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niste! Je ne veux point de cela avec vous.

Ma foi, sire, je ne

sais pas ce qu'a fait la mere, mais pour le fils, il n'a garde d'être janséniste, car il ne croit pas en Dieu.

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Est-il possible?

reprit le roi en se radoucissant. Rien de plus certain, sire, je puis vous en assurer. Puisque cela est, il n'y a point de mal, vous pouvez l'emmener. »

Ce qui domine en lui, c'est la foi en la légitimité du pouvoir absolu, et la résolution formelle de périr plutôt que d'y laisser porter atteinte. C'est de là que vient le goût de la magnificence, du faste, de tout ce qui pouvait rehausser la décoration de la scène où il jouait le premier rôle. Incapable de comprendre et de juger les œuvres d'art quelles qu'elles fussent, un secret instinct l'avertissait du plus ou moins de rapport qu'il y avait entre elles et la royauté telle qu'il la voulait. Ce qu'il goûtait par-dessus tout, c'était l'ordre, la régularité, la noblesse soutenue. La force, l'originalité, la grâce, le touchaient moins. Il proscrivit le cartésianisme, dont il ne sut jamais le premier mot; il persécuta le jansénisme, dont il n'avait pas la moindre idée; il ne comprit rien à La Fontaine. Quant au familier et au burlesque dans les arts, il l'avait en aversion profonde 1. Les monuments qu'il fit exécuter sous son règne, la colonnade du Louvre, l'hôtel des Invalides, l'Observatoire, l'Arc de triomphe, respirent une majesté froide et ennuyée. Le chef-d'œuvre du genre, et son chef-d'œuvre à lui, c'est Versailles, le temple du dieu. On a essayé, on essaiera en vain d'approprier à des usages modernes le pompeux édifice, il résistera toujours. L'om

1. Surtout depuis son mariage avec la veuve de Scarron. Plus jeune, il aimait fort les bouffons italiens, le fameux Scaramouche surtout, qu'il payait plus cher que Molière.

bre de Louis XIV l'habite et le remplit à jamais tel hôte, telle demeure.

Après le roi, à égale distance du roi et du reste de la nation, viennent les grands seigneurs. Ils forment le cortége naturel de la royauté. C'est sur eux que s'abattit d'abord le joug qui pesa bientôt sur tous les sujets. Le roi, qui était d'une politesse exquise, était en retour le plus exigeant des maîtres. Affections de famille, santé, intérêts de fortune, tout devait être sacrifié aux devoirs de courtisan. Il fallait un congé régulier pour se dispenser d'assister au lever et au coucher du roi. Il ne tolérait aucun manquement, il n'en oubliait aucun. Seul dispensateur des grâces, il tenait par là toute sa noblesse. Talents, services rendus, mérite incontestable, tout cela n'était rien sans l'assiduité à faire sa cour. Il excellait dans cet art difficile et cruel d'entretenir l'émulation, d'exciter les rivalités. On se disputait un regard, un mot, un sourire; il mesurait à chacun suivant son rang et ses mérites réels ou imaginaires, les moindres marques d'une attention toujours proportionnée et jamais en défaut. C'est à lui, à lui seul que l'on s'adressait pour obtenir avancement, charges, pensions, dignités, argent. Il tirait de l'obscurité, du néant, le plus humble gentilhomme de son royaume, ou même un simple bourgeois, pour le placer sur les têtes les plus hautes. Ambitieux, vaniteux, nécessiteux, tous étaient prêts à tout pour plaire au roi. Ceux qui se tenaient debout quand même, comme Saint-Simon, étaient laissés à l'écart; ceux à qui échappait une parole imprudente ou irrévérencieuse, étaient perdus, témoin Bussy-Rabutin. Ni prières, ni marques de repentir, ni l'avilissement le plus cruel des suppliants ne pouvaient le fléchir. Tant de

puissance, et une volonté si ferme de la faire sentir, un art infini de tout ramener à la splendeur du trône, la magnificence, les grâces de la personne, le prestige d'une gloire précoce qu'il savait s'approprier, maintenaient dans une sorte d'éblouissement et d'adoration les courtisans de tout rang, de tout âge, de tout sexe. Les femmes se troublaient à un regard de lui, à un mot tombé de ses lèvres. Les poètes de cour, les rimeurs de ballets et de mascarades célébraient les glorieuses faiblesses du monarque, sa ravissante beauté, et la félicité de l'humble mortelle qui avait captivé le cœur du dieu. Les plus honnêtes rêvaient pour leur femme ou leur fille pareille fortune. Tant que le roi fut jeune et donna le signal des fêtes et des plaisirs, les courtisans ne furent exposés qu'à se corrompre dans l'oisiveté, à se ruiner en équipages, en habits, au jeu ils en étaient quittes pour pressurer un peu plus le fermier et le paysan. Quand le roi commença à vieillir, quand le bruit l'importuna, quand la peur, les remords, les deuils de famille le confinèrent dans le froid et sombre appartement de Mme de Maintenon, il fallut vieillir avec lui, se ranger avec lui, avec lui faire pénitence. Ce fut une cruelle épreuve pour les courtisans jeunes qui, n'ayant point pris part aux joyeux désordres des premières années, se sentaient peu de penchant pour l'expiation. Il fallait en venir là: la dévotion officielle, de plus en plus chagrine et exigeante, ne connaissait ni àge ni rang. Ce n'était plus dans les ballets et les carrousels qu'on attirait l'attention du roi; la piété étalée fut la plus sûre recommandation. L'hypocrisie, dont Molière avait pressenti le règne, s'installa à Versailles. A la corruption ordinaire des cours s'ajouta cette lèpre. De temps à autre

des désordres sans nom éclataient tout à coup, et cela dans la famille même du roi. La Bruyère, ce pénétrant observateur des mœurs de son siècle, disait : « Un dévot est celui qui, sous un roi athée, serait athée. » Cette brave noblesse française, légère, mais généreuse, méritait mieux. Sans adopter les idées d'un SaintSimon ou d'un Boulainvilliers, qui ne voient le salut du pays et de la monarchie que dans le retour à la féodalité, il faut bien reconnaître que cette classe de la nation a été abaissée sans profit, qu'on en pouvait faire autre chose qu'une décoration de la magnificence royale, que ses vices et son incapacité furent l'œuvre d'un maître jaloux et fastueux. On lui vendit trop cher des priviléges funestes et corrupteurs, qu'elle eut la gloire de sacrifier plus tard, dans la nuit du 4 août. Elle va tomber dans le discrédit qui attend la royauté elle-même. Nous sommes loin encore du jour où Beaumarchais dira: « Vous vous êtes donné la peine de naître. » Mais Montesquieu l'annonce. «Un grand seigneur, dit-il, est un homme qui voit le roi, qui parle aux mini-tres, qui a des ancêtres, des dettes et des pensions. » -Plus grave encore est la parole de d'Argenson: « Les nobles sont les frelons de la ruche. »

Après la cour, la ville. La ville, c'est Paris, que le roi n'aime guère, où il réside le moins possible, jusqu'au jour où il s'est fait sa vraie capitale à lui, le palais de Versailles. Paris, c'est la ville de la Ligue et de la Fronde; là est le cerveau, là est le cœur de la France. C'est de là que tout part et là que tout aboutit. C'est la ville libre et libérale par excellence. Comment en serait-il autrement? Quelle main assez puissante pour étouffer cet immense foyer? La flamme, éteinte sur un point, se ral

lume à côté. Bien que délaissé par le roi et tenu en suspicion, Paris n'abdique point. Le Parlement est écrasé; on le retrouvera debout en 1715. Il cassera le testament du roi. Les gens de robe, si méprisés des grands seigneurs, tiendront le pouvoir royal en échec pendant tout le XVIIIe siècle. Ce sont les robins qui ont porté les plus rudes coups au Mazarin. Ces gens du Palais sont tenaces. Les vieux sont inflexibles, les jeunes sont pleins de malice. La veine gauloise des Basochiens subsiste toujours, et s'épanche à l'ombre des murs de la Sainte-Chapelle: c'est là que naîtront Boileau et Voltaire. Le bourgeois de Paris, avocat, médecin. commerçant, aime la raillerie et y excelle. Les gens de Versailles prennent avec lui des airs superbes; il riposte par des noëls satiriques. Ce n'est pas à lui que les Villeroy, les Maintenon, les Tellier, et tant d'autres font illusion. La famille royale elle-même n'éhappe pas à la critique.

Le grand-père est un fanfaron,

Le fils un imbécile ;

Le petit-fils un grand poltron:

O la belle famille!

Que je vous plains, pauvres Français

Soumis à cet empire.

Faites comme ont fait les Anglais :
C'est assez vous en dire.

Pendant la Fronde, il avait les mazarinades, que l'on criait chaque matin dans les rues. A partir de 1660, les distractions de ce genre sont plus rares. On ne peut plus guère s'émanciper aux dépens des puissants qu'en petit comité. Les auteurs, les prédicateurs, qui songeaient autrefois aux bons bourgeois de la ville de Paris, tournent les yeux du côté de la cour. Personne ne remplace le petit père André,

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