrent la fépulture dans leur Eglife; c'étoit l'enfevelir au milieu de tous fes triomphes.

GABRIEL
CALIARI.

Ses deux fils Gabriel & Carletto ont été fes difciples. Car. letto avoit un fi beau génie, qu'on jugea qu'il furpafferoit fon CARLETTO pere; mais la mort l'enleva en 1596. dans fa vingt-fixiéme CALIARI. année. Gabriel qui lui furvécut avoit moins de talens, il quitta la peinture pour s'attacher au commerce & mourut de la pefte en 1631. âgé de foixante & trois ans : à la mort de leur pere ils achevérent plufieurs morceaux qu'il n'avoit pu finir, aidés de leur oncle Benoît Caliari qui peignoit l'architecture, & qui mourut le dernier de tous. Dans les ouvrages que Carletto a peint avec fon pere, fa maniére étoit fi femblable que tout paroiffoit de la même main, il mourut avant Gabriel, de forte que la peinture a été cultivée cent ans de fuite dans cette famille.

Paul Farinati a travaillé fous Paul Veronefe ainfi que le Cavalier Zelotti qui avoit été fon camarade.

BENOÎT
CALIARI.

On reproche à Paul Veronefe de n'avoir point été affez cor

PAUL rect & d'avoir bigaré fes-figures de trop de différentes couVERONESE. leurs, ce qui en öte la forme & le repos, fes fonds d'Architecture font quelquefois un peu trop clairs, & fes ciels approchent de la détrempe: on fouhaiteroit fouvent plus de convenance dans ses tableaux, plus de fineffe d'expreffion dans fes têtes, plus de goût de deffein dans les contours & dans les extrémités de fes figures.

Rien n'eft fi beau que les deffeins de Paul Veronese pour l'ordonnance, ils font fouvent deffinés fur du papier teinté arrêtés à la plume, lavés au bistre ou à l'encre de la Chine rehauffés de blanc & très terminés. On en voit d'autres qui font des études au crayon rouge, à la pierre noire, aux trois crayons, quelques-uns même dont les contours font heurtés au pinceau. Le grand génie & la facilité de ce maître fe lifent par tout; fes caractéres de têtes, fon goût de draper, ses beaux fonds, l'intelligence avec laquelle il a fçu ménager fes lumières; fon attention à deffiner proprement font des guides furs pour reconnoître Paul Veronefe.

Entre les grands ouvrages qu'on voit de ce maître dans le palais faint Marc, ouvrages confacrés par l'approbation publique, il a peint quatre banquets feuls capables de l'immortalifer. Celui des noces de Cana à faint George majeur est un des premiers tableaux de l'univers, on y compte cent vingt figures, & cent cinquante têtes très variées. Le fecond repas eft chez Simon le lepreux, à faint Sébastien; le troifiéme est à faint Jean & Paul, c'est le repas chez Lévi publicain, ce tableau à été endommagé par le feu; le quatriéme eft encore le repas chez Simon le lepreux, il étoit chez les peres Servites, on le voit préfentement à Versailles dans le nouveau falon: ces peres ayant refufé de ce tableau une groffe fomme que Louis XIV. leur offrit, la République fit enlever le tableau, & en fit préfent au Roy. Dans l'Eglife de faint Sylveftre à Venise on voit une adoration des mages, aux peres de fainte Croix une adoration des bergers; à fan Nicolo dei frari cinq tableaux dans le plafond, le baptême du Sauveur, une céne, un calvaire, une réfurrection, & dans le milieu l'adoration des mages.

Dans l'Eglife d'Ogni fanti il a peint le paradis avec un faint Etienne & plufieurs autres faints en prières; l'Eglife de

PAUL

faint Sébastien est toute de fa main. Le plafond est orné de trois morceaux de l'hiftoire d'Esther, la Vierge eft peinte au maître Autel dans une gloire d'anges, en bas font placés faint VERONESE. Sébastien, fainte Catherine, faint Jean-Baptiste, faint François & faint Pierre. Dans la coupole on voit le Pere éternel, & l'affomption de la Vierge dans la tribune. Sur les murs à droite, il a représenté faint Marc & faint Marcellin qu'on méne au fupplice avec faint Sébastien lié à un arbre, plufieurs autres morceaux de l'hiftoire de ce Saint, le baptême de Jefus-Chrift, un Chrift en croix, les quatre évangéliftes, faint Jérôme dans le défert, la circoncifion, la guérifon du paraIytique & plufieurs figures en clair-obfcur ornent le refte des murs & les orgues : il y a une affomption de la Vierge & les quatre évangéliftes compartis dans le plafond de la facriftie, fans parler du beau tableau qui eft dans le réfectoir & des peintures qui ornent l'efcalier. On voit aux religieuses de fainte Catherine le fameux tableau de fon mariage, N. S. avec les Pharifiens dans l'Eglife de faint Paul.

A Verone dans l'Eglife de faint George le martyre du chevalier Ginnochias qui ne voulut pas facrifier aux idoles, & faint Barnabé reffufcitant un mort. A la Vittoria dans la facristie un Christ au tombeau entouré de quatorze figures, petit tableau précieux.

A fanta Eufemia à Milan, la Sainte qui expire & un bourreau attaqué par des lions. Dans la galerie de l'Archevêché une Vierge avec le Jefus & faint Jean.

A fainte Afre dei Rochetini à Brescia le martyre de cette fainte avec un beau fond d'architecture. Dans le réfectoire des peres de faint Nazare le repas chez Simon le lépreux avec la Madeleine qui parfume les pieds du Sauveur.

A Padoue chez les Bénédictins, le martyre de fainte Justine. A l'Escurial en Espagne on voit dans le chapitre les noces de Cana, & une préfentation au Temple peints fur toile, les figures de demi-nature.

Dans la galerie du Duc de Modene l'adoration des mages, & les noces de Cana; Mars & Vénus demi-figures. La famille du peintre, qui accompagnée de deux faints protecteurs, vient remercier la fainte Vierge, un grand portement de croix.

Au Dôme de Mantouë la tentation de faint Antoine Abbé avec de très-belles têtes de femmes.

A a

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