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Lorsque ces voisins furent arrivés, le magistrat leur demanda aussitôt ce qu'ils savaient du meurtre en question. Il est vrai, répondirent-ils, que l'an passé, tel mois et tel jour, le lettré Kié frappa avec tant de violence un marchand de gingembre, qu'on le crut mort pendant quelque temps; mais on le fit revenir, et nous ignorons ce qui lui est arrivé dans la suite. A ce témoignage, le mandarin s'ëcria : « Il n'y a plus de questions à faire. Kié, vous êtes coupable de ce meurtre; mais comme vous ne l'avouerez pas, si je n'emploie à votre égard les voies de rigueur, j'ordonne que vous receviez la bastonnade. »

A peine le mandarin a-t-il prononcé ces paroles, que deux estafiers du tribunal s'emparent du lettré, l'étendent par terre, et lui déchargent vingt coups de bambou. Il n'en fallait pas tant pour lui faire avouer tout ce qu'on voulait. Le mandarin prenant alors la parole : « Il n'est pas douteux, dit-il, que tu ne mérites la mart, mais comme aucun parent du mort n'a encore paru pour demander vengeance,

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j'attendrai qu'il en vienne quelqu'un avant de déterminer le genre de supplice dont tu dois être puni. » L'audience terminée, Kié fut conduit en prison; le mandarin rentra dans son hôtel, et Hou-le-Tigre se retira bien satisfait du succès de son accusation. D'autres esclaves qui avaient été envoyés à l'audience par la femme du malheureux lettré, allèrent lui rapporter tout ce qui s'était passé. Comme on peut se faire une idée de la douloureuse impression que fit une si triste nouvelle sur cette tendre épouse, nous nous dispenserons de représenter à nos lecteurs sa désolation.

Il y avait plus de six mois que son mari gémissait et languissait dans son cachot, lorsque le soir d'un jour où elle était allée lui porter des secours et des consolations, et comme elle se livrait à sa douleur au fond de ses appartemens, ses esclaves virent entrer dans la maison un vieillard qui portait des présens, et qui leur demanda si leur maître était chez lui. Après l'avoir considéré de près, tous se mettent à crier : « C'est un revenant!» et chacun prend la

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fuite de son côté. C'était le marchand de gingembre qu'ils avaient reconnu. Cet homme les voyant effrayés de sa présence, en saisit un par le bras, et lui dit : « Etesvous fou? je viens rendre visite à votre maître, et vous me prenez pour un revenant? »

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La femme du lettré, entendant du bruit, sortit promptement de sa chambre pour savoir de quoi il s'agissait. Le bon vieillard s'avance au-devant d'elle, et la salue avec beaucoup de respect, « Madame, lui dit-il, peut-être n'avez vous pas oublié le marchand de gingembre de la ville de Hou-Tchéou. C'est moi-même, et je conserve toujours le souvenir du repas que me donna votre mari, et du présent qu'il me fit d'une pièce de taffetas blanc. En sortant de votre maison, je m'en retournai à Hou-Tchéou. Il y a un an et demi que mon petit commerce me retient en divers endroits. Je suis venu faire un tour dans votre ville, et j'ai apporté quelques bagatelles de mon pays, pour avoir l'honneur de vous les offrir. Je ne comprends pas ce qui a pu porter vos gens à me prendre

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Je viens rendre visite à votre maitre et vous me prenez pour un revenant ·

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