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après la Fable des Deux rats, le renard et l'oeuf? Mais qui pourrait épuiser l'infinie variété des aspects qui éclatent à chaque page de l'œuvre? S'il y a eu au XVIIe siècle une autre poésie que la poésie dramatique, c'est dans La Fontaine qu'il faut la chercher. Il y en a de plus haute, qui le nie? L'idéal n'est pas là, ni la forte nourriture morale, et l'on comprend que les enfants, les jeunes gens et les femmes n'y trouvent pas grand charme. Plus vieux, on est moins exigeant. Quand l'âme ne monte plus sans effort et d'elle-même vers les sommets, on ne repousse pas la société de cette âme charmante, qui reste à notre niveau et qui exprime si bien ce que nous ne saurions dire. L'extrême variété des mètres,qui choque tant Lamartine, est une grâce de plus. Comment, lui, n'a-t-il pas senti l'art profond et l'habile souplesse du rhythme chez celui de tous nos poètes qui n'a pas de rival en ce genre? Comment eut-il pu rendre la diversité infinie des cadres, des personnages, des situations, s'il avait enfermé sa muse dans le pompeux et monotone alexandrin? Il a des audaces et des surprises délicieuses. Sa phrase poétique est à la fois ample, coulante, et elle a des repos habilement ménagés, avec des reprises soudaines et gracieuses comme un oiseau qui reprend le vol. Il y aurait à ce point de vue toute une étude à faire, je ne puis que l'indiquer ici.

Parmi les contemporains de La Fontaine, le seul qui semble avoir rendu au poète pleine justice, l'avoir compris et senti, c'est Fénelon. Quand il apprit sa mort, n'osant, lui, le précepteur du duc de Bourgogne, déplorer officiellement une telle perte, il écrivit en latin une petite oraison funèbre qu'il donna à traduire à son élève. Ce

n'est qu'un cri de deuil et d'admiration. Comment Lamartine a-t-il oublié ce détail? Et s'il s'en souvenait, comment a-t-il écrit ce qu'il a écrit?

MOLIÈRE

De la sympathie universelle qu'il inspire.

Caractère de l'homme.

-

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La com

L'éducation, la vocation. Les divers milieux : la province, la ville, la cour. Ce que Molière doit à Louis XIV. position de l'œuvre, l'action, le comique, le dénouement. delà dans Molière. La langue et le style.

- L'au

Prétendre dire du nouveau à propos de Molière, serait chose dangereuse tout a été dit et redit. On : en publie en ce moment une édition nouvelle, plus complète que toutes les précédentes et accompagnée d'un travail de critique et d'érudition fort estimable ', je dirai même indispensable pour tout ami de Molière, et quel lecteur n'est son ami? Il y a sans doute encore plus d'un chercheur à l'œuvre. La découverte du Médecin volant et de la Jalousie du barbouillé a mis les explorateurs en appétit. Si l'on pouvait mettre la main sur une de ces pièces antérieures à l'Étourdi, et qu'il improvisait dans les hasards et suivant

1. Euvres complètes de Molière. Nouvelle édition, revue sur les plus anciennes impressions et augmentée de variantes, de notices, de notes, d'un lexique des mots et locutions remarquables, d'un portrait, d'un fac-simile, etc., par M. Eugène Despois, 10 volumes in-8°, librairie Hachette et Cie. Cette édition fait partie de la Collection des grands écrivains de la France, publiée sous la direction de M. Ad. Regnier, membre de l'Institut.

XVII SIÈCLE.

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les besoins de sa vie errante! L'érudition, s'appliquant à lui, n'est pas seulement curiosité, elle est sympathie. Classiques et romantiques (il y en aura toujours, c'est une question de tempérament) se rencontrent dans l'admiration, bien qu'ils diffèrent dans les motifs : chacun le tire à soi, le réclame pour interprète des idées qui lui sont chères, et insensiblement lui impose la physionomie de son choix. C'est le propre des génies vrais et féconds de suffire aux plus aventureuses interprétations. Hommes de leur temps, ils sont aussi dans une certaine mesure hommes de l'avenir; aucune formule ne les épuise. On a bientôt fait le tour des idées de Bossuet: on sait d'où il vient et où il va; mais Molière? mais Rabelais? mais Shakespeare?

J'étudierai successivement l'homme, le milieu et l'œuvre. Comme c'est de tous nos auteurs le plus connu, le plus familier à tous, je glisserai rapidement sur les faits, me bornant à mettre en lumière ce que je regarde comme plus particulièrement caractéristique.

Le beau portrait qui est au Louvre, et que l'on a longtemps attribué à Mignard, qui était du reste très-lié avec Molière, le représente dans la force de l'âge, dans le plein épanouissement de son génie, et par là il est bien plus intéressant que le portrait de Molière jeune, qui a été reproduit pas M. Louis Moland en tête de son édition. La figure très-dégagée des flots de cheveux qui sont rejetés négligemment sur les côtés, apparaît et saisit le regard. Sous un front de forme parfaite, des yeux admirables, d'une intensité de vie extraordinaire, avec je ne sais quoi de profond, de triste, de doux dans l'expression. Le nez un peu gros, la lèvre un peu forte, tout l'opposé

de Racine qui avait la lèvre mince et le nez pointu, signe certain d'un vif penchant à la raillerie. C'est le poète comique qui a tous les signes extérieurs de la bonté, de la générosité. L'âme répondait au visage. Nul ne fut meilleur, plus serviable, plus compatissant, plus libéral. C'étaient dons de nature, mais l'expérience et la réflexion y eurent leur part. Cet observateur, ce contemplateur, comme l'appelait Boileau, fut d'autant plus indulgent et doux aux hommes qu'il les pratiqua davantage et les connut mieux. Il avait peut-être sur ses semblables moins d'illusions encore que La Rochefoucauld; mais tels qu'ils étaient, il les aimait. Les faiblesses qu'il se sentait et se reprochait, sans pouvoir en guérir, l'inclinaient à la mansuétude. Il n'y a que les hypocrites qu'il n'ait pu s'empêcher de haïr. Ils le lui ont bien rendu. Iì était adoré de tous ceux qui l'approchaient, et, comme toutes les natures tristes, il avait de grands besoins d'affection. Dans les rares intervalles de repos et de détente que lui laissait la vie absorbante qu'il avait voulue, il lui eût fallu l'expansion abandonnée, l'âme tout entière se livrant et se soulageant. On sait assez que dans les dix dernières années de sa vie, celles où il en eut le plus besoin, cette joie lui fut refusée. La créature sotte et vaniteuse qu'il s'obstina à aimer si tendrement, aima tout le monde, excepté lui. Ce fut la blessure secrète, empoisonnée que rien ne put guérir, et qu'il fallait cacher sous le rire de Sganarelle. Rien ne le détacha, ni les défauts trop visibles, ni les offenses graves, ni les avertissements de l'âge : il voulut toujours espérer. Lui, le créateur d'Arnolphe et d'Alceste, il crut jusqu'à la mort qu'un miracle se ferait en sa faveur, et qu'il serait aimé parce qu'il méritait de l'être.

- C'était un ami sûr, dévoué, généreux. Il obligea Racine fort jeune encore et à ses débuts; il joua ses deux premières tragédies, si faibles; il lui donna des conseils, de l'argent même, dit-on. Racine le paya en donnant sa tragédie d'Alexandre à une autre troupe et en lui enlevant sa meilleure actrice, Mile Du Parc. Dans les réunions fort libres qui avaient lieu soit au cabaret, soit à Auteuil, chez Molière, où chez Boileau, rue du Vieux-Colombier, il apparaît comme le chef du chœur, le modérateur enjoué de cette jeunesse un peu turbulente. Il morigène Chapelle, incorrigible buveur; il fait gravement remettre au lendemain une noyade projetée par ses hôtes qui avaient ce jour-là le vin triste. Sa plus vive sympathie à ce moment est pour La Fontaine, son contemporain (1621), aux dépens de qui s'égaient ces beaux esprits. Qu'ils se trémoussent, ils n'effaceront pas le bonhomme; c'est Molière qui l'a dit. Toute cette jeunesse ne tarda pas à prendre sa volée et oublia quelque peu le comédien. Il ne s'en plaignit jamais il connaissait les hommes. Boileau lui revint du reste un peu plus tard et s'acquitta dignement envers lui. Il alla chercher Corneille bien vieux déjà et démodé, et le paya comme on n'avait jamais payé aucun auteur, deux mille livres pour Attila. Il fit mieux encore, il voulut rappeler à Louis XIV cette grande gloire que l'ombre gagnait ; il demanda au vieux poète les vers de Psyché. S'il n'avait pris Corneille, on regretterait qu'il n'eût pas pris La Fontaine, qui avait bien des droits. Sa fermeté, son courage sont attestés par tous les biographes. Il força les officiers de la maison du roi à respecter les droits des comédiens. Il tint bon contre toutes les cabales, et il osa écrire le Tartuffe et Don Juan. Il y avait

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