Images de page
PDF
ePub

3

Dans ma jeunesse je fus admis, par hasard, dans la société de la duchesse F......; c'était une fort jolie femme, elle était très-riche et jouissait d'un très-grand crédit. Je cherchai longtemps à obtenir ses bonnes grâces, et je fus témoin et victime de l'inégalité de son humeur et de la bizarrerie de ses caprices. Jamais je ne la vis deux jours la même; tantôt elle était brune et tantôt blonde ; aujourd'hui fière, hautaine, méchante; le lendemain douce, engageante, et bonne à l'excès. Quelques-uns de ses adorateurs se plaignaient depuis dix ans de sa cruauté; de très-nouveaux venus se vantaient de leur bonheur. Elle recevait souvent, sans choix, tous ceux qui voulaient la visiter, et parfois elle éconduisait, sans motif, des hommes de mérite qui désiraient la connaître. Pendant un temps elle semblait n'aimer que la gloire; sa maison était pleine de militaires, d'ambassadeurs, de ministres; elle s'amusait à donner des grades, des décorations indistinctement à de vieux officiers, à de jeunes petits-maîtres; peu de temps après, vous la trouviez sans fard, sans luxe, sans toilette, courant les églises, entourée de prêtres, occupée à obtenir un chapeau de cardinal pour un jeune abbé qui faisait des vers à merveille. J'ai vu sa maison se transformer en bureau d'esprit; on y

applaudissait Poinsinet et on sifflait La Harpe; on y plaçait Dubelloy à côté de Voltaire. Un jour elle s'amusait à pousser dans les bureaux un ancien laquais, à lui procurer un, gros emploi dans les finances, et à le faire dîner ensuite avec de grands seigneurs qui lui empruntaient de l'argent et se moquaient de lui. Son plaisir le plus ordinaire était de renverser en un instant, par ses intrigues, les gens dont elle avait, pendant plusieurs années, favorisé l'avancement. Elle riait aux éclats de leur chute, et les déchirait autant qu'elle les avait flattés. Nous étions souvent dégoûtés de ses caprices et révoltés de ses perfidies; mais elle avait une jeune dame de compagnie, que je vois encore d'ici, presque toujours en robe verte, dont les douces manières, le tendre langage, les regards séduisans et les promesses flatteuses nous retenaient et nous consolaient. Cependant, un beau jour, las de son inconstance et de mon esclavage, je rompis ma chaîne et je m'échappai. Depuis ce moment je ne la cherchai plus; mais elle vint elle-même souvent me rendre visite : son empressement augmenta comme mon indifférence; je la recevais sans transports, je la voyais s'éloigner sans chagrin. Il résulta de cette conduite que nous restâmes tous deux en très-bonne mesure, sans trop grande intimité, sans trop de

froideur, et que je trouvai le moyen de conserver une jolie maîtresse, au lieu d'un maître impérieux.

Cette dame ressemble assez à la Fortune, et je vous conseille, mes amis, pour votre bonheur, de la traiter comme j'ai traité la duchesse. La Fontaine vous l'a dit avant moi :

[ocr errors][merged small][merged small][ocr errors][ocr errors][ocr errors][merged small][ocr errors][merged small]

DE L'AME

ET

DE LA CONSCIENCE.

On parle souvent de la conscience; il serait peut-être plus à propos de parler des consciences: car on en voit de toutes sortes, de toutes tailles, de toutes qualités, de toutes saisons; il en est de sévères, de douces, de fières, de commodes, de clairvoyantes, d'aveugles, de larges, d'étroites, d'impérieuses, de silencieuses; elles varient comme les temps, les lieux, les lois, les intérêts, les circonstances et les partis; elles se ressemblent si peu, qu'on conçoit à peine qu'elles soient de la même famille et qu'elles portent le même nom.

Ce serait une chose assez curieuse, que d'écouter les différens langages que tiennent, en s'adressant à l'ame, la conscience d'un conquérant, celle d'un pauvre laboureur, celle d'un trafiquant^, d'un avocat, d'une femme à la mode, d'un politique, d'un poëte, d'un homme riche et puissant,

et celle enfin d'un pauvre et d'un proscrit. La conscience d'un enfant qui balbutie, celle d'un jeune homme que tout enflamme, celle d'un homme mûr qui raisonne, et la conscience d'un vieillard qui s'éteint, présenteraient aussi des dialogues assez piquans par la variété de leurs tons, de leurs formes et de leurs couleurs.

Mais examinons d'abord la conscience telle que nous la représentent les sages, et telle qu'il serait à désirer qu'elle fût uniformément pour tous les hommes. Cet examen n'est pas inutile; car je crois que cette conscience, peinte par les philosophes, est la vraie, et que, si nous la voyons souvent altérée, défigurée par les passions, par l'ignorance ou par de fausses lumières et de mauvaises lois, elle finit toujours par redevenir ce qu'elle doit être pour assurer le bonheur de l'homme bon et juste, et le malheur du méchant. :: La conscience est un juge placé dans l'intérieur de notre être; il éclaire assez notre ame pour la mettre à portée de distinguer le bien du mal, la vertu du vice, et la vérité de l'erreur.

Le but de toute sagesse est le bonheur de l'ame; on ne peut l'y conduire qu'en la maintenant dans un état de justice, de paix et de calme, au milieu de toutes les agitations du monde et de tous les orages de la vie."

« PrécédentContinuer »