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et renvoyer ceux qui la proposent à lire ce que le grand Montesquieu et les plus célèbres publicistes ont écrit à cet égard. Cependant,comme on la renouvelle sans cesse, je ne dois pas la dédaigner.

D'abord, c'est une erreur de croire que ceux qui ont participé à la rédaction de la loi soient plus en état que tous autres d'en faire une juste application. Pour avoir des idées nettes sur ce point, il est essentiel de remarquer que les plus grandes difficultés qui s'élèvent sur l'interprétation des lois proviennent presque toujours d'une rédaction obscure, inexacte ou vicieuse de la loi. Pour les résoudre, il faut pénétrer l'esprit de la loi, c'està-dire qu'après avoir bien étudié toutes ses dispositions, il faut en déduire la conséquence naturelle, qui doit s'appliquer à la difficulté qu'il s'agit de résoudre. Mais il arrive souvent que l'esprit de la loi, c'est-à-dire, cette conséquence naturelle résultant de ses dispositions, se trouve en opposition directe avec l'intention du législateur. Ce cas arrive surtout lorsque le législateur n'a pas prévu la difficulté, ou qu'il s'est servi d'une rédaction vi

cieuse. Si cette difficulté est soumise à un jurisconsulte ou à un magistrat intelligent et impartial, il la résoudra en se conformant au véritable esprit de la loi (a): tandis que, si elle est déférée au législateur, il aura une tendance à faire prévaloir son intention législative, quoique mal ou nullement exprimée, sur le sens littéral; il cherchera à corriger l'imperfection de la loi par la jurisprudence, tandis qu'elle ne doit l'être que par un (nouvel) acte législatif. Il jugera en législateur plutôt qu'en magistrat; en sorte que celui qui se sera conformé à l'esprit de la loi perdra sa cause, tandis que celui qui aura rencontré par hasard l'intention non exprimée du législateur, la gagnera.

<«< Un auteur grave a très-bien développé d'autres inconvéniens qu'il y aurait à faire exercer les fonctions législatives et judiciaires par les mêmes personnes. Je vais rappeler quel

(a) C'est-à-dire, aux conséquences naturelles et exactes qui découlent, non pas seulement de la loi même, mais encore de la combinaison de ses dispositions avec les principes généraux du droit naturel, de la législation existante et de la jurisprudence établie. Voy. ci-apr., p. 57.

ques passages de son excellent ouvrage (a):Si le législateur était aussi magistrat, il ne pourrait que couronner et consommer comme magistrat toutes les méprises qui lui seraient échappées comme législateur. Si le magistrat était aussi législateur, les lois n'existant que par sa seule volonté, il ne serait point assujetti à les consulter pour juger, et il pourrait toujours ordonner comme législateur ce qu'il aurait à décider comme magistrat. Ainsi, ce ne serait que dans les seules volontés du législateur qu'il faudrait chercher la raison des lois positives (ou écrites)........; et ce ne serait que dans les seules volontés du magistrat qu'il faudrait chercher la raison de ses jugemens.

« Quand le pouvoir législatif et la Magistrature sont séparés, comme ils doivent l'être, les lois une fois établies par la Puissance législative ont une autorité qui leur est propre, et qui, leur donnant le droit de commander aux volontés du magistrat, leur assure une entière indépendance de toutes les autres volontés. Il

(a) De l'Ordre naturel et essentiel des Sociétés politiques, tom. vi, chap. x11.

est certain que le magistrat ne peut alors et ne doit avoir d'autres volontés que celles des lois; aussi n'est-ce point en lui que cette autorité réside, mais dans les lois; aussi ses fonctions se bornent-elles à faire l'application des lois; aussi ne fait-il que prononcer des jugemens déja dictés par les lois; aussi est-il tenu de penser, de parler, d'ordonner comme les lois. Il n'est ainsi que leur ministre, que leur organe, et c'est par cette raison qu'elles sont en sûreté dans ses mains; et que, par état, il· est nécessairement et particulièrement le dépositaire et le gardien des lois.

«Mais si le pouvoir législatif et la Magistrature étaient réunis, nous ne verrions plus dans le magistrat qu'une puissance absolument indépendante des lois, lorsqu'il s'agirait d'en faire l'application. Ce ne seraient plus alors les volontés des lois qui deviendraient celles du magistrat; ce seraient au contraire les volontés personnelles (et momentanées) du magistrat qui deviendraient celles des lois. Ses décisions ne pourraient plus être regardées comme étant dictées par les lois et d'après leurs dispositions invariables, puisque les lois ne seraient elles

mêmes que des résultats de ses opinions; qu'elles ne diraient que ce qu'il leur ferait dire, et qu'elles ne voudraient que ce qu'il leur ferait vouloir....».

- « Telles sont, reprend l'auteur de l'ouvrage que nous avons transcrit d'abord et dont nous avons aussi emprunté cette autre citation, telles sont les règles dictées par la raison et la sagesse. Toutes les fois qu'on s'en est écarté, le Pouvoir judiciaire a beaucoup souffert » (a).

Après le rapprochement et l'opposition de

(a) (De la Magistrature en France, considérée dans ce qu'elle fut et dans ce qu'elle doit être, par M. Bourguignon père, ancien magistrat, 3° part., ch. v, p. 186 et suiv.)

- Un passage de Vattel, qui eût déja pu trouver sa ⚫ place dans le liv. 1er, chap. 1er, de la seconde partie de notre ouvrage (voy. ci-dessus, vol. 1v, pag. 191), peut encore être invoqué ici comme autorité : « La pratique, dit cet auteur, de recourir au prince, en portant sa plainte au pied du trône, quand la cause a été jugée en dernier ressort, paraît sujette à de grands inconvéniens. Il est plus aisé de surprendre le prince par des raisons spécieuses qu'une compagnie de magistrats versés dans la connaissance du droit, et l'expérience ne montre que trop quelles sont dans une cour les ressources de la favenr et de l'intrigue....

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