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s'avança tout à coup, en rampant et tenant un encensoir à la main. Cette empoisonneuse des rois enivra d'abord la reine de son encens, et, contrefaisant ensuite, avec un art funeste, la voix de l'opinion publique : « Reine, dit-elle, ne résistez pas plus long-temps: la Gloire et le Bonheur vous attendent; obéissez aux vœux de << l'empire.

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Alors elle entraîna l'Ame et la porta dans les bras des Plaisirs, des Vices et des Passions qui l'entouraient.

Comment vous décrire les suites de cette déplorable faiblesse ? Dès ce moment le désordre régna partout; l'état fut en proie aux convulsions, à l'anarchie; une flamme dévorante consumait tout, épuisait les forces de l'état, desséchait ses canaux et minait son existence; une fièvre contagieuse se répandait jusqu'aux extrémités de l'empire: plus de remède, plus de règle, plus de frein! le Délire semblait gouverner ce malheureux pays, et le menaçait d'une entière destruction.

«

Mon sage mentor paraissait accablé par le désespoir. Que devient votre courage? lui dis-je en le pressant vivement; sauvons-nous, sauvons l'état, je le crois encore possible. J'aperçois dans l'ombre la Conscience qui se réveille; elle reconnaît la Vérité: je la vois s'approcher

J'attendais ce

de nous, marchons avec elle. → moment, » me répondit mon guide.

Nous la rejoignîmes; nous avançâmes promptement près de la souveraine : la Vérité découvrit son miroir; la Conscience appela le Repentir qui s'empara de l'Ame, et la châtia sans pitié. Cette malheureuse reine, en poussant de profonds sanglots, remonta sur le trône; la Folie disparut, chacun reprit sa forme naturelle, et tout rentra dans l'ordre accoutumé.

Transporté de ce nouveau spectacle, fier d'un triomphe que je m'attribuais, oubliant ma compagne, je continuai sans guide ma marche imprudente, et j'osai présomptueusement monter sur les marches du trône, et m'asseoir sur le siége de la Raison que je croyais remplacer; mais la Vérité m'avertit, en souriant, que je m'étais trompé, et que j'étais sur celui de la Sottise: de grands et universels éclats de rire accompagnaient ces paroles, et, pour les appuyer, le Repentir, se levant tout à coup, me lança un coup de fouet si ferme, que je tombai sans connaissance.

En rouvrant les yeux, je yeux, je me trouvai seul et dans mon lit, tout avait disparu; mais je conserverai toujours la mémoire de ce singulier voyage; je me rappellerai sans cesse les maux que la Sottise

et la Folie font à l'Ame, et je ne perdrai point le souvenir de deux vers d'Horace que mon rude correcteur répéta en me frappant :

Tout sot devient méchant, tous les méchans sont fous i
Et ceux-ci, mes amis, sont les pires de tous.

LE TEMPS.

Le temps est la seule propriété qui soit entièrement à nous; tout le reste est incertain; le temps est, comme on l'a dit, l'étoffe dont notre vie est faite; c'est le bien dont nous devrions être le plus économes, et c'est pourtant celui que nous dépensons le plus follement, que nous perdons avec le moins de regret, et que nous nous laissons voler le plus facilement. Nous aimons même ceux qui nous le dérobent, tandis que nous poursuivons avec acharnement celui qui nous ravit tout autre propriété, bien qu'illusoire et passagère. On dirait que le temps est un fardeau, qu'il nous pèse; nous oublions que c'est notre existence, et nous ne cherchons qu'à nous en débarrasser; enfin, par la plus étrange contradiction, en cherchant, souvent sans succès, à tuer le temps, l'homme se plaint de la longueur des jours et de la brièveté de la vie.

Tous les philosophes, tous les moralistes s'accordent pour nous recommander un sage emploi

du temps, et pour nous rappeler la rapidité de sa marche; mais ces conseils ont peu de succès, et nous pouvons répéter aux hommes de nos jours, ce que Sénèque disait aux hommes de son temps: Songez-y bien une partie de la vie se passe

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« mal faire, la plus grande à ne rien faire, la << presque totalité à faire autre chose que ce qu'on devrait. >>

D'où vient cette méprise de l'homme sur un point qui l'intéresse si capitalement? Je ne sais; mais je serais tenté de l'attribuer à l'imperfection, à la contradiction des définitions qu'on a faites du temps, et aux fausses idées qui en sont résultées. On ne peut apprécier que ce qu'on connaît; on ne sait jouir que du bien dont la nature et la valeur sont vues et senties clairement par nous.

Les anciens disaient que Saturne, père des dieux et des hommes, dévorait ses enfans: cette 'allégorie ingénieuse nous fait croire que tout est créé et détruit par le Temps; dès lors le Temps est un monstre qui fait peur; nous craignons le poids de ses pas qui nous écrasent, et chaque heure qui sonne nous paraît un coup de la terrible faux dont il est armé..De là viennent nos désirs de lui échapper, et nos plaintes absurdes contre sa vitesse, contre sa durée, contre sa mobi

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