: marqua tant de choses qu'il en fit un traité à l'âge de était, sans que mon frère l'entendit; il le trouva si douze ans, qui fut trouvé tout à fait bien raisonné. fort appliqué, qu'il fut longtemps sans s'apercevoir Son génie pour la géométrie commença à paraitre de sa venue. On ne peut dire lequel fut le plus surlorsqu'il n'avait encore que douze ans, par une ren- pris, ou le fils de voir son père, à cause de la décontre si extraordinaire, qu'il me semble qu'elle mé- fense expresse qu'il lui en avait faite, ou du père de rite bien d'être déduite en particulier. voir son fils au milieu de toutes ces choses. Mais la Mon père était homme savant dans les mathéma surprise du père fut bien plus grande, lorsque lui tiques, et avait habitude par là avec tous les habiles ayant demandé ce qu'il faisait, il lui dit qu'il chergens en cette science, qui étaient souvent chez lui; chait telle chose qui était la trente-deuxième propomais comme il avait dessein d'instruire mon frère sition du premier livre d'Euclide. Mon père lui dedans les langues, et qu'il savait que la mathéma- manda ce qui l'avait fait penser à chercher cela : il tique est une science qui remplit et qui satisfait dit que c'était qu'il avait trouvé telle autre chose; et beaucoup l'esprit, il ne voulut point que mon frère sur cela lui ayant fait encore la même question, il lui en eût aucune connaissance, de peur que cela ne dit encore quelques démonstrations qu'il avait faites; le rendit négligent pour la latine et les autres langues et enfin en rétrogradant et s'expliquant toujours par dans lesquelles il voulait le perfectionner. Par cette les noms de rond et de barre, il en vint à ses définiraison il avait serré tous les livres qui en traitent, et tions et à ses axiomes. il s'abstenait d'en parler avec ses amis en sa pré- Mon père fut si épouvanté de la grandeur et de la sence; mais cette précaution n'empêchait pas que la puissance de ce génie, que sans lui dire mot il le curiosité de cet enfant ne fût excitée, de sorte qu'il quitta et alla chez M. Le Pailleur, qui était son ami inpriait souvent mon père de lui apprendre la mathé- time, et qui était aussi très-savant. Lorsqu'il y fut matique; mais il le lui refusait, lui promettant cela arrivé, il y demeura immobile comme un homme comme une récompense. Il lui promettait qu'aussitôt transporté. M. Le Pailleur voyant cela, et voyant qu'il saurait le latin et le grec, il la lui apprendrait même qu'il versait quelques larmes, fut épouvanté, Mon frère, voyant cette résistance, lui demanda un et le pria de ne lui pas céler plus longtemps la cause jour ce que c'était que cette science, et de quoi on y de son déplaisir. Mon père lui répondit : « Je ne pleure traitait; mon père lui dit en général que c'était le pas d'affliction, mais de joie; vous savez les soins moyen de faire des figures justes, et de trouver les que j'ai pris pour ôter à mon fils la connaissance de proportions qu'elles avaient entre elles, et en même la géométrie, de peur de le détourner de ses autres temps lui défendit d'en parler davantage et d'y pen- études : cependant voici ce qu'il a fait. » Sur cela il lui ser jamais. Mais cet esprit qui ne pouvait demeurer montra tout ce qu'il avait trouvé, par où l'on poudans ces bornes, dès qu'il eut cette simple ouverture, vait dire en quelque façon qu'il avait inventé les maque la mathématique donnait des moyens de faire des thématiques. M. Le Pailleur ne fut pas moins surpris figures infailliblement justes, il se mit lui-même à que mon père l'avait été, et il lui dit qu'il ne trouvait rêver sur cela à ses heures de récréation; et étant pas juste de captiver plus longtemps cet esprit, et seul dans une salle où il avait accoutumé de se diver- de lui cacher encore cette connaissance; qu'il fallait tir, il prenait du charbon et faisait des figures sur des lui laisser voir les livres sans le retenir davantage. carreaux, cherchant les moyens de faire, par exem- Mon père, ayant trouvé cela à propos, lui donna ple, un cercle parfaitement rond, un triangle dont les Éléments d'Euclide pour les lire à ses heures de les côtés et les angles fussent égaux, et les autres récréation. Il les vit et les entendit tout seul, sans choses semblables. Il trouvait tout cela lui seul; en avoir jamais eu besoin d'aucune explication; et pensuite il cherchait les proportions des figures entre dant qu'il les voyait, il composait, et allait si avant, elles. Mais comme le soin de mon père avait été si qu'il se trouvait régulièrement aux conférences qui grand de lui cacher toutes ces choses, il n'en savait se faisaient toutes les semaines, où tous les habiles pas même les noms. Il fut contraint de se faire lui- gens de Paris s'assemblaient pour porter leurs oumême des définitions; il appelait un cercle un rond, vrages, ou pour examiner ceux des autres '. Mon une ligne une barre, et ainsi des autres. Après ces frère y tenait fort bien son rang, tant pour l'examen définitions il se fit des axiomes, et enfin il fit des de que pour la production; car il était de ceux qui y monstrations parfaites; et comme l'on va de l'un à * Cette société, dont l'amitié et le goût pour les sciences l'autre dans ces choses, il poussa ses recherches si formaient le double lien, se composait du père Mersenne, de avant, qu'il en vint jusqu'à la trente-deuxième pro- Roberval, Mydorge, Carcavi, Le Pailleur, et de plusieurs position du premier livre d’Euclide. Comme il en autres savants distingués. Elle fut le berceau de l'Académie royale des Sciences, dont l'autorité souveraine sanctionna était là-dessus, mon père entra dans le lieu où il l'existence en 1666. (Aimé-Martin.) acore portaient le plus souvent des choses nouvelles. On Cet ouvrage a été considéré comme une chose voyait souvent aussi dans ces assemblées-là des pro- nouvelle dans la nature d'avoir réduit en machine positions qui étaient envoyées d'Italie, d'Allemagne, une science qui réside tout entière dans l'esprit, et et d'autres pays étrangers, et l'on prenait son avis d'avoir trouvé le moyen d'en faire toutes les opérasur tout avec autant de soin que de pas un des au- tions avec une entière certitude, sans avoir besoin tres; car il avait des lumières si vives, qu'il est de raisonnement. Ce travail le fatigua beaucoup, non arrivé quelquefois qu'il a découvert des fautes dont pas pour la pensée ou pour le mouvement qu'il trouva les autres ne s'étaient point aperçus. Cependant il sans peine, mais pour faire comprendre aux oun'employait à cette étude de géométrie que ses heu-vriers toutes ces choses. De sorte qu'il fut deux ans res de récréation; car il apprenait le latin sur les à le mettre dans cette perfection où il est à présent'. règles que mon père lui avait faites exprès. Mais Mais cette fatigue, et la délicatesse où se trouvait comme il trouvait dans cette science la vérité qu'il sa santé depuis quelques années, le jetèrent dans des avait si ardemment recherchée, il en était si satis- | incommodités qui ne l'ont plus quitté; de sorte qu'il fait, qu'il y mettait son esprit tout entier; de sorte nous disait quelquefois que depuis l'âge de dix-huit que, pour peu qu'il s'y appliquât, il y avançait telle- ans il n'avait pas passé un jour sans douleur. Ces ment, qu'à l'âge de seize ans il fit un Traité des Co- incommodités néanmoins n'étant pas toujours dans niques qui passa pour êtreun si grand effort d'esprit, une égale violence, dès qu'il avait un peu de relåqu'on disait que depuis Archimède on n'avait rien che, son esprit se portait incontinent à chercher vu de cette force. Les habiles gens étaient d'avis quelque chose de nouveau. qu'on les imprimât dès lors, parce qu'ils disaient Ce fut dans ce temps-là et à l'âge de vingt-trois qu'encore que ce fût un ouvrage qui serait toujours ans qu'ayant vu l'expérience de Toricelli, il inventa admirable, néanmoins si on l'imprimait dans le ensuite et exécuta les autres expériences qu'on temps que celui qui l'avait inventé n'avait nommeses expériences : celle du vide, qui prouvait si que seize ans, cette circonstanceajouterait beaucoup clairement que tous les effets qu'on avait attribués à sa beauté : mais comme mon frère n'a jamais eu jusque-là à l'horreur du vide sont causés par la pede passion pour la réputation, il ne fit pas de cas de cela; et ainsi cet ouvrage n'a jamais été imprimés. qui est cependant la préface indispensable de l'invention du "La seur de Pascal oublie ici une aventure singulière, et Durant tous ces temps-là il continuait toujours jeune géomètre. En 1638, le gouvernement ayant ordonné des d'apprendre le latin et le grec; et outre cela, pen retrancbements sur les rentes de l'Hôtel de Ville de Paris, Etienne Pascal prit parti contre cette mesure spoliatrice, et dant et après le repas, mon père l'entretenait tantôt l'ordre fut donné par le cardinal de Richelieu de l'enfermer à de la logique, tantôt de la physique et des autres la Bastille. Instruit à temps, il se déroba à la colère du miparties de la philosophie; et c'est tout ce qu'il en a nistre, et s'enfuit en Auvergne. Vers cette époque, la duchesse d'Aiguillon voulut faire représenter devant le cardinal une appris, n'ayant jamais été au collége, ni eu d'autres pièce de Scudéry, intitulée l'Amour tyrannique, et jeta les maîtres pour cela non plus que pour le reste. Mon yeux pour l'un des rôles sur Jacqueline Pascal, sæur cadette père prenait un plaisir tel qu'on le peut croire de ces de Blaise. La pièce fut représentée le 3 avril 1639, et la jeune fille s'acquitta si bien de son rôle, que le cardinal de Richegrands progrès que mon frère faisait dans toutes les lieu lui accorda la grace de son père, qu'elle avait osé lui sciences, mais il ne s'aperçut pas que les grandes et demander dans une supplique en vers. Bien plus, le ministre voulut voir le coupable, et, frappé de ses vastes connaissances, continuelles applications dans un åge si tendre pou- il résolut de l'employer , et lui accorda, peu de temps après, vaient beaucoup intéresser sa santé; et en effet elle l'intendance de Rouen. Dans l'exercice de cet emploi, qu'il commença d'être altérée dès qu'il eut atteint l'âge les opérations de calcul , et ce fut dans l'intention d’abréger remplit pendant sept années, Étienne Pascal apprit à son fils de dix-huit ans. Mais comme les incommodités ce travail que l'enfant inventa la machine arithmétique. La qu'il ressentait alors n'étaient pas encore dans une combinaison et l'exécution de cette machine, qui exécute mécaniquement tous les calculs sans autre secours que ceux grande force, elles ne l'empêchèrent pas de con- des yeux et de la main, lui donnèrent des peines incroyables, tinuer toujours dans ses occupations ordinaires ; de et finirent par altérer sa santé. Etonné de cette découverte, le sorte que ce fut en ce temps-là et à l'âge de dix-neuf jours, en Angleterre, un célèbre mécanicien nommé Babbage, célèbre Leibnitz voulut encore la perfectionner; mais de nos ans qu'il inventa cette machine d'arithmétique par suivant toujours la même idée, est parvenu à composer une laquelle on fait non-seulement toutes sortes de sup machine mathématique qui résout les problèmes les plus compliqués, et calcule, comme un géomètre, le mouvement putations sans plume et sans jetons, mais on les fait des astres et le retour des éclipses. Ainsi l'invention de Pascal même sans savoir aucune règle d'arithmétique, et a été le point de départ de cette invention prodigieuse. Nous avec une sûreté infaillible. remarquerons que la plupart des découvertes de Pascal avaient un but d'utilité générale. Ainsi il inventa la brouette, "Ce Traité des Sections coniques étonna Descartes lui- autrement nommée vinaigrette, ou chaise roulante trainée à méme, et ce grand philosophe s'obstina à le regarder comme bras d'homme, et le haquct, ou charrette à longs brancards, l'ouvrage des maitres de Pascal, ne pouvant croire qu'un qui est une heureuse combinaison du levier et du plan inenfant de seize ans en fut l'auteur. (A.-M.) cliné. A.-M.) santeur de l'air'. Cette occupation fut la dernière où pas la nature de la foi; et ainsi cet esprit si grand, si il appliqua son esprit pour les sciences humaines, et vaste et si rempli de curiosités, qui cherchait avec quoiqu'il ait inventé la roulette après, cela ne con- tant de soin la cause et la raison de tout, était en tredit point à ce que je dis; car il la trouva sans y même temps soumis à toutes les choses de la relipenser, et d'une manière qui fait bien voir qu'il n'y gion comme un enfant; et cette simplicité a régné avait pas d'application, comme je dirai dans son lieu. en lui toute sa vie : de sorte que depuis même qu'il Immédiatement après cette expérience, et lors- se résolut de ne plus faire d'autre étude que celle de qu'il n'avait pas encore vingt-quatre ans, la provi- la religion, il ne s'est jamais appliqué aux questions dence de Dieu ayant fait naître une occasion qui l'o- curieuses de la théologie, et il a mis toute la force de bligea de lire des écrits de piété, Dieu l'éclaira de son esprit à connaître et à pratiquer la perfection de telle sorte par cette lecture , qu'il comprit parfaite- la morale chrétienne, à laquelle il a consacré tous les ment que la religion chrétienne nous oblige à ne talents que Dieu lui avait donnés, n'ayant fait autre vivre que pour Dieu, et à n'avoir point d'autre ob- chose dans tout le reste de sa vie que méditer la loi jet que lui; et cette vérité lui parut si évidente, si de Dieu jour et nuit. nécessaire, et si utile, qu'elle termina toutes ses re- Mais quoiqu'il n'eût pas fait une étude particulière cherches : de sorte que dès ce temps-là il renonça à de la scolastique, il n'ignorait pourtant pas les détoutes les autres connaissances pour s'appliquer uni- cisions de l'Église contre les hérésies qui ont été inquement à l'unique chose que Jésus-Christ appelle ventées par la subtilité de l'esprit; et c'est contre ces nécessaire. sortes de recherches qu'il était le plus animé, et Dieu Il avait été jusqu'alors préservé, par une protec- lui donna dès ce temps-là une occasion de faire pation de Dieu particulière, de tous les vices de la jeu- raitre le zèle qu'il avait pour la religion. nesse; et ce qui est encore plus étrange à un esprit Il était alors à Rouen , où mon père était employé de cette trempe et de ce caractère, il ne s'était ja- pour le service du roi, et il y avait aussi en ce même mais porté au libertinage pour ce qui regarde la re temps un homme qui enseignait une nouvelle philoligion, ayant toujours borné sa curiosité aux choses sophie qui attirait tous les curieux. Mon frère ayant naturelles. Il m'a dit plusieurs fois qu'il joignait cette été pressé d'y aller par deux jeunes hommes de ses obligation à toutes les autres qu'il avait à mon père, amis, y fut avec eux : mais ils furent bien surpris qui, ayant lui-même un très-grand respect pour la dans l'entretien qu'ils eurent avec cet homme, , qu'en religion, le lui avait inspiré dès l'enfance, lui don- leur débitant les principes de sa philosophie, il en nant pour maximes que tout ce qui est l'objet de la tirait des conséquences sur des points de foi confoi, ne le saurait être de la raison, et beaucoup moins traires aux décisions de l'Église. Il prouvait par ses y être soumis. Ces maximes, qui lui étaient souvent raisonnements que le corps de Jésus-Christ n'était réitérées par un père pour qui il avait une très- pas formé du sang de la sainte Vierge, mais d'une grande estime, et en qui il voyait une grande science autre matière créée exprès, et plusieurs autres choaccompagnée d'un raisonnement fort net et fort puis- ses semblables. Ils voulurent le contredire; mais il sant, faisaient une si grande impression sur son es- demeura ferme dans ce sentiment. De sorte qu'ayant prit, que quelques discours qu'il entendit faire aux considéré entre eux le danger qu'il y avait de laisser libertins, il n'en était nullement ému; et quoiqu'il la liberté d'instruire la jeunesse à un homme qui fût fort jeune, il les regardait comme des gens qui avait des sentiments erronés, ils résolurent de l'averétaient dans ce faux principe, que la raison humaine tir premièrement, et puis de le dénoncer s'il résisest au-dessus de toutes choses, et qui ne connaissaient tait à l'avis qu'on lui donnait. La chose arriva ainsi, car il méprisa cet avis : de sorte qu'ils crurent qu'il "La pesanteur de l'air fut démontrée par l'ingénieuse expérience du baromètre, sur le Puy-de-Dôme, expérience faite était de leur devoir de le dénoncer à M. du Bellay, le 19 septembre 1648. Baillet accuse Pascal d'ingratitude envers qui faisait pour lors les fonctions épiscopales dans le Descartes, et même de plagiat , à propos de cette expérience, mais Belliet a tort, ce qui lui arrive assez souvent. Voici, en diocèse de Rouen, par commission de M. l'archevêquelques mots, toute l'histoire de cette découverte. Galilée que. M. du Bellay envoya querir cet homme, et, soupçonne la pesanteur de l'air, et le premier nie l'horreur du i'ayant interrogé, il fut trompé par une confession vide; Toricelli conjecture qu'elle produit la suspension de l'eau dans les pompes, à une élévation de trente-deux pieds; de foi équivoque qu'il lui écrivit et signa de sa main, enfin Pascal convertit toutes les conjectures en démonstration, faisant d'ailleurs peu de cas d'un avis de cette imporen imaginant l'expérience du Puy-de-Dôme, moyen neuf et décisif, qui ne laissa plus aucun doute sur la pesanteur de tance, qui lui était donné par trois jeunes hommes. l'air. Les deux traités de Pascal sur l'Équilibre des Liqueurs Cependant aussitôt qu'ils virent cette confession de et sur la Pesanteur de la masse de l’Air furent achevés en l'année 1653; mais ils ne furent imprimés pour la première foi, ils connurent ce défaut; ce qui les obligea d'aller fois qu'en 1603 un an après la mort de l'auteur. (A.-M.) trouver à Gaillon M. l'archevêque de Rouen, qui, ayant exammé toutes ces choses, les trouva si im- Il avait entre autres incommodités celle de ne portantes, qu'il écrivit une patente à son conseil, et pouvoir rien avaler de liquide, à moins qu'il ne fût donna un ordre exprès à M. du Bellay de faire ré- chaud; encore ne le pouvait-il faire que goutte à tracter cet homme sur tous les points dont il était goutte: mais comme il avait outre cela une douleur accusé, et de ne recevoir rien de lui que par la com- de tête insupportable, une chaleur d'entrailles excesmunication de ceux qui l'avaient dénoncé. La chose sive, et beaucoup d'autres maux, les médecins lui fut exécutée ainsi, et il comparut dans le conseil de ordonnèrent de se purger de deux jours l'un duM. l'archevêque, et renonça à tous ses sentiments : rant trois mois; de sorte qu'il fallut prendre toutes et on peut dire que ce fut sincèrement; car il n'a ja- ces médecines, et pour cela les faire chauffer et les mais témoigné de fiel contre ceux qui lui avaient avaler goutte à goutte: ce qui était un véritable supcausé cette affaire : ce qui fait croire qu'il était lui- plice, et qui faisait mal au cour à tous ceux qui même trompé par les fausses conclusions qu'il tirait étaient auprès de lui, sans qu'il s'en soit jamais de ses faux principes. Aussi était-il bien certain qu'on plaint. n'avait eu en cela aucun dessein de lui nuire, ni La continuation de ces remèdes, avec d'autres d'autre vue que de le détromper par lui-même, et qu'on lui fit pratiquer, lui apportèrent quelque soul'empêcher de séduire les jeunes gens qui n'eussent lagement, mais non pas une santé parfaite; de sorte pas été capables de discerner le vrai d'avec le faux que les médecins crurent que pour la rétablir entièdans des questions si subtiles. Ainsi cette affaire se rement il fallait qu'il quittât toute sorte d'applicatermina doucement; et mon frère continuant de tion d'esprit, et qu'il cherchåt autant qu'il pourrait chercher de plus en plus le moyen de plaire à Dieu, les occasions de se divertir. Mon frère eut quelque cet amour de la profession chrétienne s'enflamma de peine à se rendre à ce conseil, parce qu'il y voyait telle sorte dès l'âge de vingt-quatre ans, qu'il se ré- du danger : mais enfin il le suivit, croyant être pandait sur toute sa maison. Mon père même n'ayant obligé de faire tout ce qui lui serait possible pour repas de honte de se rendre aux enseignements de son mettre sa santé, et il s'imagina que les divertissefils, embrassa pour lors une manière de vie plus ments honnêtes ne pourraient pas lui nuire; et ainsi exacte par la pratique continuelle des vertus jusqu'à il se mit dans le monde. Mais quoique par la misérisa mort, qui a été tout à fait chrétienne; et ma squr, corde de Dieu il se soit toujours exempté des vices, qui avait des talents d'esprit tout extraordinaires, et néanmoins comme Dieu l'appelait à une plus grande qui était dès son enfance dans une réputation où perfection, il ne voulut pas l'y laisser, et il se servit peu de filles parviennent , fut tellement touchée des de ma sæur pour ce dessein; comme il s'était autrediscours de mon frère, qu'elle se résolut de renoncer fois servi de mon frère lorsqu'il avait voulu retirer à tous ces avantages qu'elle avait tant aimés jus- ma sæur des engagements où elle était dans le monde. qu'alors, pour se consacrer à Dieu tout entière, Elle était alors religieuse, et elle menait une vie comme elle a fait depuis, s'étant fait religieuse 1 si sainte, qu'elle édifiait toute la maison : étant en dans une maison très-sainte et très-austère, où elle a cet état , elle eut de la peine de voir que celui à qui fait un si bon usage des perfections dont Dieu l'avait elle était redevable, après Dieu, des grâces dont elle ornée, qu'on l'a trouvée digne des emplois les plus jouissait, ne fût pas dans la possession de ces grâces; difficiles, dont elle s'est toujours acquittée avec toute et comme mon frère la voyait souvent, elle lui en la fidélité imaginable, et où elle est morte sainte- parlait souvent aussi, et enfin elle le fit avec tant de ment le 4 octobre 1661, âgée de trente-six ans. force et de douceur , qu'elle lui persuada ce qu'il lui Cependant mon frère, de qui Dieu se servait pour avait persuadé le premier, de quitter absolument le opérer tous ces biens, était travaillé par des maladies monde; en sorte qu'il se résolut de quitter tout à continuelles et qui allaient toujours en augmentant. fait toutes les conversations du monde, et de retranMais comme alors il ne connaissait pas d'autre cher toutes les inutilités de la vie au péril même de sa science que la perfection, il trouvait une grande dif- santé, parce qu'il crut que le salut était préférable férence entre celle-là et celle qui avait occupé son es- à toutes choses. prit jusqu'alors; car au lieu que ses indispositions Il avait pour lors trente ans, et il était toujours inretardaient le progrès des autres, celle-ci au con- firme; et c'est depuis ce temps-là qu'il a embrasse traire le perfectionnait dans ces mêmes indisposi- la manière de vivre où il a été jusqu'à la mort". tions par la patience admirable avec laquelle il les souffrait. Je me contenterai , pour le faire voir, d'en ? Il y a ici une assez longue lacune: Moc Périer ne parle rapporter un exemple. ni des Provinciales, qui parurent trois ans plus tard, en 1656, ni des questions proposées à Pascal par Fermat, et discutées A Port-Royal, dans les lettres de ces deux grands géomètres, et qui avaient les avait étudiés avec grand soin, et avait employé dans le monde, à quoi toute la religion se termine; tout son esprit à chercher tous les moyens de les conet cet amour le portait à travailler sans cesse à dé a Pour parvenir à ce dessein et rompre toutes ses cours faisait l'effet qu'il s'était proposé. Et cette mahabitudes , il changea de quartier, et fut demeurer nière d'écrire naturelle, naïve, et forte en même quelque temps à la campagne; d'où étant de retour, temps, lui était si propre et si particulière, qu'aussiil témoigna si bien qu'il voulait quitter le monde, tôt qu'on vit paraître les Lettres au Provincial, on vit qu'enfin le monde le quitta ; et il établit le règlement bien qu'elles étaient de lui, quelque soin qu'il ait de sa vie dans cette retraite sur deux maximes prin- toujours pris de le cacher, même à ses proches. Ce cipales, qui furent de renoncer à tout plaisir et à fut dans ce temps-là qu'il plut à Dieu de guérir ma toutes superfluités; et c'est dans cette pratique qu'il fille d'une fistule lacrymale qui avait fait un si grand a passé le reste de sa vie. Pour y réussir, il commença progrès dans trois ans et demi , que le pus sortait . dès lors, comme il fit toujours depuis, à se passer non-seulement par l'ail, mais aussi par le nez et par du service de ses domestiques autant qu'il pouvait. la bouche. Et cette fistule était d'une si mauvaise Il faisait son lit lui-même, il allait prendre son dîner qualité, que les plus habiles chirurgiens de Paris la à la cuisine et le portait à sa chambre, il le rappor- jugeaient incurable. Cependant elle fut guérie en un à tait, et entin il ne se servait de son monde que pour moment par l'attouchement d'une sainte épiner; et faire sa cuisine, pour aller en ville, et pour les au- ce miracle fut si authentique, qu'il a été avoué de tres choses qu'il ne pouvait absolument faire. Tout tout le monde, ayant été attesté par de très-grands son temps était employé à la prière et à la lecture de médecins et par les plus habiles chirurgiens de l'Écriture sainte : et il y prenait un plaisir incroya- France, et ayant été autorisé par un jugement soble. Il disait que l'Écriture sainte n'était pas une lennel de l'Église. science de l'esprit, mais une science du cæur, qui Mon frère fut sensiblement touché de cette grâce, n'était intelligible que pour ceux qui ont le cæur qu'il regardait comme faite à lui-même, puisque c'édroit, et que tous les autres n'y trouvent que de tait sur une personne qui, outre sa proximité, était l'obscurité. encore sa fille spirituelle dans le baptême; et sa conC'est dans cette disposition qu'il la lisait, renon- solation fut extrême de voir que Dieu se manifestait çant à toutes les lumières de son esprit; et il s'y était si clairement dans un temps où la foi paraissait si fortement appliqué, qu'il la savait toute par cæur; comme éteinte dans le cæur de la plupart du monde. de sorte qu'on ne pouvait la lui citer à faux; car La joie qu'il en eut fut si grande, qu'il en était pélorsqu'on lui disait une parole sur cela, il disait po- nétré, de sorte qu'en ayant l'esprit tout occupé, sitivement : Cela n'est pas de l'Écriture sainte, ou Dieu lui inspira une infinité de pensées admirables Cela en est; et alors il marquait précisément l'en- sur les miracles”, qui, lui donnant de nouvelles ludroit. Il lisait aussi tous les commentaires avec mières sur la religion, lui redoublèrent l'amour et grand soin; car le respect pour la religion où il avait le respect qu'il avait toujours eus pour elle. été élevé dès sa jeunesse était alors changé en un Et ce fut cette occasion qui fit paraître cet examour ardent et sensible pour toutes les vérités de trême désir qu'il avait de travailler à réfuter les prinla foi; soit pour celles qui regardent la soumission cipaux et les plus faux raisonnements des athées. Il de l'esprit, soit pour celles qui regardent la pratique vaincre. C'est à quoi il s'était mis tout entier. La truire tout ce qui se pouvait opposer à ces vérités. dernière année de son travail a été toute employée à Il avait une éloquence naturelle qui lui donnait recueillir diverses pensées sur ce sujet : mais Dieu, une facilité merveilleuse à dire ce qu'il voulait; mais qui lui avait inspiré ce dessein et toutes ses pensées, il avait ajouté à cela des règles dont on ne s'était n'a pas permis qu'il l'ait conduit à sa perfection, pas encore avisé, et dont il se servait si avantageuse- pour des raisons qui nous sont inconnues 3. ment, qu'il était maître de son style; en sorte que * Cette sainte épine est au Port-Royal du faubourg Saintnon-seulement il disait tout ce qu'il voulait, mais il Jacques, à Paris. le disait en la manière qu'il le voulait, et son dis- 2 Voyez les Pensées de Pascal. 3 Telle est l'origine du beau livre que les éditeurs ont inproduit en 1654 le Traité du triangle arithmétique ; ouvrage titulé Pensées. Ces pensées étaient écrites sans ordre sur des très-court, mais plein d'originalité et de génie. Les problèmes feuilles détachées. Les solitaires de Port-Royal les recueillidont Pascal y donne la solution consistent à sommer les rent dans une première édition bien incomplète, en 1670. Denombres naturels triangulaires pyramidaux, et à trouver aussi puis, le père Desmolets, de l'Oratoire, réunit en un petit les sommes de leurs carrés et de toutes leurs puissances. Les volume supplémentaire toutes les pensées supprimées. Entin formules données par Pascal ont cela d'important, qu'elles une édition plus complète fut publiée à Paris en 1687, 2 voconduisent à celles du binome de Newton , lorsque l'exposant lumes in-12, avec la vie de Pascal par Mme Périer, un discours du binome est positif et entier. (Voyez à ce sujet l'Éloge de de Dubois sur les pensées, et un autre discours sur les preuves Pascal par Condorcet.) (A.-M.) des livres de Moise. Mais c'est Bossut qui le premier a ré, |