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jeune femme passe dans tout l'enivrement de la beauté et du bonheur; elle est magnifiquement parée, les diamants pendent à ses oreilles et étincellent sur son cou : c'est Mile de la Vallière; presque aussitôt un homme se précipite sur ses pas et la suit, c'est le roi. La reine à cette vue, serre convulsivement la main de Molina, et de l'autre, lui montrant le couple qui s'éloigne, elle jette dans la langue rauque de son pays ce cri de rage et de jalousie :

Cette fille qui a des pendants d'oreilles, c'est elle que le roi

court.

Ces touches rapides et fortes sont rares. Le chef-d'œuvre de cette partie des Mémoires qui traîne un peu, c'est l'épisode du voyage de Christine, reine de Suède. Mme de Motteville n'était pas tenue envers cette étrangère à ces ménagements qu'elle a toujours quand il s'agit de têtes couronnées. Elle a montré tel qu'il était ce personnage bizarre qui appelait Descartes à sa cour et faisait assassiner Monaldeschi à Fontainebleau, qui épouvantait les libres penseurs français par la hardiesse de ses propos, et allait se convertir à Rome. Qu'on se représente tombant dans cette nouvelle cour si galante, si éclatante, qui imposait à l'Europe son ton et ses modes, cette princesse dont le costume n'appartenait à aucun sexe, qui ne mettait pas de gants, qui au théâtre, appuyait ses pieds aux rebords des galeries, qui lançait parmi les conversations les plus raffinées des propos d'une liberté de corps de garde le contraste si inattendu et si complet dut frapper Mme de Motteville; elle l'a rendu à sa manière, c'est-à-dire plus finement que fortement, et comme une personne étonnée, scandalisée. L'essentiel s'y trouve, le dramatique

est absent. Elle n'a pas soupçonné le dédain profond de nos usages et de nos petites passions qui perçait dans les actes, les paroles, l'attitude de cet être viril, sauvage et insatiable, qui avait toutes les fantaisies de la femme sans sa grâce, qui pensait et voulait en homme, véritable sultan du Nord, que l'épuisement fit échouer à Rome aux pieds d'un confesseur.

Telle est l'œuvre dans sa physionomie générale. Elle manque de relief. Il est bien rare que Mme de Motteville se mette à son aise et aille jusqu'au bout de son idée. Il faut pour cela que les personnages aient tout à fait disparu, et que l'opinion publique en ait fait justice. Encore, même en ce cas, ajoute-elle un correctif pieux. Voici comment elle annonce la disgrâce du financier d'Émery.

Ce gros pourceau spirituel et vicieux qui nous méprisait, allait devenir un objet de compassion, un exemple agréable de la vicissitude des choses de cette vie, et par qui nous apprendrions fortement que la figure de ce monde passe.

Cela débute vivement, avec une certaine crudité même; la compassion qui intervient adoucit le premier trait; l'exemple agréable rappelle la satisfaction intime, puis la citation édifiante de la figure de ce monde qui passe, met en repos la conscience du narrateur. Il commençait en pamphlétaire, il conclut en prédicateur.

Autre exemple. Elle détestait profondément Mme de Montausier, qui avait pris la charge de gouvernante longtemps espérée par Me de Motteville; mais le moyen d'attaquer une réputation aussi solidement établie que cellelà! Elle prend un biais. Elle fait remarquer que c'était de toutes les dames de la cour la moins propre aux fonc

tions qui lui furent dévolues, fonctions qui réclament du sérieux, un zèle et un assujetissement perpétuels. Or Mme de Montausier n'avait rien de tout cela.

Vu son humeur et sa manière de vie toujours dissipée dans les choses extérieures, elle paraissait plus dévouée à l'estime publique qu'à l'amitié particulière.

Encore une citation. Bien que le passage soit fort agréablement tourné, il y manque la grâce suprême, cette vivacité spirituelle que Me de Sévigné n'eut pas manqué d'y mettre. Il s'agit justement d'un de ses parents, le marquis de la Trousse, aussi célèbre par ses duels que par son exquise urbanité.

Le marquis de la Trousse fut tué en cette occasion, qui était estimé brave, honnête homme, et si civil que même quand il se battait en duel, ce qui lui arrivait souvent, il faisait des compliments à celui contre qui il avait affaire. Lorsqu'il donnait de bons coups d'épée, il disait à son ennemi qu'il en était fâché; et parmi ces douceurs, il donnait la mort aussi hardiment et avec autant de rudesse que le plus brutal des hommes.

Peut-être avons nous tort de demander à cet estimable écrivain d'autres qualités que celles qu'il possède. Mme de Motteville a été surfaite, à ce qu'il nous semble. La génération qui suivit, goûta médiocrement les Mémoires lorsqu'ils parurent en 1723. Les petits détails prodigués, les réflexions morales un peu longues et banales, une sorte de parti pris de n'effleurer que des surfaces, une réserve et une discrétion qui approchaient du déguisement, des acunes essentielles enfin, valurent à l'ouvrage un accueil assez froid. On venait de découvrir Retz, si coloré et si hardi; c'était un terrible voisinage. Depuis, on a rendu plus de justice aux mérites aimables de ce style tempéré.

Le goût qui a régné, et qui règne encore, pour les infiniment petits détails de la chronique de ce temps, a ramené à Mme de Motteville beaucoup de lecteurs. Bien que née en 1621, elle est par l'esprit, le goût, la langue et le style, du pur siècle de Louis XIV. Elle se contient, s'observe, soigne l'expression et le tour, évite tout ce qui est insolite ou excessif; elle n'a rien de grand dans la manière, rien d'énergique. Cette âme tempérée a trouvé sans effort un langage à son image. C'est une lecture d'arrière-saison. L'impression en est douce, un peu triste, et au fond salutaire, si l'on y met un peu du sien. Mme de Motteville avoue qu'elle a connu le martyre de l'ambition, qu'elle a eu bien de la peine à quitter la cour « ce délicieux et méchant pays. » Le sacrifice était fait, quand elle se mit à écrire. Cela donne à ses récits une sérénité un peu froide, mais qui pénètre peu à peu. Elle prépare au détachement, elle y invite, sans trop presser et sans trop prêcher. Si on ne la suit pas jusqu'où elle est allée, on ne peut s'empêcher de dire avec elle en la quittant que la figure de ce monde passe.

LE JANSÉNISME

Louis XIV et le jansénisme.

La doctrine. Les hommes : Saint

Cyran, la famille des Arnauld. Les Écoles de Port-Royal.
Le style janséniste.

M. Sainte-Beuve a consacré à l'histoire de Port-Royal cinq volumes substantiels, renforcés de notes et d'éclair

cissements, et il s'en faut bien qu'il ait épuisé la matière; il le reconnaît lui-même en plus d'un endroit. Les documents sont innombrables, interminables surtout ce n'est pas par la sobriété et la concision que se distinguent les Jansénistes. Parmi toutes ces longueurs, toutes ces pesanteurs, se détache, brille et court la prose de Pascal. On serait bien excusable, dans une histoire littéraire, de s'en contenter, de ne regarder ni avant, ni après, ni à côté, de s'en tenir à cette fleur unique mais la tige qui l'a portée, n'est-il pas intéressant de la connaître ? On aime à se représenter les hommes de génie comme dans une sphère supérieure d'où ils dominent et planent: il ne faut pas les rabaisser; mais tout en les maintenant sur leurs hauteurs, il est juste de montrer le fil par lequel ils tiennent à terre. Comment expliquer Pascal, si on supprime le Janséisme? Le Jansénisme, pour Pascal, est ce que Dieu est pour saint Paul: in eo vivimus et movemur et sumus, en lui il vit, il se meut, il est.

Il y a plus, Pascal n'est qu'un accident dans l'histoire du Jansénisme. La doctrine existait avant lui, elle a continué d'être après lui; elle remplit tout le dix-septième siècle; elle trouble la première moitié du dix-huitième ; et après les orages de la Révolution qui firent tant de ruines, elle apparaît encore, bien modifiée sans doute, reconnaissable pourtant, et d'une humilité superbe, dans la forte personnalité de M. Royer-Collard. Je voudrais en réunir les traits principaux, en composer une espèce de cadre, d'où se détachera la figure de Pascal.

Ni par la date de sa naissance, ni par son esprit, le Jansénisme n'appartient au pur siècle de Louis XIV. Il est antérieur et au-dessus. Le roi, bien que fort ignorant, ne

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