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grand amour pour la peinture, fon goût le portoit à tous les

arts & aux fciences, particuliérement à la philofophie, à la AUGUSTIN poësie & aux mathématiques; la gravure & la sculpture ne fu- CARRAChe. rent pas oubliées, fans cependant abandonner la peinture qu'il cultiva toujours avec diftinction.

Jaloux des grands progrès de fon frere Annibal, las d'effuyer des reproches continuels de fon pere, il quitta le Fontana & le Passerotti; les remontrances de Louis ne lui plurent pas davantage, il fe mit à peindre de caprice & à copier les ouvrages des anciens maîtres dont il n'avoit point de reproches à craindre, enfuite il abandonna la peinture pour s'appliquer aux fciences, & pour obéïr à fon pere, il s'attacha à graver au burin; ce fut Dominique Tibaldi grand architecte & bon graveur, qui pendant quelques années lui enseigna ce

bel art.

Il partit quelque temps après pour aller joindre son frere à Parme, & il y fçut profiter des beaux morceaux du Corrége & du Parmefan: Annibal s'arrêtant trop long-temps dans cette ville, Augustin s'en alla à Venife; il y apprit la belle maniére de graver de Corneille Cort qui étoit très-habile; il y réüffit fi parfaitement, que fes eftampes dans la fuite ne furent pas moins eftimées que fes tableaux. Un tel difciple ne convenoit point à Corneille Cort, il deffinoit mieux que lui, il le congédía.

Augustin qui étoit un excellent deffinateur, réformoit fouvent dans fes gravures l'incorrection des tableaux originaux; il avoit par là mérité les louanges du Tintoret & de Paul Ve ronefe. Le Baroche & le Vannius au contraire lui écrivirent durement fur ce qu'il avoit changé, fans leur en faire part, des figures entiéres dans les eftampes qu'il avoit gravées d'après leurs tableaux.

Ce fut dans ce temps-là qu'il eut à Venise un fils naturel nommé Antoine, dont le Tintoret par amitié voulut bien être le parrain. Quelques morceaux libres qu'il grava & qu'il vendoit en cachette, lui attirérent des reproches de Louis & de tous les honnêtes gens, Il éprouva depuis des malheurs journaliers dans fa famille, Cette application continuelle à la grayure dans laquelle il forma un excellent éléve en la perfonne de François Villamene, lui avoit affoibli le coloris. Augustin de retour à Bologne quitta la gravure, il fe remit à

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peindre & devint fort habile. L'émulation que lui caufa la AUGUSTIN grande réputation d'Annibal lui fit faire de prodigieufes étuCARRACHE. des : ce peintre étoit dans cet âge infatigable où les grands

maîtres inventent & exécutent avec la même facilité : fes compofitions avoient tout le feu de la belle poëfie, & la beauté du deffein & un heureux coloris s'y difputoient l'un à l'autre l'avantage. Louis & Annibal le mettoient de toutes leurs entreprises, chacun fe fecouroit, fe donnoit confeil; c'est ainfi qu'ils ont travaillé à fan-Bartolomeo, dans les palais Zampieri, Fava & Magnani.

Tandis que fubfifta l'Académie qu'il avoit établie lui-même avec Louis & Annibal, leur accord fut affez heureux ; ils tendoient tous à la même fin. Augustin qui étoit fçavant montroit l'hiftoire, la fable, la perfpective, & l'architecture, dont il avoit fait plusieurs traités. Il prenoit un foin particulier d'élever les jeunes gens. Comme il vit la fupériorité d'Annibal & de Louis qui fe difputoient à armes égales, il ne voulut point entrer en concurrence & il fe remit à graver. Les Chartreux ayant demandé aux deux freres un deffein d'un faint Jérôme, Augustin fut préféré pour le peindre. Louis en fit aus fi un pour les mêmes Peres. Ce combat entre les trois Carraches ne fervit qu'à leur donner plus d'émúlation. Auguftin remporta beaucoup de gloire de fon tableau qui fut placé dans l'Eglife des Chartreux : heureux les Carraches fi cet accord eût été d'une plus longue durée.

Augustin avoit été reçû pour fes poëfies dans l'Académie dei Gelofi de Bologne, Louis ne pouvant l'accorder avec Annibal, le fit partir pour Rome. Charmé des belles chofes quí s'y voyent, furtout des figures antiques, il écrivit à Annibal pour l'engager à le venir trouver : Annibal s'en excusa sur ce qu'il auroit honte de voir de fi belles figures dont il étoit fi éloigné pour la perfection, Auguftin lui répondit de ne rien craindre, & que, quoique ces figures fuffent en grand nombre, elles ne pouvoient ni fe mouvoir, ni parler.

Enfin Annibal envoyé par Louis pour peindre la galerie Farnése, arriva à Rome; les deux freres travaillérent longtemps ensemble à cet ouvrage; Auguftin fourniffoit les penfées & exécuta plufieurs morceaux de fa main. Sur ce qu'on dit que le graveur avoit mieux réuffi que le peintre, la jaloufie d'Annibal se réveilla & devint fi forte que le cardinal Farnése

fut obligé de les féparer; Auguftin fe retira chez le Duc de

Parme, où il peignit une grande falle dans le cafin de la fon- AUGUSTIN taine du jardin. Timide dans l'art, circonfpect & diligent, il CARRACHE. s'appliquoit à perfectionner son ouvrage dont il n'étoit ja

mais content.

Auguftin fut toujours trifte depuis cette féparation; il fe voyoit éloigné de Louis & d'Annibal avec lefquels il avoit prefque toujours demeuré; effuyant des traverfes dans fes travaux de Parme, entouré d'ennemis qui l'empêchoient de se rendre dans la falle où il peignoit, & où il étoit fouvent obligé d'entrer par la fenêtre, il menoit une vie affez ennuyeuse. On le manda à Genes pour un grand ouvrage où on le flattoit d'une récompenfe proportionnée. Le Duc de Parme ne le voulut pas laiffer aller quoiqu'il eût fini fa grande falle. Son chagrin redoubla & le fit mourir peu de temps après. Il est vrai qu'à force de travailler il avoit épuisé sa santé, mais un (a) nouveau travail le delaffoit ordinairement du précédent. Dans le temps qu'il finiffoit un tableau de dévotion, lui qui n'avoit prefque peint que des fujets libres, Dieu le toucha, il se mit à contempler attentivement la figure du Jesus & celle de la Vierge, ouvrages de fon pinceau, de forte depuis ce temps-là ne voulant plus peindre de fujets profanes, il mena une vie très-chrétienne.

que

Comme il fe fentit affoiblir, il fe retira chez les Capucins, où pour faire connoître combien il étoit repentant de fes fautes paffées, il peignit un faint Pierre pleurant fon péché, & il commença un jugement univerfel que la mort interrompit. Elle arriva à Parme en 1602. à l'âge de quarante-quatre ans, fept ans avant la mort d'Annibal. Il fut enterré dans la Cathé drale. Les peintres de l'Académie du deffein de Bologne firent des funérailles magnifiques à Augustin avec une oraison funébre: chacun fit un tableau, & Louis voulut bien les imiter.

Son fils naturel Antoine mourut en 1618. à trente-trois

(a) Alternis fa Georg. l. 1.

cilis labor. Virg.

ans. Il auroit peut-être furpaffé tous les Carraches à en juger ANTOINE par les trois chapelles qu'il a peintes à frefque dans l'Eglife de CARRACHE. Jan-Bartolomeo nell'ifola, & par les autres ouvrages qu'il a faits

à faint Sébastien hors les murs.

Augustin étoit poli, honnête, toujours bien vétu, fpirituel, fçavant, il difoit que l'oreille étoit la partie du corps la

plus difficile à deffiner, il en modela une plus grande que naAUGUSTIN ture pour en faire connoître la structure, on en fit des études CARRACHE. infinies & l'on en conftruifit un grand modéle en plâtre appellé l'Orcchione d'Agostino.

Les deffeins d'Auguftin préfentent en même temps un grand peintre & un très habile graveur, furtout quand ils font faits à la plume qu'il manioit très-fçavamment, comme on le remarque dans fes païfages. Souvent il n'y a qu'un fimple trait à la plume d'une touche légére & facile, foutenu d'un lavis au biftre. Quelques-uns font aux différens crayons dont les hachures ferrées font prefque eftompées. Outre le grand caractére, une parfaite correction, une penfée élevée & fçavante qui doit fe trouver dans tous les Carraches, Augustin moins fpirituel & moins gracieux que Louis, fe diftinguera par cet endroit : fes têtes & les contours de fes figures moins fiéres que celles d'Annibal, aideront encore à en faire la différence. Nous diftinguerons parmi les ouvrages d'Augustin les piéces gravées d'avec les tableaux; ces pièces d'un excellent burin l'ont autant fait connoître que fa peinture, voici les principales.

Un grand crucifiement en trois planches d'après le Tintoret, l'incendie de la ville de Troye d'après le Baroche, fainte Juftine en deux piéces grand fujet d'après Paul Veronese peint à Vérone. La Vierge tenant le Jefus, faint Jérôme, fainte Catherine à genoux & deux anges d'après le Corrége; la tentation de faint Antoine grand morceau d'après le Tintoret, le faint Jérôme demi-figure d'après le tableau qu'il a peint, la communion de ce faint qui eft à la Chartreufe près Bologne. Les époufailles de fainte Catherine avec grand nombre de figures d'après Paul Vermefe; faint Jérôme avec fon lion & la Vierge montant au ciel, portée par quatre anges d'après le Tintoret, le Chrift au tombeau foutenu de fa mere & d'un ange d'après Paul Veronefe; la Jérufalem délivrée du Taffe, la Vierge tenant le Jefus avec faint Jofeph & faint Jean, dans le bas fainte Catherine & faint Antoine Abbé d'après Paul Veronefe; faint François qui reçoit les ftigmates dans un beau païfage de fon invention; l'Ecce homo & la Vierge évanouie avec trois figures d'après le Corrège; une Vierge qui étend fon manteau fur deux confreres à genoux; faint François extafié tenant le crucifix avec un ange qui joue du violon d'après

par

Vannius; un autre faint Jérôme plus petit d'après le même; les époufailles de fainte Catherine avec quatre anges qui AUGUSTIN jouent des inftrumens d'après Paul Veronefe; Mars chaffé CARRACHE. Pallas, la pa'x & l'abondance d'après le Tintoret; Mercure avec les trois Graces d'après le même ; deux Nymphes dans un païsage avec l'Amour qui retient le Dieu Pan & ces mots, Omnia vincit amor. On ne connoît qu'une piéce gravée d'après Augustin, c'est le mariage de fainte Catherine, fait à Rome par B. Farjat.

On remarque parmi les tableaux qui font à Bologne le faint Jérôme communiant à l'article de la mort chez les Chartreux; à faint Barthelemi di reno dans la chapelle des Gessi, on voit une belle nativité du Sauveur & fur les côtés, une adoration des mages & la circoncifion petits tableaux, à fan-Salvador de la porte neuve dans la chapelle Zaniboni une affomption de la Vierge excellent tableau.

Il a peint dans le palais Fava les clairs-obfcurs de l'histoire de Jafon & de celle d'Enée, c'eft-à-dire, les figures en termes qui fupportent les quadres des tableaux de ces deux frises ainfi que la figure de Jupiter en clair-obfcur. Dans le palais Zampieri un Hercule qui aide Atlas à foutenir le monde, & fes autres travaux dans les plafonds des trois piéces d'enfilade; dans le Palais Magnani où eft peinte dans la frise de la grande falle l'hiftoire de Romulus, il y a trois morceaux de la main d'Auguftin qui ne le cédent en rien aux fix d'Annibal & aux cinq de Louis. Sur la cheminée de la feconde piéce du même palais, l'Amour qui foumet le Dieu Pan avec un très-beau païlage.

A Rome dans la galerie Farnéfe il a peint deux des grands morceaux, l'un le triomphe de Galathée, & l'autre l'Aurore avec Céphale dans fon char, & le Camerino eft fait en partie de fa main & conduit fur fes idées.

Dans l'Eglife des religieufes de faint Paul à Parme, il a peint d'une moyenne grandeur fainte Agathe, fainte Cécile, faint Jean & un Evêque aux pieds de la Vierge tenant le Jefus.

A Parme dans le cafin de la fontaine il a peint une grande chambre entiére où l'on voit quatre tableaux, fçavoir des Amours qui fabriquent des fléchés & des arcs, Galathée fur un Dauphin entourée des Néréïdes vient au-devant des Argonautes pour avoir la toifon d'or, Mars armé & Vénus tous deux

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