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LIVRE III.

Des systèmes égoïstes.

PROLEGOMÈNES.

Puisque l'homme est libre, nous pouvons chercher la loi de sa volonté.

On a vu, par tout ce qui précède, que nos préférences sont acquises aux systèmes rationnalistes, c'està-dire à ceux qui enseignent que la raison dont nous avons déjà indiqué la nature, est la règle absolue de nos actions.

Toutefois, nous ne pouvons nous dispenser d'examiner très brièvement les doctrines du plaisir, de l'intérêt, de l'intérêt bien entendu, de l'utilité que nous rangeons toutes sous une même dénomination de systèmes égoïstes.

Nous devons dire un mot aussi des doctrines de la sympathie, du sens moral, de l'amour, qui sont aussi insuffisantes que les premières, et ne rendent pas un compte exact des faits moraux de la nature humaine ; nous les rangeons toutes également sous la dénomination de systèmes sentimentalistes.

Mais nous serons très courts dans ces deux livres; car nous avons hâte d'arriver aux grands systèmes de morale, le platonisme, le stoïcisme, le kantisme, à qui nous consacrerons un nombre de pages égal à leur importance relative. Nous parlerons, dans un

appendice spécial, des principes de la morale d'Aristote. Nous ne pouvions, sans injustice, le confondre avec Epicure, et, d'un autre côté, nous n'avons pas cru devoir le ranger parmi les rationalistes.

Pour la partie ancienne de la philosophie morale, outre les sources que nous consulterons toujours, nous prendrons pour guides: l'histoire de la philosophie ancienne de Ritter (Paris, Ladrange, trad. de Tissot, 4 v. in-8°, 1835); Brucker, histoire philosophique (Leipsick, 1742, 6 v. in-4); Stanley, histoire philosophique, traduction latine (Leipsick, 1711, 1 v. in-4°); histoire complète des systèmes, par Degérando (8 v. in-8°. Paris, 1822-1847). Nous avons aussi consulté avec fruit l'histoire des progrès et de la décadence des sciences dans la Grèce (2 v. allemand), par Christ. Meiners; c'est une véritable histoire de la philosophie grecque; mais qui n'est pas achevée et ne va pas au-delà de Platon, à qui elle ne rend pas toute la justice qu'il mérite; mais ce qu'elle dit de Socrate, des sophistes, des disciples de Socrate, autres que Platon, et surtout ses recherches sur Pythagore, en font un ouvrage précieux.

Pour la partie moderne, nous suivrons, outre les ouvrages même des auteurs, le cours de droit naturel de Jouffroy (3 v. in-8. Paris, 1831-35-41); le cours d'histoire de la philosophie moderne de Cousin (5 v. in-8°. Paris, 1846, 1" série).

Sans préjudice des travaux spéciaux et des monographies, que nous aurons soin d'indiquer en y pui

sant.

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Nous passerons très-rapidement sur Aristippe. Disciple de Socrate, qui ne distinguait pas, dans l'idéal, l'utile et l'agréable du juste, et qui ne les séparait pas assez dans la pratique, il ne s'attacha qu'au premier et fonda sur le plaisir toute sa morale, enseignant qu'il était le but de la vie.

Selon lui, le bien, c'est ce qui est agréable; le mal, c'est la peine, et il s'en réfère, à ce sujet, à l'unanimité de tous les hommes et de tous les êtres vivants.

Le plaisir est donc plus conforme à la nature humaine que la douleur. Si on voulait formuler le principe de sa morale, on pourrait dire qu'il ne faut régler ses desseins que sur la jouissance du présent, sans s'affliger du passé et sans se soucier de l'avenir; car le présent seul nous appartient; le passé n'est plus, l'avenir n'est pas encore, et peut-être ne sera pas pour nous (1). Mais, comme on devait faire l'application de ce principe au but de l'action, les cyrénaïques ne voient le bien que dans la jouissance du moment, et non dans un bonheur qui remplisse toute la vie. Car ce bonheur ne pouvant être atteint, puisque le sage lui-même est exposé à un grand nombre de maux nécessaires ou naturels, ne saurait être le but de nos actions (2). Le bonheur, ou la félicité, se

(1) Diog., 4, 11, 66.

(2) Il est impossible de méconnaitre en ce point, comme en beaucoup d'autres, que cette doctrine, à mesure qu'elle se développe, forme une opposition de plus en plus tranchée avec celle d'Epicure.

distingue du plaisir comme le tout de la partie; nous ne devons pas désirer la somme des plaisirs, mais seulement tel ou tel plaisir en particulier. On voit clairement ici, lå tentative de déterminer l'idée du plaisir comme jouissance pure et simple du présent, lorsqu'on aperçoit en même temps percer la crainte que si l'on voulait faire entrer dans ces désirs la vue du passé et de l'avenir, la jouissance du plaisir actuel n'en fût altérée; mais il ne faut pas se dissimuler, non plus qu'avec ce système, c'en est fait de l'unité de la fin morale, et qu'il y a dans toute la vie autant de fins particulières que de moments.

En général, l'action pouvait leur paraître moralement indifférente, puisque la seule chose importante, dans leurs idées, était la conséquence de l'action, c'est-à-dire le plaisir ou la peine. De là le principe évidemment sophistique qu'aucune action n'est bonne ou mauvaise en soi ou naturellement, mais seulement en vertu des lois et des mœurs, principe dont le vice n'était corrigé jusqu'à un certain point par les cyrénaïques qu'en ce qu'ils disaient que les biens qu'on peut obtenir par l'injustice semblent petits, tandis que le mal de l'injustice, la crainte et la peine, semblent grands. Pour ce qui est de la vertu, elle ne pouvait naturellement pas être fin pour eux; mais seulement moyen; ils semblent avoir entendu l'idée de vertu d'une manière très-large, puisqu'ils comprenaient par là tout ce qui peut, dans une action, contribuer au plaisir comme moyen, en sorte que l'homme même qui ne se conduit pas suivant la raison, pourrait être qualifié de vertueux, en tant qu'il possèderait seulement une certaine habileté physique qui pourrait conduire à la jouissance.

Si la rationalité avait quelque attribution positive, ce ne pouvait être que celle de diriger dans le choix des différentes sortes de plaisirs; car, bien que les cyrénaïques ne reconnaissent pas de plus et de moins dans

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