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CHARLES
MARATTI.

Barnabé fon frere uterin qui étoit peintre avoit laiffé dans la maison de leur mere, fe trouva fous fa main, Charles le copia entiérement, & l'envoya à fon frere qui étoit à Rome.

Les progrés surprenans de cet enfant déterminérent Domenico Coraducci fon parrein de l'envoyer à Rome à l'âge de onze ans, joindre fon frere Barnabé, qui après l'avoir inftruit durant une année, le mit dans l'école d'André Sacchi.

Carlo Maratti refta dix-neuf ans dans cette école à copier Raphaël & les grands maîtres: fon frere Barnabé vendoit les deffeins de Charles aux étrangers qui en faifoient cas; on y reconnoiffoit la touche d'un grand maître : il copia fi parfaitement un deffein d'André Sacchi qu'il lui avoit donné pour fon étude, que fon maître ne pouvant diftinguer l'original d'avec la copie, prit cette derniére, dont le difciple n'eut garde de l'avertir. Il ne ceffa d'être éléve que quand il s'apperçut qu'il pouvoit en former lui-même : fon maître qui n'aimoit point le Bernin, lui attira l'inimitié de ce grand homme qui lui préféroit dans les ouvrages dont il avoit la conduite des peintres fort inférieurs, enfin par le crédit de fon maître, & par fes propres ouvrages il fe fit une réputation de bien peindre des Vierges & on le nomma à Rome Carluccio delle Madone; on difoit même qu'il ne fçavoit peindre autre chose.

André le voulant faire connoître pour ce qu'il étoit, lui donna à représenter dans le baptiftaire de faint Jean de Latran Conftantin qui détruit les ídoles. Carlo Maratti s'en acquitta de manière à faire ceffer le bruit commun qu'il ne fçavoit peindre que des Vierges; les trois chapelles de faint Ïsidore qu'il peignit enfuite augmentérent fa réputation au point que le Pape Alexandre VII. le voulut voir, & lui ordonna un grand tableau pour l'Eglife de la Paix. Clément IX. qui lui fuccéda, fit le meme accueil à Carlo Maratti, & après avoir peint les portraits de fes neveux, il lui fit faire le fien dont il parut très content. Le Pape contre l'ufage le fit affeoir en fa préfence, difant que quand il étoit question de travailler, on devoit être à son aife. Clément X. qui le fuivit, employa Carlo Maratti à la chapelle Altieri dans l'Eglife de la Minerve, & au plafond de la grande falle du palais Altieri; il prit pour fujet la clémence faifant allufion au nom du Pape.

Sous le pontificat d'Innocent XI. il peignit le grand tableau d'Autel de faint François Xavier dans l'Eglife du Jefus, &

plufieurs autres tableaux pour le Marquis Palavicini. Le Pape lui ordonna de couvrir la poitrine de la Vierge que le Guide avoit peinte dans la chapelle fecrette du Vatican; il se servit de pastel, enforte qu'on pouvoit ôter la couleur avec une éponge. Si ces grands travaux de Carlo Maratti firent ceffer tous les bruits défavantageux répandus contre fon talent, ils furent auffi caufe qu'il tomba dans une grande maladie.

Carlo Maratti fut fort agréable à Alexandre VIII. qui ne vécut pas long-temps: ce fut en ce temps là qu'il finit le grand tableau de faint Charles Al corso, & il le peignit fur 'Autel afin de profiter des proportions convenables au lieu ; les figures du devant ont vingt-deux palmes de haut, on pourroit fouhaiter plus de coloris dans cet ouvrage : Innocent XII. le fit venir pour lui confirmer la garde des peintures du Vatican dont l'avoit chargé Innocent XI. avec les émolumens & dépenses nécessaires pour reftaurer & entretenir les peintures. Carlo Maratti avoit toujours été protégé du cardinal Albani, qui après la mort d'Innocent fut élu Pape fous le nom de Clément XI. il étoit souvent admis à son audience, & ce Pontife lui commanda une affomption de la Vierge pour une chapelle de la Cathédrale d'Urbin fa patrie où le Cignani avoit déja peint la naiffance de la Vierge. Le Pape voulut ensuite. qu'il retablît les peintures des chambres du Vatican, de même qu'il avoit fait quelques années auparavant la galerie Farnefe & la loge Chigi peinte par Raphaël.

Ce peintre fit raffurer le plafond de cette loge avec huit cens cinquante clouds de cuivre ; il y fit fouffler par des farbacanes de l'eau, enfuite du plâtre par des trous faits exprès pour foutenir les morceaux de lambris qui tomboient en ruine, on y paffa même des tringles de fer pour les mieux retenir. Carlo Maratti aidé de quatre de fes difciples, a peint le fond d'outremer à l'eau & avec du pastel, ainfi que les têtes & les figures qui en avoient befoin, ce qui peut s'enlever avec une éponge, afin, difoit-il, qu'une main plus habile pût effacer un jour ce qu'il avoit fait, pour mieux retoucher le grand Raphaël. Cet outremer donne de la féchereffe aux figures qui font chantournées comme des décorations de théâtre, & les carnations paroiffent de couleur de brique, ce qui ôte entiérement l'union des figures avec le fond: il fe fervit d'un autre moyen pour nétoyer les quatre chambres du Vatican;

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MARATTI.

CHARLES il les lava avec du vin grec, les effuya avec de grands draps MARATTI. blancs, ce qui les fit revivre, & enfuite il les fit polir; pour les frifes & les ornemens de clair obscur, ils ont été prefque tous repeints. Cet ouvrage réüffit heureusement, & Clément en fut fi content, qu'il donna une pension & l'ordre de Christ à Carlo Maratti. La cérémonie s'en fit par fon ordre au Capitole le jour que l'on diftribue aux jeunes gens de l'académie de faint Luc, dont il étoit le chef, les prix de la peinture, de la fculpture & de l'architecture. Le Pape pouffa fes bontés plus loin, il remédia à l'irrégularité de la conduite de Carlo Maratti, en lui faifant époufer dans un Jubilé une femme avec laquelle il vivoit depuis quarante ans.

Carlo Maratti fut employé à donner des cartons pour les mofaïques de la deuxième chapelle à main gauche en entrant dans faint Pierre, où il a représenté la conception de la Vierge avec quantité de figures: il peignit à quatre-vingts ans paffés deux grands tableaux d'Autels, l'un repréfente le bienheureux Amadé pour Turin, & l'autre le baptême de N. S. pour les Chartreux de Naples.

Enfin une main tremblante qui refufoit d'exécuter les penfées de fon efprit jointe à la foibleffe de fa vuë, l'obligea de renoncer à fon art: il ne s'appliqua plus qu'à conduire fes éléves, jufqu'à ce qu'étant devenu très infirme & aveugle, il fut contraint de garder la chambre & le lit. Il mourut dans de grands fentimens de piété en 1713, âgé de près de quatre-vingt-neuf ans; on le porta à l'Eglife des Chartreux, où il avoit lui-même fait creufer fon tombeau orné de fon portrait en marbre, & j'ai affifté à cette pompe funebre. Il n'a laiffé qu'une feule fille qui a hérité de plus de quarante mille écus Romains.

Peu de peintres modernes fe font autant diftingués que Carlo Maratti; auffi a-t-il été honoré & chéri de tous les Princes; Louis XIV. même le nomma par brevet fon peintre ordinaire : il étoit grand deffinateur, les pensées étoient élevées, ses ordonnances belles, fes expreffions raviffantes, la touche très fpirituelle, un pinceau frais & moelleux, fçavant dans l'hiftoire, dans l'allégorie, dans l'architecture, dans la perfpective, il en a fçû profiter pour fes ouvrages : la fimplicité & la nobleffe de ses airs de têtes, la grace qu'il y répandoit, font les parties qui ont mérité à ce peintre tant de distinction,

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Les Italiens difent de lui, che tanti angeli e tante Madone dipinte da lui,ei pajono quafi venute da cielo ed ei divino ; c'est- MARATTI. à-dire, que le grand nombre d'anges & de Vierges qu'il a fi bien peints paroiffent venir d'une main divine.

Il étoit extrêmement modefte & charitable, parlant bien de tout le monde, faisant taire ceux qui jugeoient mal des ouvrages des autres, reprenant doucement ceux qui lui demandoient des avis fans affecter un air de fupériorité ; affable à fes éléves & aux jeunes gens, fouvent il leur donnoit de fes deffeins & leur faifoit faire des gradins pour copier & mesurer de près les belles figures antiques. Perfonne n'a tant cherché à faire revivre le grand Raphaël & Annibal Carrache dont il fit faire les buftes en marbre pour les placer dans l'Eglife de la Rotonde. Carlo Maratti étoit spirituel dans la conversation, il aimoit à s'entretenir de fon art, & ne quittoit qu'à peine ce qu'il avoit à en dire : fa curiofité le porta à recueillir des tableaux des grands maîtres, des cartons, & furtout des deffeins, l'amour qu'il avoit pour ces derniers étoit tel, que pour en acquérir quelques-uns, il a fouvent donné

un tableau de fa main.

Ses principaux éléves font Giuseppe Chiari, Nicolo Berettonni, Giuseppe Pafferi, Pietro de Pietri, Antonio Balestra, Andrea Procacini, Giacinto Calandrucci, Agostino Mafucci,&c. Il convient de dire un mot des trois qui ont eu le plus de réputation.

Giuseppe Chiari né à Rome en 1654. a fait beaucoup d'ou- GIUSEPPE vrages publics où il s'eft montré digne éléve de Carlo Maratti CHIARI. qui lui confia le foín de finir les cartons pour les mofaïques d'une des petites coupoles de faint Pierre ; il fit un des douze Prophétes de faint Jean de Latran qu'on ne donnoit qu'aux plus habiles peintres du temps: il mourut d'apoplexie à Rome en 1727 à l'âge de foixante & treize ans.

Nicolo Berettoni naquit à Macerata en 1637. fes premiers NICOLO tableaux paffoient pour être du Guide, il entra dans l'école BERETTOni. de Carlo Maratti, où il fit des prodiges dont ce maître devint très jaloux, il l'employoit toujours à broyer fes couleurs, & enfin lui ayant fait ôter la voûte de faint Silveftre pour la donner au Brandi, il le fit mourir de douleur, à l'âge de quarante-cinq ans en l'année 168 2.

La ville de Rome vit naître Giuseppe Passeri en 1654, on GIUSEPPE le mit fous la conduite du Maratti qui l'aimoit beaucoup, il PASSERI

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lui faifoit copier tous les ouvrages de Lanfranc, de MichelAnge & obferver les fineffes du Guide, du Dominiquin, & MARATTI. le coloris du Titien & du Correge; le Pafferi a fait de bons tableaux & a beaucoup travaillé dans les Eglifes; il eft mort en 1714, âgé de foixante ans.

Les deffeins de Carlo Maratti font faits à la fanguine ou au crayon avec une petite teinte d'encre de la Chine recou verte de crayon fans être croisée, le trait ordinairement eft à la plume une touche légére & fpirituelle, beaucoup de correction, des têtes de femmes gracieuses coëffées à sa maniére, & l'expreffion des figures découvriront toujours la main dont elles partent.

Il a gravé à l'eau-forte plufieurs planches, fçavoir une fuite de la vie de la Vierge en dix morceaux, la Samaritaine d'après Annibal Carrache, l'histoire d'Héliodore d'après Raphaël, le martyre de faint André d'après le Dominiquin. Plufieurs graveurs tels que Pietro Aquila, Cafare Fantetti, Nicolas Dorigny Auden aerd, Château, Picart, le Romain, Frezza, Fariat, Coelemans ont gravé d'après lui, & il y a quatre morceaux dans le recueil de Crozat; fon œuvre eft de plus de deux cens morceaux.

Ses principaux ouvrages à Rome font à faint Ifidore où il a repréfenté dans les lunettes la naiffance du Sauveur, & le fonge de faint Jofeph, dans la coupole de la chapelle c'eft l'apotheofe du faint, & fon mariage au maître Autel; on voit fur les côtés une fuite en Egypte, & la mort de faint Jofeph : la chapelle du crucifix qui eft vis-à-vis eft fort belle. Celle qu'on appelle Silva dans la même Eglise représente la conception de la Vierge; on voit la vifitation de fainte Elifabeth & un autre tableau dans la facriftie de l'Eglife de la pace, une creche à fresque pour la galerie du palais de monte Cavallo Après la mort de fon maître il acheva les apôtres du palais Barberin; il peignit fainte Rofalie avec un ange qui remet l'épée dans le fourreau lorfque le peuple à fa prière fut délivré de la contagion. Dans l'Eglife de fainte Croix de Jérufalem, on voit un beau tableau de faint Bernard. Dans la galerie Colona il représente Ottavio Colona qui ferme la porte de Janus & des enfans fur quatre miroirs. A la chapelle Spada dans l'Eglife de la Chiefa nuova, il a peint faint Charles, & faint Ignace aux pieds de la Vierge; au Jefus faint François Xavier

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