Images de page
PDF
ePub

entourés de plufieurs Amours, un homme armé qui fe retire à AUGUSTIN la vûë d'une Syrene. Il a voulu représenter l'Amour honnê. CARRACHE. te, l'Amour lafcif, & l'Amour vénal: il laiffa une place dans le plafond que la mort l'empêcha de finir, & où le Duc fit écrire en lettres d'or fon éloge & fon âge ne voulant pas qu'aucun peintre y travaillât.

Dans la galerie de ce Prince on voit encore de fa main une fainte Catherine, deux enfans qui regardent une écréviffe qui pince l'oreille d'un chat, un faint François, & le portrait du Duc Ranuccio.

Dans la galerie du Duc de Modéne une Susanne avec les vieillards, une Vierge avec faint François qui tient entre fes bras l'enfant Jefus, deux Amours ensemble le divin & le profane; le fameux Pluton dans la grande falle.

Le Roy n'a point de tableau d'Auguftin Carrache, à moins qu'il ne foit confondu avec les autres.

On voit au palais Royal un beau tableau de ce maître, c'est le martyre de faint Barthelemí peint fur toíle, avec un fond de païfage.

[blocks in formation]

NNIBAL Carrache eft un de ces hommes

pere

rares que peut à peine fournir un fiècle. La vil- ANNIBAL le de Bologne le vit naître en 1560. & fon CARRACHE. le deftina à fon métier de tailleur, enfuite on. l'employa à l'orfévrerie. Louis qui voyoit en lui une fupériorité de talens peu commune, lui donna avec plaifir les premiers élémens de fon art. Ses progrès rapides répondirent à fon attente. Annibal n'étoit occupé que de la peinture, plus courageux qu'Augustin, il ne cherchoit les difficultés que pour la gloire de les vaincre, une exécution vive & facile accompagnoit ce beau feu.

Son pere ayant été volé en revenant de Crémone, où il étoit allé vendre le refte de fon bien pour s'établir à Bologne,

Annibal qui étoit du voyage, remarqua fi bien les voleurs, il ANNIBAL les deffina fi parfaitement chez le juge où fon pere avoit porCARRACHE. té fa plainte, qu'on les reconnut, & qu'ils rendirent ce qu'ils lui avoient pris.

Comme Annibal étoit fpirituel & plein d'invention, Louis lui faifoit deffiner des carricatures, c'est-à-dire, les portraits de fes amis, chargés & dont les défauts naturels étoient augmentés, de maniére cependant qu'ils étoient reconnoiffables; il n'épargna pas même Louis. Annibal excelloit dans ce genre, il donnoit aux animaux une reffemblance humaine, quelquefois fous celle d'un vase il représentoit la figure d'un homme; trop présomptueux il méprifoit les rares talens de fon frere Auguftin; à peine vouloit-il s'affujettir à copier les ouvrages de Louis qu'il égaloit lorfqu'il colorioit un tableau de génie.

Il partit pour la Lombardie & encouragea Auguftin à le venir joindre à Parme, il lui exaltoit dans fes lettres les beautés du Corrége en convenant qu'il n'étoit rien en comparaifon de ce grand homme. Auguftin après avoir fini plufieurs planches partit pour Parme, il y laiffa fon frere très-occupé à copier le Corrége, pour fe rendre à Venise où ils se rejoignirent; quelque temps après Auguftin lui procura la connoiffance du Tintoret, de Paul Veronese & de Jacques Baffan, Le ftyle de ces grands hommes annoblit le fien; il réforma fon goût de couleur & rapporta à Bologne une maniére fi forte & fi élégante que Louis & Auguftin fans en être jaloux, abandonnérent leur premiére manière & fuivirent la fienne, Annibal en ce moment remportoit une victoire complette, il devenoit leur maître. Son but étoit d'unir en fa perfonne les talens des plus fameux peintres, le grand, le beau nu de Michel-Ange, la douceur du Corrége, la vérité du Titien, les belles idées & les graces de Raphaël, & les contours gracieux du Parmesan.

Il n'y a guére eu de peintre plus fécond qu'Annibal, fourniffant à tous fes ouvrages & à ceux de fes difciples qu'il retouchoit fur le champ. Raphaël & le Tintoret font les feuls qui puiffent lui difputer cette abondance de génie. Grand deffinateur, grand païfagiste, son goût de deffein étoit plus fier que celui de Louis. Comme il entendoit fouvent loüer la prudence, & le grand jugement que faifoit paroître Auguftin

dans

dans fes tableaux, il devint plus attentif & plus modéré dans

fa fougue de deffiner, il méditoit plus ce qu'il faifoit. Un jour ANNIBAL qu'Auguftin dans l'Académie décrivoit par des difcours élo- CARRAche. quens les beautés du Laocoon, Annibal s'approcha de la muraille & deffina cette figure fi parfaitement, que tous les fpectateurs en furent étonnés. Il dit en fe retirant que les poëtes peignoient avec des paroles, & les peintres avec le pinceau, voulant parler d'Augustin qui fe mêloit de faire des vers. Annibal peignit de concert avec les deux Carrache des morceaux furprenans dans les Eglifes & dans les palais de Bologne. C'est ainfi qu'il terraffa les autres peintres de Lombardie; le goût maniéré difparut, on ne fuivoit plus que le fien. Il montroit tout fon art à fes difciples, il leur faifoit remarquer dans les Eglifes les fautes des autres artistes, & il retouchoit volontiers leurs tableaux.

Annibal quoique fans étude étoit heureux dans fes reparties. Pour faire connoître à un de fes difciples combien il étoit ridicule, d'avoir trop de foin de fa parure, il fit fon portrait chargé & lui en fit préfent; il n'en fallut pas davantage au jeune homme pour le corriger. Il aimoit que l'on fût fimple dans fes habits & que l'on ne s'entretînt qu'avec fes pareils; Augustin au contraire toujours bien vétu ne fréquentoit que la nobleffe. Annibal, qui fe moquoit de fa maniére de penfer, lui envoya un jour le portrait de leur pere qui enfiloit une éguille, & de leur mere qui coupoit une étoffe, pour le faire fouvenir qu'il étoit fils d'un tailleur. Augustin étoit accoutu mé à ces petites mortifications & à des critiques continuelles de fa part.

Annibal ayant quitté Bologne pour aller peindre la galerie Farnéfe, y trouva un fûr moyen de s'immortalifer. Le fecours d'Augustin lui fut très-utile dans cette entreprise, & il ne fentit combien fon érudition & fes confeils lui étoient néceffaires que quand fa jaloufie l'eut forcé à s'éloigner de Rome. Le Prélat Agucchi qui étoit fon ami, fuppléa par fon fçavoir au manque d'Auguftin. Annibal n'avoit jamais voulu lire l'histoire & la fable, ainfi la poëtique de la peinture lui a manqué entiérement. Auguftin & Louis en lui fournissant des penfées, l'avoient toujours fecouru.

Après avoir employé huit années confécutives dans cette galerie qu'on peut appeller un vrai poëme, après avoir fait

une prodigieufe quantité d'études, de cartons, d'efquiffes à ANNIBAL l'huile, & avoir fouvent fait abbattre des morceaux entiers CARRACHE. pour en recommencer d'autres, Annibal étoit fur le point d'abandonner l'ouvrage, fi Louis n'eût confenti à le venir voir.

Qui croiroit qu'un ouvrage de cette importance eût été fi mal récompenfé, un ouvrage dans lequel le Pouffin disoit qu'Annibal avoit furpaffé tous les peintres qui l'avoient précédés & lui-même auffi ? Le chagrin qu'en eut le Carrache lui fit abandonner la peinture pour quelque temps, ce fut pour lui le coup de la mort : pour diffiper fon ennui, il entreprit dans l'Eglife des Espagnols, la chapelle de fan-Diego où il peignit deux ovales, la goute le prit pendant ce travail qu'il avoit commencé avec l'Albane; ce difciple l'affista dans fa maladie, & continua la chapelle dont Annibal avoit fait tous les cartons, & peint à l'huile le tableau d'Autel : il partagea noblement avec l'Albane les deux mille écus prix convenu pour cet ouvrage, il vouloit même qu'il en eût les trois quarts comme y ayant plus travaillé que lui. Son défintéreffement parut en plufieurs occafions, il laiffoit fouvent fon argent fur fa table à la vûë de fes difciples. La goute le reprit & lui fit garder long-temps le lit. Un peu de débauche de femmes, fon fond de chagrin le mit dans un état à faire craindre pour fa vie on lui confeilla d'aller prendre l'air de Naples, il y fut fans fuccès, & les groffes chaleurs des environs de Rome lui cauférent en revenant une violente fiévre; on le faigna mal-à-propos & l'on perdit ce grand peintre en 1609. à l'âge de quarante-neuf ans. Il ordonna d'être enterré à la Rotonde à côté de Raphaël, voulant, dit-il, que fes os fe joigniffent à ceux d'un peintre qu'il avoit tant aimé. L'amour de Carlo Maratti pour ces deux illuftres, lui a fait faire la dépense de leurs épitaphes & de leurs buftes en marbre.

:

Le Carrache étoit un homme fans façon, peu poli, mal habillé, toujours feul, aimant les gens au-deffous de lui, jaloux de fa réputation, méprisant en vrai philofophe les grandeurs de ce monde. Il en donna une preuve évidente dans une vifite que lui rendit le cardinal Borghéfe, il s'enfuit par une porte de derriére, laiffant à fes difciples le foin de fe recevoir jaloux des différens talens de fon frere Auguftin, il ne le fut pas moins du grand mérite de Louis & de fes difciples, furtout du Guide. Son art fut fa feule occupation &

« PrécédentContinuer »