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tout, pour les rôles tragiques. Une voix fourde, des infléxions dures, une volubilité de langue qui précipitoit trop fa déclamation, le rendoient de ce côté fort inférieur aux acteurs de l'hôtel de Bourgogne. Il fe fit juftice & fe renferma dans un genre où ces défauts étoient plus fupportables. Il eut même des difficultés à furmonter pour y réuffir; & ne fe corrigea de cette volubilité, fi contraire à la belle articulation, que par des efforts continuels, qui lui cauférent un hoquet qu'il a confervé jusqu'à la mort, & dont il favoit tirer parti en certaines occafions. Pour varier fes infléxions, il mit le premier en usage certains tons inulités qui le firent d'abord accufer d'un peu d'affectation, mais auxquels on, s'accoûtuma. Nonfeulement il plaifoit dans les rôles de Mafcarille, de Sganarelle, d'Hali, &c; il excelloit encore dans les rôles de haut comique, tels que ceux d'Arnolphe, d'Orgon, d'Harpagon. C'eft alors que, par la vérité des fentimens, par l'intelligence des expreffions, & par toutes les fineffes de l'art, il féduifoit les fpectateurs, au point qu'ils ne diftinguoient plus le perfonnage représenté, d'avec le comédien qui le repréfentoit; auffi fe chargeoit-il toujours des rôles les plus longs & les plus difficiles. Il s'étoit encore réservé l'emploi d'orateur (1) de fa troupe.

(1) Chaque troupe avoit, dans ce temps-là, un acteur, qui feul faifoit l'annonce des pièces, & qui

Le foin avec lequel il avoit travaillé à corriger & à perfectionner fon jeu, s'étendoit juf ques fur fes camarades. L'Impromptu de Verfailles, dont le fujet eft la répétition d'une comédie qui devoit fe jouer devant le Roi, eft Timage de ce que Moliere faifoit probablement dans les répétitions ordinaires des piéces qu'il donnoit au public. Rien de ce qui pouvoit rendre l'imitation plus vraie & plus fenfible n'échappoit à fon attention. Il obligea fa femme qui étoit extrêmement parée, à changer d'habit, parce que la parure ne convenoit pas au rôle d'Elmire convalefcente, qu'elle devoit repréfenter dans Tartuffe. Mais il ne fe bornoit pas feulement à former fes acteurs, il entroit dans toutes leurs affaires, foit générales, foit particuliéres, il étoit leur maitre & leur camarade, leur ami & leur (1) protecteur; aufli attentif à compofer pour eux des (2) rô

haranguoit le public dans l'occafion. Moliere, quelques années avant fa mort, avoit cédé cet emploi au comédien la Grange.

(1) Non-feulement, en 1665, il obtint pour fa troupe le titre de troupe du Roi,avec fept mille livres de penfion; mais fur les inftances réitérées de fes camarades, il demanda, & obtint un ordre du Roi, pour qu'aucunes perfonnes de fa maifon n'entraffent à la comédie fans payer. Voyez Grimareft, pag. 131. (2) Il avoit du Croify en vûe, lorfqu'il compofa le rôle de Tartuffe ; comme dans la fuite, profitant de la taille & des graces de Baron encore jeune,, lui deftina le rôle de l'Amour dans Pfiché.

les qui fiffent valoir leurs talens, que foigneux d'attirer dans fa troupe des fujets qui puffent la rendre plus célébre. On fait que le bruit des heureufes difpofitions du jeune Baron, alors âgé d'environ onze ans, avoit déterminé Moliere à demander au Roi un ordre pour faire paffer cet enfant, de la troupe de la Raifin, (1) dans la fienne. Baron, élevé & inftruit par Moliere, qui lui tint lieu de pere, (2) eft devenu le Rofcius de fon fiécle. La Beauval quitta la province pour venir briller fur le théatre du palais royal.

Moliere, qui s'égayoit, fur le théatre, aux dépens des foibleffes humaines, ne put fe ga rantir de fa propre foibleffe. Séduit par un penchant qu'il n'eut ni la fageffe de prévenir, ni la force de vaincre, il envisagea la fociété d'une

(1)La Raifin, veuve d'un organiste de Troyes, avoit formé une troupe de jeunes enfans, fous le nom de troupe Dauphine; elle pria Moliere en 1664. de lui prêter fon théâtre pour trois représentations: Moliere, informé du fuccès qu'avoit eu le jeune Baron les deux premiers jours, réfolut, quoique malade, de fe faire porter au palais royal à la troifiéme repréfentation, & obtint le lendemain un ordre du Roi, pour faire entrer Baron dans fa troupe. Voyez Grimareft, pages 95 & 101.

(2) Baron étoit fils d'un comédien & d'une comédienne de l'hôtel de Bourgogne. Son pere étoit mort au mois d'octobre 1655 ; & la mere, au mois de feptembre 1662. Voyez Mufe hiftorique de Loret, lettre 40 de l'année 1655, & lettre 3.5, de l'année 1662.

femme aimable, comme un délaffement néceffaire à fes travaux ; ce ne fut pour lui qu'une fource de chagrins. Les perfonnes qui attirent les yeux du public, font plus expofées que les autres à fa malignité & à fes plaifanteries. Le mariage qu'il contracta avec la fille de la comédienne Béjart, lui fit d'abord éprouver ce que la calomnie (1) a de plus noir. Le peu de rapport entre l'humeur d'un philofophe amoureux, & les caprices d'une femme légére & coquette, répandit, dans la fuite, fur fes jours bien des nuages, dont on abusa pour jetter fur lui le ridicule qu'il avoit fi fouvent joué dans les autres. Il perdit enfin fon repos, & la douceur defa vie; mais fans perdre aucun des agrémens de fon efprit.

Plus heureux dans le commerce de fes amis, il les raffembloit à Auteuil, dès que fes occu pations lui permettoient de quitter Paris, ou ne l'appelloient pas à la cour. Eftimé des hommes les plus illuftres de fon fiécle, il n'étoit pas moins chéri & careffé des grands. Le maréchal duc de Vivonne vivoit avec lui dans cette familiarité, qui égale le mérite à la naissance. Le

(1) On difoit que Moliere, qui avoit été amou reux de la Béjart, avoit époufé fa propre fille mais elle étoit née en Languedoc avant qu'il eût fait connoiffance avec la mere; d'ailleurs Grimareft affure qu'elle étoit fille d'un gentilhomme d'Avignon, nommé Modéne, Voyez page 21,

grand Condé éxigeoit de Moliere de fréquen tes vifites, & avouoit que fa conversation lui apprenoit toujours quelque chofe de nouveau.

Des diftin tions fi flatteufes n'avoient gâté ni fon efprit ni fon cœur. Baron lui annonça un jour à Auteuil un homme que l'extrême mifére empêchoit de paroître ; il fe nomme Mondorge, (1) ajouta-t-il. Je le connois, dit Moliere, il a été mon camarade en Languedoc, c'est un honnête homme; que jugez-vous qu'il faille lui donner? Quatre piftoles, dit Baron, après avoir hélité quelques temps. Hé bien, reprit Moliere, Je vais les lui donner pour moi, donnez-lui ces vingt autres que voilà. Mondorge parut, Moliere l'embraffa, le confola, & joignit au préfent qu'il lui faifoit, un magnifique habit de théatre, pour jouer dans les rôles tragiques. C'est par des exemples pareils, plus fenfibles que de fimples difcours, qu'il s'appliquoit à former les moeurs de celui qu'il regardoit comme fon fils.

On n'a point inféré dans fes mémoires les traditions populaires, toujours incertaines, & fouvent fauffes, ni les faits étrangers ou peu intéreffans, que l'auteur de la vie de Moliere a raffemblés. Celui dont Charpentier, fameux compofiteur de mufique a été témoin, & qu'il a raconté à des perfonnes dignes de foi, eft peu connu, & mérite d'être rapporté. Molie

(1) Son nom de famille étoit Mignot.

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