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tout cela. On ne doit pas omettre l'éclat imprévu que jettent sur le tissu de son style les nombreuses citations des Livres saints. Il est le premier qui ait rendu hardiment les fortes images du langage biblique. La traduction de Sacy atténuait, énervait; la sienne semble ajouter au relief de l'expression originale. Avec tout cela, c'est un modèle dont on a singulièrement abusé dans l'enseignement des colléges. Nous n'avons que trop de penchant en France à la rhétorique sonore, aux lieux communs éclatants et vides.

Il faut aujourd'hui un certain effort d'impartialité pour rendre à Bossuet ce qui lui appartient, et ne pas aller au delà. C'est ce que j'ai essayé de faire. Il est probable que ni les admirateurs quand même, ni les détracteurs ne seront satisfaits. Il est si commode de se jeter tout d'un côté et d'aller droit devant soit, à la Bossuet! M. SainteBeuve qui d'ordinaire excelle à bien tenir en équilibre les plateaux de la balance, me semble avoir été excessif dans l'éloge comme dans le blâme. Il débute en style d'oraison funèbre : « La gloire de Bossuet est devenue une des religions de la France; » puis il retire un à un les éloges prodigués. Bossuet n'est ni un historien accompli, ni même un historien équitable; ce n'est pas non plus un philosophe, ni un ami à aucun degré de l'examen et de la critique. Il a l'imagination d'Homère, et point d'esprit. « Avec son air de grandeur et de bonhomie autoritaire, il est impatientant et irritant. » Ailleurs, il est question dernier trait est le plus

des pieds de nez de Bossuet. Le vif: c'est un prophète du passé. « Quand on a une si belle sonnerie, on n'a pas besoin de chercher midi à quatorze heures ». Nous voilà bien loin de cette gloire qui est devenue une des religions de la France!

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Les modernes et Boileau.

BOILEAU

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Sa physionomie, son caractère, son inSa place parmi ses amis. Boileau et Les périodes de la vie littéraire de Boileau. Les bornes de son imagination. Sa fonction essentielle.

telligence, ses aptitudes. Louis XIV.

Boileau est peut-être de tous les auteurs du XVIIe siècle celui dont il est le plus difficile aujourd'hui d'apprécier équitablement les mérites. Si le poète est chose légère, ailée, sacrée, comme le veut Platon; si l'idéal est son domaine et sa patrie; s'il habite cette région intermédiaire qui le rapproche des dieux sans le séparer absolument des mortels; si ses chants d'une harmonie délicieuse sont l'écho des choses supérieures et des mystères les plus doux de l'âme humaine, il faut convenir que Boileau ne peut guère prétendre à ce beau nom, que telle n'a jamais été sa fonction ici-bas. Son œuvre subsiste cependant et subsistera aussi longtemps que la langue française; son influence a été profonde; son autorité bien que fort diminuée, n'a pas péri; elle se confond souvent avec celle du bon sens, qui est éternelle. Les jeunes gens et les femmes ne le goûtent guère, parce qu'il représente ce qui leur manque le plus; ceux qui ont un penchant à s'émanciper, ne peuvent le sentir, parce qu'il représente la règle; ceux que l'imagination et la sensibilité tourmentent le trouvent sec et froid. Avec tout cela, c'est bien un des Français les plus français qu'ait portés notre sol; ses qualités sont bien les qualités de la race, et il n'est pas

bien sûr que ce qui lui manque, ses compatriotes en soient bien riches. En tout cas, il faut s'observer quand on parle de lui. Voltaire disait à Marmontel qui malmenait le législateur du Parnasse : « Ne dites pas de mal de Boileau cela porte malheur. »

Je voudrais, avant d'entrer dans l'examen de son œuvre, saisir et indiquer les traits caractéristiques de sa physionomie d'abord, puis de sa nature morale.

Le buste de Girardon que l'on voit au Louvre et qui est une œuvre plus soignée que véritablement originale, représente Boileau vers l'âge de cinquante ans, ayant donc perdu quelque chose de cette vivacité que tous les contemporains lui attribuent. La figure est régulière, ouverte, franche. Il y a bien dans la bouche quelque chose de malicieux et d'ironique, mais sans amertume et sans aruauté. La lèvre n'est ni mince, ni sensuelle. Le front assez élevé, pas très-large, semble fuir un peu en montant; la vaste perruque dissimule la fuite, mais on la sent. Les boucles abondantes sont assez négligemment jetées. Elles ne couvrent rien d'essentiel; c'est la coiffure d'un homme qui voulait ne pas être gêné. Ce qui domine, c'est la franchise, mais une franchise vive, agissante pour ainsi dire; et, s'il est permis d'ajouter un dernier trait, plus d'esprit que d'intelligence.

Il avait l'humeur fort gaie tous les témoignages des contemporains sont unanimes à ce sujet. Dans les cabarets où se réunissaient souvent ceux dont on a fait nos graves et solennels classiques, Boileau était de tous celui qui dépensait le plus de joyeuse humeur. Chapelle tout d'abord se noyait dans son verre; c'était son incurable défaut; La Fontaine rêvait; Molière observait et pensait; Racine écou

tait soupirer son cœur; Boileau seul s'abandonnait à l'heure présente. On plaisantait, on improvisait épigrammes et parodies; Boileau fournissait sa bonne part. Premiers et vifs rayons de jeunesse dont le souvenir est si doux ! Quarante ans plus tard, le vieillard infirme et morose les évoquait des ombres du passé; il avouait à Brossette, non sans une certaine satisfaction, qu'il avait fourni son contingent au Chapelain décoiffé, et qu'il n'était pas étranger à la scène des Plaideurs entre Chicaneau et la comtesse. Il n'avouait pas, mais Chapelle racontait qu'il avait fait un jour à cet ivrogne incorrigible un beau sermon sur la tempérance; qu'il était entré avec lui au cabaret pour for tifier son éloquence, et qu'on avait dû rapporter chez eux le sermonnaire et le sermonné. Ce n'est pas lui faire tort que de rappeler ces incartades printanières. Au contraire bien des gens lui en sauront gré : on ne le montre que trop sous les traits d'un renfrogné pédagogue. Il ne fut jamais tel, sauf peut-être dans les dix dernières années de sa vie, lorsque la maladie et l'isolement tombèrent sur lui. Au théâtre, il donnait la comédie par les éclats de son rire; Racine l'admonestait du coude, l'invitait à se contenir. Mme de Sévigné le vit un jour dans un salon poussant vivement deux jésuites, dont l'un était le père Bourdaloue au sujet des Provinciales: il criait, courait, s'enfuyait, revenait comme un forcené. Enfin, on trouve partout je ne sais combien d'anecdotes sur les joyeuses après-dînées de la maison d'Auteuil. « C'est une hôtellerie, » disait Racine; et de fait, il y fallait payer son écot en esprit et en bons mots.

La gaîté ne va guère sans franchise, Boileau était franc et courageux. Il ne craignait pas de dire en fare à Louis XIV

que ses vers ne valaient rien. Il maintenait contre l'opinion du roi soutenu naturellement par tous les courtisans, y compris Racine, que l'expression rebrousser chemin était légitime et excellente. Il faisait ce qu'aurait dû faire Racine, des observations sur le dénûment où le prince laissait le vieux Corneille. Il se déclara hautement et en toute circonstance pour Molière méconnu; il protestait avec indignation contre ceux qui avaient disputé au grand comique « un peu de terre. » Contre toutes les cabales déchaînées il défendait la gloire de Racine et osait déclarer Phedre tombée un chef-d'œuvre. Il fallait un certain courage pour contester le génie de Chapelain : c'était Chapelain qui dressait la liste des gens de lettres recommandés à la munificence royale. Boileau n'hésita pas, il attaqua bravement cette grande renommée et fit tomber l'idole de son piédestal. Je suis frappé surtout de la dignité et du courage de son attitude dans toutes les circonstances où les jansénistes sont en cause. Il ne devait rien à Port-Royal ni à ses maîtres; Racine qui leur devait tout, ne l'oublia que trop à un moment et ne s'en souvint pas assez après sa conversion. Boileau ne craignit pas de dire hautement à la coùr, où rien ne se perd, ce qu'il pensait des rigueurs exercées ou préparées contre les religieuses et contre les solitaires. - « On va traiter durement les religieuses, disait-on. Eh! reprit-il, les traitera-t-on plus durement qu'elles ne se traitent elles-mêmes? » « Le roi fait chercher partout M. Nicole pour l'arrêter. Le roi n'aura pas le malheur de le trouver. >> Il s'honorait hautement d'être l'ami d'Arnauld, et faisait profession de l'admirer. Que l'on rapproche des vers froids et pâles de Racine l'épitaphe élo

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