Images de page
PDF
ePub

autres. Mais ce sont là des exceptions.

[ocr errors]

Qu'importe? La vertu sera toujours une exception. Elle peut exister, elle a existé, elle existera toujours, voilà ce qui importe. Le tout est de s'entendre sur la définition. La Rochefoucauld n'a pas formulé la sienne, et pour cause; il lui était bien plus commode d'en supposer une impossible, inadmissible, pour en avoir plus aisément raison. Il y a du parti pris, cela est évident. La Rochefoucauld a intérêt, ou si l'on aime mieux, il trouve sa joie à ces impitoyables analyses. Il se trompe rarement, même quand il raisonne mal, et cela lui arrive. On a relevé un de ses sophismes les plus ordinaires et qui consiste à établir un lien arbitraire entre deux faits qui se suivent. Là est la malignité. Ainsi nous montrons beaucoup de fidélité au secret; on le constate dans le monde où nous vivons, et par suite on a confiance en notre discrétion. Quoi de plus simple? La Rochefoucauld réunit les deux termes par un petit mot, et tout est empoisonné. Nous sommes discrets pour attirer la confiance. Quand on voit qu'un homme témoigne une grande aversion pour le mensonge, ses paroles ont plus de poids et d'autorité. La Rochefoucauld introduit encore son pour. Cela est continuel. « On fait souvent du bien pour pouvoir impunément faire du mal. » — « Nous nous montrons très-sensibles à la tendresse de nos amis, pour qu'on juge bien de notre mérite. »

On pourrait aller plus loin dans la critique. Les belles dames et les beaux esprits qui lisaient les Maximes et se récriaient, à la grande joie de l'auteur, car cela prouvait qu'il avait touché juste, avaient tort. Ce livre est bien le livre du temps et du milieu; c'est avant tout, un miroir de la société contemporaine; elle ne valait pas mieux que

[ocr errors]

cela. Je ne veux pas dire que les hommes aient beaucoup changé depuis, et que nous soyons bien supérieurs à ce qu'on était alors: la vertu sera toujours une exception; mais j'oserais dire que l'homme a aujourd'hui une vue plus nette, une conscience plus sûre, qu'il sait mieux ce qu'est le devoir, qu'il a une plus haute idée de la justice. La Rochefoucauld n'est jamais sorti de son monde de courtisans et d'intrigants blasonnés ; il n'a jamais eu d'autre idéal sous les yeux et en lui-même que l'honneur, c'est-à-dire, l'apparence de la vertu. On a vu avec quel mépris il parle de la pitié, cette passion faite pour le peuple. Il va jusqu'à croire qu'un homme de basse condition ne peut mourir avec courage que par stupidité; les grands seigneurs seuls ont du cœur. Quel était l'idéal d'une vie heureuse pour ces oisifs? Commencer par l'amour, finir par l'ambition. L'amour, on sait ce que c'était pour eux. La Rochefoucauld commente les Mémoires du temps et tire les conclusions. L'ambition, c'était de plaire au prince ou aux ministres. Le métier d'ambitieux consistait à échelonner les bassesses suivant la qualité de ceux à qui l'on s'adressait. Droit, justice, liberté, patrie, vérité, est-il un seul d'entre eux qui ait entrevu ces buts sublimes et rayonnants? L'éducation et la coutume leur faisaient des âmes serviles et des esprits étroits. Ils s'agitaient dans le vide; l'oisiveté les rongeait et les dépravait; la concurrence qu'ils se faisaient pour se supplanter auprès du maître ou des maîtresses, les maintenait dans un perpétuel mensonge. — Jamais apparences plus brillantes ne recouvrirent fond plus misérable.- Puis, quand le monde ne voulait plus de ces personnages usés à son service, la religion du temps les recueillait, comme la

rive recueille l'épave. Il fallait finir ainsi, c'était l'usage. Les Retz, les Bussy, les Condé, la princesse Palatine, et tant d'autres incrédules se convertissaient avec plus qu moins d'ostentation. Du berceau à la mort, tout était ostentation, vie artificielle, agitation misérable. Voilà ce que La Rochefoucauld a vu, senti, rendu. La précision tranchante de son style, le ton dogmatique et absolu font illusion, on ne veut pas voir en lui un peintre de la société de son temps, mais un moraliste universel: il est l'un et l'autre; c'est là sa puissante originalité. Que cet esprit, étroit au fond, que ce grand seigneur ignorant, qui acceptait sans examen toutes les institutions et tous les préjugés de son temps, qui croyait qu'un homme de son rang n'était pas de même nature que les autres, qui n'avait aucune idée de ce que pouvaient être la liberté, la justice. le droit, la science, la vérité, ait pu cependant s'arracher à l'influence du milieu où il était enfermé, et saisir par delà les réalités passagères qui s'étalent et qui passent, les traits essentiels de la nature humaine : voilà où éclate le génie. C'est peut-être à cette révision incessante du style, à cette poursuite d'une briéveté idéale qu'il doit la profondeur de la pensée. En supprimant de plus en plus les détails particuliers et qu'il jugeait oiseux, ou sujets aux interprétations malignes, il atteignait cette concision forte, qui donne à l'idée toute sa portée et ce relief qui la grave profondément dans l'esprit. La société qui a inspiré le livre a péri, le livre reste. Les naïfs et les hypocrites prétendront le réfuter, les gens sincères diront peut-être.

MADAME DE MOTTEVILLE

Mme de Motteville.

Son origine, sa position, son caractère. Ce qu'elle a vu et ce qu'elle ne dit pas. Les diverses parties de l'œuvre, la couleur, le style.

Il y eut parmi les successeurs de Ronsard (je dis successeurs, et non disciples), un poète du nom de Bertaut, qui plut à Marie de Médicis, fut choisi par elle pour être son aumônier, et enfin élevé à l'épiscopat. Parmi les gens de lettres qui avaient quelque tenue, ces fortunes n'étaient pas rares. On commençait par quelque bénéfice, comme Desportes, on finissait par un évêché. Godeau, le nain de Julie, fut évêque; l'érudit Huet le fut aussi, Balzac l'eût été s'il n'eut pas eu l'esprit si rogue; c'est peut-être Boileau aidé de Molière qui a empêché Cotin de l'être. Ce Bertaut, dont il ne reste que quatre jolis vers, d'un tour tendre, est mentionné en passant par Boileau: il paraît que la chute de Ronsard le rendit plus retenu.

Ce roète orgueilleux trébuché de si haut

Rendit plus retenus Desporles et Bertaut.

Il est permis de croire qu'il l'était naturellement. Mme de Motteville était sa nièce, et elle eut au plus haut degré cette qualité, qui serait bien précieuse, si d'ordinaire elle n'en excluait beaucoup d'autres.

Elle est née en Normandie (1621). Elle passa la plus grande partie de sa vie à la cour. Dès l'âge de sept ans elle y suivait sa mère, d'origine espagnole comme Anne

d'Autriche, très-avant dans sa confiance, et qui l'aidait dans tous ces petits complots qui impatientaient Richelieu. A la fin, il la chassa (1631). L'enfant avait déjà une pension de six cents livres, qui fut plus tard portée à deux mille. C'est dans cette première période de disgrâce que, restée orpheline et éloignée de la cour, elle fit ce qu'on appelle un mariage de raison. Elle épousa à dix-huit ans M. de Motteville qui en avait quatre-vingts. Son mari la laissa veuve deux ans après, mais il ne la fit pas son héritière. Anne d'Autriche se souvint d'elle, et la mort l'ayant débarrassée presque en même temps de Richelieu et de Louis XIII, elle rappela la fille de sa confidente, qui resta attachée à sa personne jusqu'à sa mort, en 1666. Dans quelle position? Cela est assez difficile à déterminer. Le titre officiel était femme de chambre, mais la charge était ce que la faisait la personne. Ne quittant pas la reine mère, lui servant de secrétaire, chargée de ses commissions les plus délicates, Mme de Motteville pouvait espérer une brillante fortune. Elle était jeune, libre, sage, dans une cour où on l'était peu, médiocrement belle, ce qui pouvait rassurer un mari plus soucieux de l'ambition que du reste; avec cela un esprit cultivé, une dévotion sincère, une maturité précoce, qui n'excluait pas un charme discret, une sorte de Mme Scarron, sauf la beauté. Il ne lui eût pas été bien difficile, à ce qu'il semble, de prendre sur la reine mère assez bornée, et qui avait besoin d'être conduite, une influence sérieuse. Malheureusement pour elle, ce fut Mazarin qui prit cette influence, et Mazarin, avec ses formes doucereuses et son patelinage, marchait au but aussi opiniâtrément que Richelieu avec toute sa violence. Il toléra Mme de Motteville, dont il ne se sentait pas aimé et

« PrécédentContinuer »