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MÉMOIRES

DE OMER TALON,

AVOCAT GÉNÉRAL EN LA COUR DE PARLEMENT DE PARIS,

CONTINUÉS

PAR DENIS TALON, SON FILS;

PUBLIÉS, avec des fragments INÉDITS,

PAR MM. CHAMPOLLION-FIGEAC ET AIMÉ CHAMPOLLION FILS.

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Omer Talon, avocat au parlement de Paris en 1613, avocat général à la même cour en 1631 par la retraite de son frère aîné, et premier avocat général en 1641, mourut le 29 décembre 1652 à l'âge de cinquante-sept ans.

Habitué aux grandes règles du parlement et abîmé de tout temps dans la poussière de ses dossiers, Omer Talon ne pouvait écrire que comme un registre du parlement, et raconter que selon toutes les formes que l'esprit de corps crée et perpétue dans la magistrature. Aussi ses Mémoires ne sont-ils autre chose que des extraits des registres de cette cour pour les années 1631 (mai) à 1653 (avril). La narration relative à cette dernière année et à une partie de la précédente a même été rédigée par son fils, Denis Talon. Quelquefois, mais bien rarement, Omer Talon ajoute à ces extraits des réflexions sur les affaires publiques; et l'on y trouve toujours les relations qu'il fit aux assemblées des chambres, de ses entrevues avec la reine et les ministres, les discours qu'il prononça dans différentes séances, et les arrêts importants rendus par cette cour souveraine pendant qu'il y remplit la charge d'avo. cat général. Ces Mémoires, en un mot, sont l'histoire de tous les faits concernant les affaires de France auxquelles le parlement de Paris prit quelque part, et où il fut souvent à la fois juge et partie.

Les formes oratoires employées au siècle de Talon paraissent aujourd'hui d'un ridicule achevé. Il en est de même des éloges outrés à l'excès, et des comparaisons, bizarres jusqu'au ridicule, employées dans des discussions du plus haut intérêt politique, à propos de la personne du roi et des princes français. Mais c'est au mauvais goût du temps qu'il faut en adresser le reproche. Il paraît même que ces formules oratoires étaient tellement requises, qu'Omer Talon se crut obligé de faire, sous le titre de préface et exorde, un volumineux recueil de phrases analogues, tirées des écrivains contemporains ou des écrits de ceux qui l'avaient précédé de peu de temps, afin d'avoir à son service des éloges prêts pour toutes les circonstances. En parcourant ces gros volumes in-folio, il est facile d'y reconnaître les nombreux modèles d'éloquence, qu'il en a plus ou moins heureusement glisses dans ses discours prononcés aux audiences solennelles du parlement.

Son caractère était cependant peu enclin à la souplesse que ces éloges outrés pourraient faire supposer; Omer Talon paraît avoir adopté pour règle de conduite une ligne de modération dont il ne s'écarta guère. Il ne craignit pas cependant de réclamer souvent la part qui revenait au parlement dans le gouvernement de l'État, contre les empiétements du conseil du roi; il remarque souvent aussi que « les premiers ministres, de leurs intérêts particuliers en composent des affaires d'Etat, et que ce qui doit servir à leur fortune ou à leur conservation, ils l'appuient de leur autorité et de celle de leur maître. » Enfin il osa même dire au roi Louis XIV, dans un lit de justice, que la grandeur de son État et la dignité de sa couronne se mesuraient par la qualité de ceux qui lui obéissaient, et qu'il importait à sa gloire qu'ils fussent des hommes libres et non des esclaves. Il n'était pas moins l'ennemi des hommes à double conscience, dont l'une d'État qui doit s'accommoder à la nécessité des affaires, tandis que l'autre est entièrement soumise aux actions particulières. Mais s'il remarque malicieusement que la cour de France, si rigide observatrice des cérémonies religieuses, savait bien se dispenser d'assister à une procession solennelle lorsque le soleil était trop chaud, il ne manque pas non plus de constater l'influence de l'heure du dîner sur les délibérations du parlement, et d'avertir combien de délibérations contradictoires l'heure de midi avait causées à cette Cour.

Son opinion est aussi franchement exprimée au sujet de l'insuffisance des grands jours autrefois institués pour examiner les prévarications des agents du gouvernement dans les provinces; et après avoir manifesté son indignation contre la corruption de ces prévôts des marchands, il dénonce la tenue des grands jours comme ne servant qu'à donner plus d'insolence à ceux qui échappaient à cette juridiction extraordinaire, dont une grande partie du temps était employée en compliments et en visites de cérémonie avec les autorités provinciales.

Le défaut principal des Mémoires de Talon est de ne point présenter une narration suivie; mais tous les faits historiques y sont fidèlement enregistrés. En les lisant, on ne peut oublier le jugement porté sur ces Mémoires par Laharpe : « Il faut, dit-il, dévorer l'ennui de ces Mémoires diffus,

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qui sont un amas de matériaux entassés sans choix et sans art, mais que l'esprit de vérité et de justice a rassemblés. »

Le fils d'Omer Talon fut destiné à suivre la même carrière que son père, et il entra de bonne heure dans la magistrature; à la mort d'Omer Talon, Denis, son fils, était avocat du roi au Châtelet; il fut président à mortier, et il mourut en 1698, à l'âge de soixante et dix ans. C'est lui qui a continué les Mémoires de son père, depuis le mois de septembre 1652 jusqu'à la fin d'avril 1653.

Il avait épousé, en 1671, mademoiselle Favier du Boulay, riche héritière poursuivie par de grands seigneurs, qui, éconduits, se vengèrent contre la dame et son préféré par la chanson et la note suivante, tirées des recueils du temps :

Chanson sur l'air des Ennuyeux sur mademoiselle Favier du Boulay, lorsqu'elle épousa, l'an 1671, Denis Talon, avocat général du parlement de Paris.

Les marquis ne vous plaisent pas,
Pour eux seuls vous êtes cruelle;
La robe a pour vous des appas,
Vous en voulez taster, la belle.
J'aime mieux le dernier baron
Que monsieur l'avocat Talon.

Il vous parle comme Cujas,

Il raisonne comme Bartole,
Il compte pour peu vos appas,

Mais compte mieux sur vos pistoles :
C'est ce qu'on dit avec raison

De monsieur l'avocat Talon.

« Cette chanson n'a pas besoin de commentaire ; il suffit d'y ajouter que M. Talon étoit peut être l'homme du monde le plus désagréable: il étoit sale, crasseux, avoit la mine basse; nourri et élevé dans le palais, il ne connoissoit que la chicane et point du tout le monde, ce qui lui faisoit faire tous les jours mille fautes contre la politesse et la civilité; en un mot c'étoit un pédant très dégoûtant, maistre habile en son métier; cependant mademoiselle du Boulay Favier le préféra à beaucoup de gens aimables et de qualité dont elle étoit recherchée pour ses grands biens. »

Les Mémoires d'Omer et de Denis Talon ont été imprimés en 1732, par Antoine Joly, censeur royal, et sans privilége du roi.

Les manuscrits autographes, de ces Mémoires se

composent de quatre gros volumes in-folio (1), reliés en parchemin. Ils appartiennent à la bibliothèque de la Chambre des députés, où ils nous ont été obligeamment communiqués par son savant bibliothécaire M. Beuchot. Ils sont formés des feuillets écrits de la main d'Omer Talon, contenant l'exposé des préliminaires d'une séance au parlement, ou d'une audience de la reine, suivis d'autres feuillets évidemment écrits par un copiste, et contenant des arrêts du parlement ou des extraits des registres de cette compagnie, transcrits sur du papier de format inégal. Ils sont assemblés par nature d'affaire, même lorsque cette affaire a occupé le parlement à des époques différentes. Cette confusion avait fait omettre par les derniers éditeurs quelques fragments indiqués par Omer Talon, comme devant faire partie de ses Mémoires: c'est par une collation attentive des manuscrits, avec les anciennes éditions, que nous avons pu remarquer ces lacunes, et nous nous sommes empressés d'y suppléer, en insérant à leur place ces différents fragments. Nous n'avons pas cru devoir exclure quelques paragraphes qui, au premier coup d'œil, paraissent faire double emploi, mais qui contiennent réellement quelques détails nouveaux ou plus circonstanciés que d'autres paragraphes analogues. Les passages nouveaux dans notre édition sont enfermés entre [ ]. Nous n'avons fait aucun usage de plusieurs autres volumes manuscrits appartenant à la même bibliothèque et renfermant des plaidoyers des deux Talon; il nous suffira de rappeler qu'un choix en a été publié par les soins d'un honorable magistrat, M. Rives, vers l'année 1821, et ce recueil forme 6 volumes in-8.

On connaît encore d'Omer Talon des pièces de poésie manuscrites restées inédites jusqu'à ce jour, et qu'il ne pouvait convenir à notre Collection de recueillir et publier.

Les notes des anciens éditeurs ont été presque entièrement supprimées: elles faisaient double emploi avec celles que l'on trouve déjà sur la même époque, dans les Mémoires qui forment les premiers volumes de cette série. (A. C.)

(1) La Bibliothèque du roi possède aussi une très-bonne copie des Mémoires d'Omer Talon.

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