Images de page
PDF
ePub

prétendait «qu'en toute infortune, le sage ne doit point s'affliger de ce qui est perdu, mais se réjouir de ce qui est sauvé. »

[ocr errors]

L'envieux cesserait de se plaindre, s'il savait qu'il y a un million d'hommes au moins qui envient la position dans laquelle il est, et qu'il croit malheureuse.

Voici, je crois, quelques recettes très-bonnes pour guérir, si vous le voulez, vos maux imaginaires.

Vous est-il advenu quelque disgrâce, quelque défaveur par calomnie et par envie ? faites comme « Platon, qui regardait la colère du roi Denys contre lui, comme un vent en poupe qui le ramenait à l'étude des lettres et à la philoso«phie. » Avez-vous perdu vos états? voyez combien d'empereurs romains n'ont pas laissé d'empire à leurs fils.

Êtes-vous pauvres? voyez combien Épaminondas, Fabricius, Homère et Delille ont été dignes d'envie!

Votre femme est-elle infidèle? souvenez-vous qu'Agis n'a pas été moins grand et moins heureux, quoique Alcibiade eût séduit la reine Timéa.

Enfin, pénétrons-nous bien de cette vérité : T'homme est toujours pauvre en pensant à ce qui

est au-dessus de lui; et riche, en se comparant à ce qui est au-dessous.

On est malheureux tant qu'on élève trop sa vue et ses désirs: l'esclave est jaloux de l'homme libre; l'homme libre, du citoyen; le citoyen, du riche; le riche, des grands; les grands, des princes; les princes, des rois; et les rois, des dieux : ils voudraient pouvoir être immortels

comme eux.

Vous vous plaignez tous de vos malheurs; je peux, si vous m'écoutez, vous en guérir en un clin d'oeil au lieu de regarder en haut, regardez en bas.

[ocr errors]

L'envie vous quittera, vous ne serez plus malheureux; et si vous voulez changer vos malheurs en bonheur véritable, jouissez du présent, remerciez les dieux au lieu de les accuser, et surtout grandissez et fortifiez votre ame: «< car il est très-vrai, comme le dit La Bruyère, qu'une grande ame est au-dessus de l'injure, de l'injustice, de la douleur, de la moquerie; elle serait invulnérable, si elle ne souffrait quelquepar la compassion.

[ocr errors]

К

fois

[ocr errors]

33

DE L'ENNUI.

L'ENNUI est le mal contre lequel on cherche le plus de médecins et de remèdes; mais on ne peut que pallier les effets de son poison par le secours d'autrui. Pour en guérir, il faut porter en soi l'antidote.

[ocr errors]

L'Académie n'a pas, je crois, défini suffisamment le mot d'ennui. Elle dit que c'est une langueur, une inaction de l'esprit causée par la fatigue et le dégoût : cette définition n'explique pas assez le genre et la cause de cette triste langueur; elle confond ainsi l'ennui, le chagrin, le spleen tandis qu'on voit tous les jours les hommes les moins tristes, les mieux portans et les plus attachés à la vie, se plaindre de l'ennui, et perdre leur temps de mille manières pour le

chasser.

[ocr errors]

Je crois qu'on peindrait mieux cette infirmité produite par la civilisation, cette calamité des gens heureux, en disant que c'est un état de langueur qui résulte du combat de l'activité morale

qui demande des émotions, et de la paresse physique qui s'y refuse.

En effet, lorsque le corps est assez actif pour se prêter aux désirs de l'ame, on se livre à la réflexion, à l'étude, aux plaisirs; on s'applique, on s'intéresse, on s'amuse, on ne peut éprouver d'ennui ; et si l'ame, au contraire, est sans activité, elle repose comme le corps, elle végète ainsi que lui, et ne s'ennuie pas: aussi l'homme dont le moral n'est pas développé, travaille, jouit, souffre ou sommeille; mais il ne connaît point ce triste mal dont se plaint la classe élevée, et le laquais dort dans l'antichambre, tandis que son maître s'ennuie dans le salon.

Il paraît difficile de donner ce qu'on n'a pas. Eh bien! l'ennui fait exception à cette règle: un sot le donne à tout le monde sans le connaître.

Pascal croyait cette maladie plus générale; il pensait qu'elle était le fatal effet de la chute de l'homme et de son état d'imperfection.

« L'ame, dit-il, est jetée dans le corps pour ey faire un séjour de peu de durée; elle sait

[ocr errors]

que ce n'est qu'un passage à un voyage eter

nel, et qu'elle n'a que le peu de temps que «dure la vie, pour s'y préparer. Les nécessités

de la nature lui en enlèvent une grande partie;

[ocr errors]

<< il ne lui en reste que très-peu dont elle puisse disposer; mais ce peu qui lui reste l'incom« mode si fort et l'embarrasse si étrangement, qu'elle ne songe qu'à le perdre; ce lui est une peine insupportable que de vivre avec soi et « de penser à soi: ainsi tout son, soin est de << s'oublier soi-même, et de laisser couler ce temps si court, si précieux, sans réflexion, et en s'occupant de toutes les choses qui peuvent l'empêcher d'y penser. »

4

Si on adoptait cette opinion de Pascal, il faudrait en conclure que l'ennui est la suite inévitable de la chute du premier homme, et une maladie originelle comme son péché. Cependant nous voyons tous les jours des enfans d'Adam, fort amateurs comme lui de l'arbre de la science du bien et du mal, et du fruit défendu, et qui pourtant ne s'ennuient pas trop. D'un autre côté, il est évident qu'avant sa faute ét sa punition, Adam, étant seul, s'ennuyait; c'est même pour le tirer de cette langueur qu'Ève fut créée aussi, depuis ce temps-là, on n'a jamais cessé de regarder la société des femmes comme un des plus agréables et des plus efficaces remèdes contre l'ennui. po 19

t

Dans le temps de nos bons aïeux, où les mœurs

étaient agrestes ou guerrières, on était toujours

« PrécédentContinuer »