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dit-on à un postillon, je te donne un écu situ me mènes en une heure à Versailles; mon amiyadic un passanto à un polisson, vous irez au corps-de-garde st vous faites du trains mon ami, dit un juge à un fripon, vous êtes acquitté cette fois faute des preuves, mais si vous continuez, vous serez penduit

Que de méprises sur ce mot d'ami! combien de maris appellent leur ami l'ami de leurs femmes! combien d'amis de la maison répandent dans la maison de discordes et d'inimitiés! combien de gens donnent le titre d'ami aux compagnons de leurs débauches, aux complices de leurs intrigues et aux rivaux de leur ambition! et ceux même qui ne font pas un usage si bas de cette expression, à quel point étrange ils dénaturent son véri table sense of ends 199 sien, il -..N'entendez-vous pas souvent un homme, pour affirmer une nouvelle, dire: Je la tiens d'un dé mes amis que je connais beaucoup?!!)

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- Un jour, au Palais-Royal, le chevalier de C...! avait gagné 1500 louis qu'il tenait dans un chapeau; quelqu'un s'approche, et lui dit? Mon cher ami, de grace prétez-moi cent louis. Je le veux bien, mon cher ami, répondit le chevalier, pourvu que vous me disiez come ment je m'appelle. L'autre, demeurant sans

réponse à cette question: Vous voyez bien; mon cher ami, reprit le chevalier, que vous seriez trop embarrassé pour trouver le moyen de me rendre ces cent louis si je vous les prétais.

Une dame dit assez ordinairement à son portier: J'ai la migraine; ne laissez entrer que mes amis ! et la liste est presque toujours d'une trentaine de personnes...

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Comment est-il possible que l'usage se soit établi de profaner ainsi un nom si sacré? Est-ce la politesse qui veut qu'on flatte tout le monde, en honorant de simples liaisons du titre d'amitié ? Est-ce pauvreté de notre langue, et manque, t-elle de termes pour exprimer les différens degrés de connaissance ou d'estime?

Je ne sais, mais cet abus m'a toujours révolté: peut-être parce qu'il outrage la sainteté d'un sentiment qui est l'objet de mon culte particulier.

Quoique les anciens fussent plus graves que nous, tout me porte à croire qu'ils abusaient encore assez du nom d'amis, pour donner lieu à des erreurs, selon moi, très-marquantes; et lorsque Bias, un des sept sages de la Grèce, disait qu'il fallait beaucoup de prudence en amitié, et qu'il était nécessaire d'aimer ses amis comme si on devait les haïr un jour, il est clair que

ce Grec parlait de ces amis de société, de ces compagnons de plaisir, de ces associés d'affaires, dont le moindre accident peut changer les cœurs et rompre les liens.

Socrate pensait un peu mieux lorsqu'il répondait à ceux qui trouvaient sa maison trop petite Plút à Dieu qu'elle fút toujours pleine de vrais amis! Socrate savait que l'on ne pouvait en avoir beaucoup; c'était approcher de la vérité, mais non pas l'atteindre. L'amitié est un si grand bien, qu'un seul et véritable ami est un trésor inappréciable; on le cherche toute la vie, et souvent sans pouvoir le trouver.

Comment se fait-il donc que tant de gens croient en avoir plusieurs ?

Avouons que tous ceux qui parlent de leurs amis n'en ont jamais eu un véritable. Montaigne avait raison lorsqu'il disait : C'est un assez grand miracle que de se doubler; n'en cognoissent pas la hauteur, ceux qui parlent de se tripler. Ils ne savent pas quel accord de sentiment, quelle conformité de caractère, quelle abnégation de soi-même sont nécessaires pour constituer une vraie amitié, pour qu'on puisse dire de son ami, comme Montaigne de la Béotie: Ma volonté fut plongée dans la sienne et la sienne dans la mienne; il y avoit si totale union entre nous,

qu'on ne pouvoit plus distinguer la coysture, Savez-vous pourquoi je l'aimois? parce que c'étoit moi, parce que c'étoit lui ; je me serois plutôt fié de moi à lui qu'à moi méme.

Une telle amitié peut, elle seule, se peindre; l'esprit ne saurait ni l'imaginer, ni l'imiter; c'est le mariage des ames; c'est plus, c'est mieux que de l'amour. Il s'affaiblit par la jouissance, elle s'accroît par le bonheur; il est le bonheur luimême et la volupté pure.

Ennius disait que sans cette amitié il n'y avait point de vie vivante ( vita vitalis). En effet, est-ce vivre que n'avoir pas un être qui s'afflige avec vous, qui jouisse avec vous, qui reçoive tous vos secrets, qui vous confie tous les siens, et qui vous serve de support pour luiter contre les caprices du sort, les vicissitudes de la fortune, et contre les coups inévitables du temps?

Cicéron définit l'amitié un accord parfait des choses divines et humaines, accompagné de bienveillance et de tendresse. Parmi les présens, dit-il, que les dieux ont faits à l'homme, les uns préfèrent les richesses, les autres la santé, ceux-là les honneurs et la gloire, d'autres les voluptés; tous ces biens sont passagers et périssables: ceux qui placent le souverain bien. dans la vertu pensent mieux; mais la vertu

elle-méme contient et produit l'amitié qui ne pourrait exister sans elle. L'envie flétrit la gloire, l'intrigue enlève les places; un orage politique renverse la fortune, le plus léger accident détruit la santé : l'amitié offre des biens plus solides et plus universels; on la retrouve partout nulle part elle n'est étrangère, jamais hors de saison. jamais importune; elle rend les prospérités plus complètes et les malheurs plus supportables.

Il n'est aucun homme doué d'une ame, qui ne sente combien ces éloges de l'amitié son vrais. Chacun éprouve que l'amitié est le premier besoin du cœur ; personne ne croit jamais pouvoir s'en passer. Scipion pensait que Timon le misanthrope lui-même, qui haïssait tous les hommes, devait désirer d'en trouver un qui partageát son opinion et qui pút haïr avec lui.

Architas, de Tarente, croyait qu'un homme auquel il serait permis de s'élever jusqu'au ciel et de voir tous les chefs-d'œuvre de la Divinité, tous les secrets de la nature, s'ennuierait de cette contemplation's'il n'avait pas un ami pour causer avec lui de ces merveilles. C'est donc un fait incontestable que tout homme honore et cherche l'amitié.

Examinons donc pourquoi ce bien, si universellement désiré, est si rarement obtenu. Ne

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