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que manquoit à un de nos plus grands curieux qui vient de mourir ; fi elle eût fecondée l'inclination naturelle qu'il avoit pour les belles chofes, elle lui auroit acquis des lumieres fupérieures & indépendantes des guides qui le fuivoient par-tout.

DE LA CONNOISSANCE

DES TABLEAUX.

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E QUE l'on vient de dire au fujet des deffeins des grands maîtres, fe peut aifément appliquer à la connoiffance des tableaux. Il s'agit toujours de juger de la bonté d'un ouvrage, du goût naturel des écoles, du nom du maître & de l'originalité. Il fuffit de fubftituer au mot de deffein, celui de tableau, & au lieu des différens crayons & des hachures de la plume, entendre le maniment du pinceau & le goût de la couleur.

Le pinceau dans quelques-uns eft coulant & moëlleux, dans d'autres il eft tranchant & fec; le coloris eft vigoureux; quelquefois trivial; les uns peignent verd comme Paul Bril & Fouquieres; les autres bleu comme Breugel, Vander Meër & Savery; d'autres tirent fur le violet, comme la Foffe & Michel Corneille; fur le gris, comme Vouët & Te niers; enfin fur le noir, comme les Carrache, le Caravage, le Manfredi, le Valentin, les Baffan, le Mole & autres. Chacun par différentes routes arrive au

même but, chacun cherche à imiter les couleurs de la nature; on fe fait un fyftême particulier, heureux fi l'on en trouve un qui approche de celui du Corrége, du Titien, de Paul Veronese, du Baroche, de Rubens & de Vandick, qui peuvent être regardés dans la peinture comme les fouverains du coloris.

La touche du pinceau est encore différente de celle du crayon. Quoique plus finie, elle doit être fpirituelle & légére. Qui peut difputer à l'efprit d'être le premier artisan de tous les beaux ouvrages?

Le coloris eft le mot génerique, c'est la partie de la peinture qui fait imiter la couleur des objets naturels & donner aux artificiels la couleur qui leur convient; c'est, pour ainfi dire, l'intelligence de toutes les couleurs.

La couleur eft ce qui rend les objets fenfibles à la vuë. Il y en a deux, la naturelle & l'artificielle. La couleur naturelle eft celle qui nous rend visibles les objets de la nature.

L'artificielle est une matiere dont le peintre se fert pour imiter ces mêmes objets & repréfenter la nature dont il faut un peu outrer les clairs & les ombres, afin de remedier au brillant que les couleurs perdent étant employées, & à l'éloignement du tableau peint fur une fuperficie plate. C'est ce qu'on nomme en peinture exageration.

Le coloris & le clair-obfcur font deux. Le coloris eft compofé de deux parties, la couleur locale & le clair-obfcur.

On entend par couleur locale, celle qui est naturelle à chaque objet de la nature, laquelle le

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of

(1) On en- diftingue de tous les autres, & en marque le véri tend encore par table caractére.

clair obfcur

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une forte de Le (a) clair-obfcur eft l'art industrieux de répanpeinture d'une dre les lumieres & les ombres, tant fur les ob

feule couleur

temps de Poli

mayeu.

en fait d'eftam-

qui étoit fort jets particuliers que dans le général d'un tableau.
en ufage du Quelle plus grande magie que le fecret d'en dégra
dore, & que der les teintes, de forte que fur une fuperficie pla-
T'on appelle au- te la vuë s'enfonce, s'éloigne considérablement,
jourd'hui Ca- quelquefois fe repofe! Les corps y prennent de la
Clair-obfcur rondeur, du relief & du mouvement; les grouppes
pes eft une pié par leur oppofition, par leur contraste, les demi-tein-
ce tirée à trois tes, les glacis, les reflets, les ombres, les (b) repous_
planches diffé- foirs, font les effets merveilleux des repos & des (c)
couleurs à l'hui reveillons; fouvent les clairs chaffent les ombres &
le imitent les réciproquement les ombres chaffent les clairs; ils
(b) Repouf-
se prêtent par oppofition un mutuel fecours. Les lu-
foir en peintu- mieres réunies ensemble par des paffages n'en font
re fe dit d'un qu'une, & l'accord de toutes les couleurs doit faire
ne maffe d'om- le même effet que la bonne musique; ne dit-on pas
bres fur le de- l'harmonie d'un tableau?

rentes dont les

deffeins.

grouppe ou d'u

vant d'un ta

bleau qui fert à

rées.

Le (d) costume eft encore une chose que l'habile faire fuir les peintre ne néglige jamais dans fon tableau; c'est parties éclai- l'exacte obfervation des mœurs, des caractéres, des modes, des ufages, des habits, des armes, des bâest une partie timens, des plantes & des animaux du pays dans piquée d'une lequel s'eft paffée l'action qu'il veut représenter. lumiere vive On juge fouvent d'un ouvrage par rapport à la

(-) Reveillon

pour ranimer

le spectateur &

faire valoir les tons fourds, les maffes d'ombres, les paffages & les demi-teïntes; c'est ce qu'on appelle en mufique une diffonance.

(d) On dit en François coftume & non pas coftumé, qui eft le mot Italien il coftume; les bons auteurs & notamment l'Abbé Fleury s'eft fervi du mot de costume dans les mœurs des Ifraëlites. Pag. 106.

que

partie de peinture qui nous flatte le plus & celle nous connoissons le mieux, fuppofé celle du coloris, c'est cependant mal en juger, il faut qu'un bon connoiffeur ait l'efprit d'une grande étenduë pour embraffer toutes les parties de la peinture & les aimer toutes à la fois ; les esprits bornés dans cette matiere ne peuvent être des juges équitables, ceux qui font prévenus en font auffi peu capables.

Dans un pareil jugement, il faut prefque autant de lumieres pour fentir le beau que pour le produire, on doit confiderer la compofition, la difpofition & l'invention comprises fous le terme général d'or donnance. Le deffein eft encore une des principales parties, il a pour baze la proportion, l'anatomie & la correction.

Lorfque ces deux parties font jointes au coloris dont l'objet eft la lumiere & l'ombre, on ne peut plus rien fouhaiter que l'expreffion; elle fe fait connoître non feulement par les mouvemens des parties du visage, mais encore par celles du corps, felon le caractére des fujets que l'on traite.

L'œil doit être fatisfait le premier par la couleur qui lui représente le naturel, & l'efprit frappé par les autres beautés fecondées par le coloris ne va que le dernier : un tableau est un fidéle dépofitaire des vérités de la nature, il doit non-feulement perfuader les yeux, mais semblable à un orateur, émouvoir, ravir, & toucher le cœur. L'éloquence en faitelle davantage?

On ne peut juger des différentes manieres des peintres, qu'après avoir examiné quantité d'ouvra

ges

de leurs mains, & faits dans leur meilleur temps. On a dit en parlant des deffeins qu'un peintre a trois manieres différentes, la derniere eft la plus mauvaife de toutes, lorfque dans un âge avancé il se forme une habitude de peindre, fans vouloir étudier plus long-temps la nature; c'eft alors qu'on trouve un maître fort different de lui-même, ce n'eft pas cependant une régle fans exception, il y a des maî tres tels qu'André del Sarto, & Michel-Ange des batailles dont les derniers tableaux font les meilleurs, dans d'autres comme le Pontorme, le Cavedon & l'Albane, ce font les premiers tableaux; en général ceux qui font faits dans la force de l'âge, & qui tiennent le milieu entre la premiere & derniere maniere font les plus eftimés.

Ce qui peut le plus arrêter un amateur dans l'examen des tableaux, ce font ceux qu'on peut appeller équivoques, faits par les difciples des grands maîtres, difciples qui ont entiérement fuivi leur manie. re, ou par ceux qui ont peint dans leur goût & que nous nommerons ici IMITATEURS. Bagna Caval lo, par exemple, a fuivi Raphaël; Peregrino Tibaldi Michel-Ange; Paul Lomazzo Leonard de Vinci, le Bronzin le Pontorme; Sebastien del-piombo le Giorgion, le Baroche a eu Vannius pour éléve, & l'on confond fouvent leurs ouvrages; le Valentin fe prend pour le Caravage & le Manfredi, Verendal & le Pietre Gueche pour le Breugel, le Varrege, Anfberg & Moyfe pour Corneille Polemburg; Leandre & François Baffan pour Jacques Baffan leur pere, Carletto pour Paul Veronese; Gofredy pour Bartolomé Breen

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