Images de page
PDF
ePub

les personnes dévotes trouvent d'abord beaucoup d'amertume dans l'exercice de la mortification; mais bientôt elles la sentent toute changée par l'usage, en une charmante suavité.

Les Martyrs au milieu des feux, et sur les roues, ont cru être couchés sur les fleurs, et parfumés des odeurs les plus délicieuses; et si l'esprit de piété a pu ainsi, par sa douceur, charmer les tourmens les plus cruels, et la mort même, que ne fait-il pas dans les exercices les plus laborieux de la vertu? Ne peut-on point dire qu'il leur est ce que le sucre est aux fruits, dont il tempère la crudité lorsqu'ils ne sont pas mûrs, ou dont il corrige ce qui leur reste de malignité naturelle, quoiqu'ils soient en leur maturité? Il est vrai que la dévotion assaisonne toute chose avec beaucoup d'agrément; elle adoucit l'amertume des mortifications, et elle corrige la malignité des consolations humaines; elle soulage le chagrin du pauvre, et elle réprime l'empressement du riche; elle console un esprit désolé dans l'oppression, et elle humilie l'orgueil de la prospérité et de la faveur; elle charme l'ennui de la solitude, et elle donne du recueillement à ceux qui sont dans le commerce du monde; et elle est à nos âmes, tantôt ce que le feu est en hiver, et tantôt ce que la rosée est en été; elle fait porter l'abondance, et souffrir la pauvreté; elle rend

également utile l'honneur et le mépris, reçoit avec une même dispositition le plaisir et la douleur, et elle nous remplit d'une admirable suavité.

Contemplez l'échelle de Jacob; car c'est une fidèle peinture de la Vie Dévote. Les deux côtés de cette échelle nous représentent l'Oraison qui demande l'amour de Dieu, et l'usage des Sacremens qui nous le donne. Les échelons sont les diverses degrés de charité, par lesquels l'on va de vertu en vertu, soit en s'abaissant jusqu'à servir le prochain et souffrir ses foiblesses, soit en s'élevant par la contemplation jusqu'à l'union amoureuse de Dieu. Or, considérez, je vous prie, comme ces bienheureux Anges revêtus d'un corps humain, descendent et montent par cette échelle, et nous représentent bien les vrais devots qui ont un esprit angélique. Ils nous paroissent jeunes, et cette jeunesse nous. marque la force et l'activité spirituelle de la dévotion. Leurs ailes nous figurent le voi et l'élancement de l'âme en Dieu par la sainte Oraison; mais en méme-temps ils ont des pieds, et cela nous apprend que nous devons vivre sur la terre avec les autres hommes dans une sainte et paisible société. Leur beauté et la joie peinte sur leurs visages, nous marquent la douce tranquillité avec laquelle il faut recevoir tous les événemens de la vie et leur tête nue aussi-bien que leurs bras et leurs pieds,

nous font penser que l'on ne doit rien méJer dans ses intentions, et dans ses actions avec le motif de plaire à Dieu. Le reste de leur corps est couvert d'une robe fort légère, pour nous apprendre que dans la nécessité de se servir du monde et des biens du monde, il ne faut en prendre que ce qui est purement nécessaire.

Croyez-moi done, Philothée, la Dévotion est la Reine des vertus, puisqu'elle est la perfection de la charité; elle est à le charité ce que la crême est au lait, la fleur à une plante, l'éclat à une pierre précieuse, et l'odeur au baume. Oui, la dévotion répand partout cette odeur de suavité, qui conforte Fesprit des hommes, et qui réjouit les Anges.

[merged small][ocr errors]

La Dévotion convient à tous les états de la vie.

[ocr errors]

E Seigneur Créateur commanda aux arbres de porter dir fruit, chacun selon son espèce; et il commande encore à tous les fidèles, qui sont les plantes vivantes de son Église, de faire de dignes fruits de piété, selon leur état et leur vocation; car les règles n'en sont pas les mêmes pour les gens de qualité, pour les artisans, pour les princes et pour le peuple, pour les maîtres. et pour les domestiques, pour une femme

[ocr errors][ocr errors]

mariée et pour une fille, ou pour une veuve: et il faut meine accomoder toute la pratique de la dévotion à la santé, aux affaires et aux devoirs de chaque particulier. En vérité, Philothée, seroit-ce une chose louable, qu'un Évêque fut solitaire comme un Chartreux; que les personnes mariées ne pensassent pas davantage à amasser du bien que des Capucins; qu'un artisan fut assidu à l'office de l'Église, comme un Religieux l'est au choeur; et qu'un Religieux fut autant exposé à tous les exercices de la charité envers le prochain, qu'un Evêque? cette dévotion ne seroit-elle pas ridicule déréglée et insupportable ? Cependant, c'est ce que l'on voit souvent; et le monde qui ne sait pas faire, ou qui ne veut pas faire ce discernement entre la dévotion

[ocr errors]
[ocr errors]

et l'indiscrétion des personnes qui la prennent de travers, la blâme avec beaucoup d'injustice.

2

Non, Philothée, la véritable dévotion ne gâte rien, et même elle perfectionne tout; de sorte que si elle répugne aux devoirs légitimes de la vocation, elle n'est qu'une fausse vertu. L'abeille, dit Aristote, laisse les fleurs, dont elle tire son miel, aussi fraiches et aussi entières, qu'elle les a trouvées: mais la véritable dévotion fait encore mieux; non-seulement elle ne blesse en rien les devoirs des différens états de la vie, elle leur donne même un nouveau mérite, et elle en fait le plus bel ornement.

[ocr errors]

L'on dit que si on jette dans le miel quel ques pierreries que ce soit, elles y prennent toutes plus d'éclat qu'elles n'en ont, sans qu'aucune y perde rien de sa couleur naturelle c'est ainsi que la piété étant bien établie dans les familles, tout en devient meilleur, et plus agréable; l'économie en est plus paisible, l'amour conjugal plus sincère, le service du Prince plus fidèle, et l'application aux affaires plus douce et plus efficace.

C'est une erreur, et même une hérésie, que de vouloir bannir la vie dévote de la Cour des Princes et des armées, de la bou'tique des artisans et de la maison des personnes mariées. Il est bien vrai, Philothée, que la dévotion purement contemplative, monastique ou religieuse, ne peut subsister dans ces états; mais il est des dévotions d'un autre caractère, et très-propres à prefectionner ceux qui y vivent. Abraham, Isaac et Jacob, David, Job, Tobie Sara, Rebecca, Judith, nous en sont d'illustres exemples dans l'ancien Testament: et depuis ce temps-là, saint Joseph. Lydia et saint Crépin, ne se sont-ils pas sanctifiés dans leurs boutiques; sainte Anne, sainte Marthe, sainte Monique, Aquila et Prisca dans leurs ménages; Le Centenier Cornélius, s. Sébastien et s. Maurice dans les armées; le grand Constantin, sainte Hélène, s. Louis, s. Amé et s. Edouard sur le trône? Il est même arrivé que plusieurs

« PrécédentContinuer »