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plein succès ces deux puissances inhérentes à notre -nature, sources éternelles de notre activité, n'existerait-il pas un moyen de les concilier, et de faire entre elles un partage équitable qui pût à la fois multiplier nos jouissances et garantir notre repos? Je le crois; mais il faudrait, pour y réussir, une raison tolérante, des désirs modérés; et les hommes n'écoutent ordinairement qu'une philosophie austère qui ne laisse aucune liberté, ou des passions ardentes qui ne souffrent aucun frein."

Quoi qu'il en soit, voici le traité que je propose; s'il est raisonnable, beaucoup de gens s'en moqueront, quelques-uns l'approuveront, et trèspeu l'exécuteront.

Je voudrais que nous restassions dociles au pouvoir de l'habitude, pour la religion, pour la morale, pour notre gouvernement, pour nos devoirs, pour nos sentimens, et que nous ne cédassions à l'attrait de la nouveauté que pour nos goûts, pour nos plaisirs, pour nos modes, pour nos spectacles; et, comme c'est à peu près tout le contraire de ce que nous avons fait depuis un demi-siècle, cette détermination joindrait aujourd'hui pour nous, aux avantages de la sagesse, les charmes de la nouveauté.

En effet, comme il nous fallait du neuf dans les choses graves, nous avons rapidement ren

versé toutes les anciennes institutions, ordres, hiérarchie de pouvoirs, parlemens, clergé, noblesse, administrations, académies; le sceptre même a fait place au niveau, qui s'est montré plus pesant, et encore plus fragile. La république a remplacé la monarchie, l'empire a succédé à la république, la royauté a renversé l'empire; la philosophie s'est montrée tour à tour intolérante et persécutée; le divorce a triomphé du mariage, qui s'en est depuis vengé; les propriétés ont changé de mains comme les pouvoirs ; nous avons été, tour à tour, pillards et pillés, conquérans et conquis. Enfin, après tant d'années d'orages nouveaux, de théories nouvelles, de folies renouvelées des Grecs, des Romains et des Barbares, par une heureuse transaction, nous nous sommes soumis à une Charte qui nous laisse jouir de la partie de nos innovations qu'on avait le plus souhaitée, et qui rend quelque pouvoir à de vieilles habitudes et à d'antiques souvenirs; tenons-nous-y donc, et, pour faire encore quelque chose de nouveau, contractons l'habitude d'être heureux et sages, sous une royauté sans despotisme, avec une liberté sans licence.

Tandis que nous changions si légèrement notre législation, notre culte, notre morale, notre politique, et tout ce qui existe de grave et d'important

dans le monde, nous montrións une constance admirable dans les choses légères, et rien ne changeait dans la plupart de nos goûts, de nos travers et de nos plaisirs.

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L'oisiveté de nos vieillards, la frivolité de nos jeunes gens, couraient après les mêmes objets; nos courtisanes faisaient autant de dupes; nos maisons de jeu autant de victimes; nos promenades attiraient autant de foule; nos vins trouvaient autant d'amateurs; bals, concerts, jardins publics offrant leurs ombrages aux riches voluptueux; guinguettes ouvrant leurs tonnelets à la joie franche et grossière; farces aux boulevards, héros criant à l'Opéra, princesses chantant à la tragédie, chanteurs parlant à l'Opéra-Comique, sifflets à tous les théâtres pour les vivans, admiration pour les anciens, parce qu'ils sont morts; diatribes des gens de lettres qui se déchirent entre eux pour amuser les sots à leurs dépens; tel est le tableau que Paris n'a pas un moment cessé de présenter à nos regards.

Au milieu de ce grand bouleversement des institutions, des lois et des empires, la Folie, sous le même costume, agitant les mêmes grelots, et tirant, de son tambourin, les mêmes sons, paraissait être la seule divinité de l'Olympe moderne que les nouveaux Titans n'eussent pas détrônée.

Mettons une fin à toutes ces saturnales; faisons, tant que nous voudrons, de nouvelles montagnes, mais plus de nouvelles constitutions; én un mot, s'il se peut, rendons notre sagesse plus constante et nos folies plus variées.

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ARRÊTEZ-VOUS DONC!

J'ADMIRAIS dernièrement un brillant whisky traîné par un coursier superbe et conduit par un jeune élégant ; il parcourait la grande allée des Champs-Élysées avec une rapidité qui lui eût autrefois valu des couronnes aux Jeux Olympiques; tous les passans: l'admiraient, et les femmes qui se trouvaient sur son passage semblaient toutes envier le sort d'une nymphes charmante, assise avec grâce sur ce léger char de triomphe.

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Un petit vieillard, orné d'une chevelure blan che, et appuyél sur un bâton noueux, loin de partager l'admiration générale, criait d'une voix forte: Arrétez-vous done! Un murmure uni versel d'improbation répondait à ses paroles, lors que nous vîmes, à quelques pas de là, le char léger heurté par un obstacle imprévu, versé, brisé, le conducteur honteux et froissé, relevant sa compagne, dont la chute sur le sable n'avait blessé que la pudeur, et tous deux tombés de

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