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rapporter entiérement à fes lumieres fur l'originalité de ces deffeins, jugea à propos de les faire voir à un des premiers peintres de Paris, qui les trouva tous très-beaux. Le curieux lui demandoit fouvent, s'il les croyoit originaux. Le peintre las de cette question réiterée, lui répondit; eh que m'importe que ces deffeins foient originaux, ou copies, pourvu qu'ils me présentent du beau; voilà tout ce qu'en put tirer le curieux. Cette façon de juger qui eft celle de la plupart des peintres, eft certainement irrégulière, une copie, quelque belle qu'elle foit, eft toujours une copie; c'eft un ouvrage timide & fervile, qui n'a jamais ni l'efprit, ni la touche d'un original, quoiqu'il en rende exactement la pensée;

on pourroit appliquer aux copistes ce mot (a) d'Ho-. (a) Epist, 19. race, au fujet de ceux qui veulent imiter fervile. lib. 1. ou contrefaire les autres, o imitatores fervum

ment, pecus!

On doit cependant eftimer les copies des fameux morceaux peints fur les murs des Eglises & des palais qu'on ne peut avoir autrement. Ces copies quand elles font faites par d'excellentes mains telles que celles de Jules Romain, d'André del farto dont il est parlé dans l'histoire de la peinture, celles que Rubens, Vandick, le Brun, Mignart & les grands maîtres ont faites pour leur étude avec toute l'application poffible ne doivent pas être regardées comme des copies ordinaires, elles deviennent, pour ainfi dire, de seconds originaux.

Il est incontestable qu'il y a des marques certaines pour établir l'originalité; un deffein peiné, fait lourdement, incorrect, fans efprit & fans touche, eft fû,

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rement une copie. Tous ces défauts ne fe trouvent pas ensemble chez certains maîtres, un dessein du Rembrant, du Baccici, de Guillaume Baur, de Benedette, par exemple, fera incorrect; il fera fait d'une main pefante & avec une groffe plume; mais on y trouvera de l'efprit, de la touche, du caractére, avec une intelligence du clair-obfcur, qui frapperont le connoiffeur, & le lui feront juger original. D'autres deffeins feront très-corrects & manqueront de touche & d'efprit, tels que ceux de Lucas Cangiage peintre Genois, ils feront néanmoins originaux, parce que le caractére du maître étoit tel.

Les premieres pensées, les efquiffes faites d'un trait de plume ou de crayon, par la franchise de la main peuvent être regardées comme originales; les Italiens les appellent Macchia. Ces traits fimples & francs font difficiles à imiter; ils font fi fpirituels, qu'il manque toujours quelque chofe aux copies que l'on en fait, il y a un certain mêlange de manieres qui en fait connoître la fauffeté; c'est ce qu'on observe dans les deffeins fuppofés du Guerchin & de Rembrant.

La franchise de la main & la correction d'un deffein ne font pas les feules marques de fon originalité, on doit y trouver une belle touche, beaucoup d'efprit, du feu, & certains coups de maître jettés au hazard, qui se manifestent rarement dans des copies, dont la froideur glace le fpectateur attentif.

Lorfque dans un deffein on trouve des têtes retournées de plufieurs manieres, des doubles bras, des jambes jettées au hazard à côté l'une de l'autre,

pour

chercher celles qui conviennent le mieux (ce que les Italiens appellent il pentimento) ces doubles traits ne partent pas d'un copilte; ils prennent leur naissance dans la tête du maître qui a fait l'ou

vrage.

L'histoire d'un deffein & fa filiation qui nous apprennent les noms des amateurs à qui il a appartenu, les grandes collections dont il eft forti, ne conviennent qu'à des Marchands qui ont intérêt de s'en défaire avec plus d'avantage. Ces connoissances ftériles n'éblouiffent que les ignorans; on prouve foiblement par cette prétendue authenticité l'originalité d'un deffein; c'est à la chose même, à la VALEUR INTRINSEQUE. de l'ouvrage qu'il faut s'attacher.

On peut appeller des deffeins équivoques, quelques morceaux de Raphaël, de Jules Romain, & autres qui n'étant pas finis, ont été achevés ou retouchés par Rubens felon fon goût. Alors ces deffeins font originaux de deux maîtres & ne peuvent paffer pour des copies.

Il y a encore une obfervation à faire fur le temps dans lequel le deffein a été fait. On fçait qu'un peintre a trois temps, fon commencement, c'eftà-dire, fa premiere maniere qui tient de fon maître, le bon temps qui eft la force de l'âge, & le temps foible qui en est le déclin: ainsi un dessein ne laiffe pas d'être original, quoique fait dans le temps foible, ou de la premiere & derniere ma

nicre.

Les grands maîtres finiffent peu leurs deffeins ils fe contentent de faire des efquiffes, ou griffon

elle

una qualità che

non altro ch'ef

(4) Ma che nemens faits de rien, (a) qui ne plaisent pas aux aueffero demi-connoiffeurs, ils veulent quelque chofe de noi chiamiamo terminé qui foit agréable aux yeux: un vrai conpittoresca, che noiffeur penfe autrement; il voit dans un croquis fere fati con ot- la maniere de penfer d'un grand maître pour catimo d'intorno ractériser chaque objet avec peu de traits; fon imaquerello ed al gination animée par le beau feu qui régne dans le più di qualche deffein perce à travers ce qui y manque, elle apperfo o Biacca, çoit fouvent ce qui n'y eft pas & ce qui y doit être. ed altri ancora C'est ainsi qu'un beau génie fecondé par ce qu'il difegni che al- voit, fupplée & s'accommode à tout.

& di poco ac

Îume di gef

l'occhio de po

co pratici appa

pazzati confufi

Défiez-vous des deffeins trop finis; rarement rifcono ftrap- font-ils originaux, ils font même plus aifés à contree del tutto in- faire que les autres; leur façon peinée & lechée en formi, fono- découvre ordinairement la faufseté; d'autres comperò efpreffi

da poter fervire

proprie opere

Baldinucci

fervire mencés par des éléves font retouchés par le maîagli artefici per tre en plufieurs endroits, dans lefquels on apperçoit ftudio delle des coups de force ou des rehauffemens de blanc e per loro ani- au pinceau. Ces traits hardis, des contours reffenmaeftramento. tis & rafraîchis par une habile main, font entrevoir comminciamen- l'ouvrage de deffous qui en est appauvri & qui en to e progreffo del paroît encore plus froid. Ces marques ne paroiffent arte d'intagliare p. 33. firenze qu'aux yeux extrêmement clair-voyans. Les deffeins de Rubens & de Vandick qui sont ordinairement faits de cette maniere, & qui ont été commencés par Vosterman, Paul Pontius, Fietre de Jode, & autres, en ont impofés à plufieurs connoiffeurs.

1686..

Un homme qui pense, peut-il s'imaginer que de grands peintres tels que Raphaël, le Titien, Paul Veronefe, Rubens & Vandick, dont le génie étoit fi fublime & fi fécond, ayent pu fe captiver au point de finir ou de terminer un deffein, comme feroit

un

un graveur? La vivacité de leur génie ne leur permettoit pas un tel travail; le temps qui leur étoit cher, la néceffité dans laquelle ils fe trouvoient de fournir des deffeins à leurs éléves, pour continuer les travaux commencés des galeries, des plafonds, des palais, des voûtes des Eglifes; les différens Souverains qui leur demandoient de grands ouvrages, les voyages qu'ils étoient obligés de faire pour diverfes entreprises, tout cela joint ensemble leur ôtoit le moyen de pouvoir finir & terminer des deffeins, tels que nous en voyons de Raphaël, de Rubens & de Vandick.

Il est bien plus naturel de croire que ces deffeins faits ordinairement d'après les tableaux originaux, ont été deffinés par de bons éléves, ou par les graveurs mêmes, qui en avoient befoin pour leurs planches; Raphaël, enfuite Rubens, ou Vandick, jaloux de leur gloire, les ont retouchés en plusieurs endroits, pour en faire mieux valoir les tableaux.

) Ut enim de pictore,fculptore & fictore,

On peut conclure de toutes ces observations, qu'il faut quelque connoiffance de l'art & un peu de pratique, , pour décider fur l'originalité d'un desfein: il feroit à fouhaiter qu'un amateur fçût un peu (a) peindre ou du moins deffiner. Cette pratique de l'art, quelque petite qu'elle fût, le mettroit en état de juger mieux qu'un autre. On ne fçauroit croire nifi artifex jucombien l'operation de la main forme le goût, & donne d'intelligence à l'efprit; elle vous montre la lib. 1. epift. 10. route qu'ont suivi tant d'habiles gens; peut-être mê- P.29. Lug. Bat. me que fi vous vous y livriez entierement comme eux, vous pourriez les fuivre de près. Cette prati

e

dicare non poteft. Plin. jun.

1669.

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