Images de page
PDF
ePub

Sans suivre notre auteur dans les premiers chapitres de ce second livre, où il est question de l'empire romain sur les mers environnant la Grande-Bretagne, des Bretons qui succédèrent aux droits des Romains, et qui les transmirent aux Anglo-Saxons, nous passerons de suite à l'époque postérieure à l'invasion des Normands.

Voici quelques-uns des raisonnements allégués pour établir le domaine réclamé par les Anglais.

« Après l'arrivée des Normands, il est fréquemment fait mention des gardiens ou préfets maritimes. Les diplômes ou lettres d'institution des amiraux anglais portent ces mots : Préfet général de nos flottes et de nos mers. Cette formule fait voir que la Grande-Bretagne était réellement propriétaire de la mer (1).

» Au contraire, les titres des amiraux français ne désignent point qu'ils fussent chargés de maintenir aucun domaine sur les mers; ces amiraux avaient seulement la juridiction sur les forces navales, comme sur les personnes et-les choses mobilières (2).

mari, etiam ultra Britannici nominis metam, habet serenissimus rex magnæ Britanniæ; ideo neque hæc visum est omnino prætermittere. » (Liv. 2, chap. 4.)

(4) « Hunc secutus est Joannes comes Warvici, qui creatus ab Edwardo sexto, anno ejus tertio, « admirallus noster Angliæ, Hiberniæ, Walliæ, Calesiæ, et Boloniæ et marchiarum nostrarum earumdem, Normanniæ, Gasconniæ et Aquitaniæ, nec non præfectus generalis classium et marium nostrorum » atque in eoden etiam diplomate nuncupatur postea « magnus admirallus noster Angliæ et præfectus classium et marium nostrorum. » (Liv. 2, chap 46.)

(2) « Cum tamen, si res ritè perpendatur, præfectura illa maris quomodocumque dicta, non præficientis aliquod dominium (ut apud Anglos) in citeriori aliquo mari (nam de massiliensi quod huc non pertinet, minimè loquimur) sed tantummodo copiarum navalium in mari quocunque, et nautarum regimen, et jurisdictionem in personas et res mobiles, quæ sub judice veniant, pour raison ou occasion (quod ipsi aiunt) de fait de la mer, id est, ob causam aliquam à re maritimâ ortam, designet. » (Liv. 2, chap. 48.)

Lorsque les rois Jean et Henri III eurent perdu la Normandie, les îles de Jersey et de Guernesey et celles qui les entourent demeurèrent sous la domination anglaise, comme gage et preuve de la propriété de la mer, patrimoine du royaume (1). Lorsque Henri III eut pareillement renoncé à une grande partie de l'Aquitaine, il concéda à son fils aîné, Édouard, l'île d'Oléron, comme appendice de ce patrimoine sacré; et quoique, par la suite, cette île et plusieurs autres qui l'avoisinent aient, pour différentes causes, passé sous une autre domination, néanmoins la propriété de la mer dans laquelle elles sont situées est demeurée aux rois d'Angleterre (2).

» Les rois de Danemark et de Suède demandèrent à la reine Élisabeth de permettre à leurs navires, chargés de blé pour l'Espagne, de traverser les mers anglaises, et cette permission leur fut refusée. Pourquoi cette démarche aurait-elle été nécessaire, si l'on eût méconnu le domaine maritime de la reine (3)? » (Selden confond ici, sciem

(4) « Scilicet deturbato Normannia ipsa Joanne et Henrico tertio regibus, insulæ Cæsarea, Sarnia (Jersey et Garnesey vocamus) Alderneia, aliæ aliquot circumvicinæ, littori normannico ac aremorico præjacentes, ¡mo intra maris sinum quem facit hinc aremoricum, illinc normannicum littus, sitæ, seculis sequentibus ut antè hodieque in Angli ditione manserunt, quod nemo nescit. » (Liv. 2, chap. 19.)

(2) « Et tametsi postmodum tum hæc insula tum aliæ aliquot circumvicinæ, idque a multis abhinc seculis, littora gallicana quæ proximant, varias ob causas, sequuta sunt; attamen integrum interea mansit Angliæ regibus, ut ante, maris dominium; quod ex ceteris quæ ostendimus satis comprobatur.» (Liv. 2, chap. 19.)

(3) « Atqui et huc spectat sane reges tum Daniae, tum Sueciæ, præter urbes hanseaticas, enixe sæpius ab Elizabetha Angliæ regina petiisse, ut liber eis esset per mare anglicanum transitus cum annona in Hispaniam ; flagrante scilicet inter eam et Hispanum bello. Scio quidem licentiam ejusmodi eis negatam esse non solum dominii maris causâ, sed imprimis ne hostibus commeatus adferrentur. « (Liv. 2, chap 20.)

ment, la question du domaine des mers et la question

de neutralité.)

» Les Français avaient coutume de demander la permission de pêcher des soles pour la table de leur roi Henri IV, et quelques-uns de leurs bâtiments furent capturés pour avoir fait la pêche sans cette permission. (Selden se garde bien de mentionner le lieu où ces bâtiments faisaient cette pêche lorsqu'ils furent capturés.)

>> On ne doit pas oublier la mer qui s'étend au loin vers le nord et baigne les côtes de la Finlande, de l'Islande et autres îles soumises aux Danois et aux Norvégiens; car plusieurs conviennent que cette mer appartient aux Anglais (1).

» Et de même, le domaine du roi de la Grande-Bretagne, sur la mer qui s'étend beaucoup plus au nord que l'Islande, c'est-à-dire jusqu'au Groënland, est démontré clairement. Car ce sont des marchands anglais de la compagnie moscovite qui naviguèrent pour la première fois dans cette mer avant qu'elle fût occupée et fréquentée pour la pêche, particulièrement pour celle de la baleine (2). »

Enfin, voici la conclusion de ce livre singulier: « Et en » vérité il est certain, d'après la masse des témoignages invoqués, que les ports et les côtes des États voisins

[ocr errors]

(1) « Sed vero nec prætermittendum est heic mare illud, quod in septentrionem latissime panditur Frislandiam, Islandiam, alias item insulas Dani, Norwegive imperio subjectas alluens; nam etiam et hoc Britanno tribuerunt aliqui. » (Liv. 2, chap. 32.)

(2) « At vero et in mari quod Islandia est multo septentrionalius, imperium et dominium regis magnæ Britanniæ comperitur. Nimirum in Groenlandensi. Hoc enim mare nondum occupatum nec piscatorias artes passum, singulari balænarum capturâ, patrum memoriâ, quæstuosissimum primò reddidere Angli qui moscovitici corporis mercatores hâc navigabant. » (Liv. 2, chap 32.)

» (lesquels sont transmarins) sont, au sud et à l'est, les >> bornes de l'empire britannique, qui est un empire >> maritime;

>> Mais dans le vaste Océan septentrional et occidental » occupé par l'Angleterre, l'Écosse et l'Irlande, ces >> bornes sont encore à constituer (1). »

En comparant ensemble le Mare liberum et le Mare clausum, on voit que Grotius, pour appuyer les vérités qu'il proclame en faveur de la liberté des mers, n'invoque guère que les principes de la pure raison et ceux du droit international: sa cause est bonne; il n'a pas besoin de beaucoup développer sa doctrine.

L'écrivain anglais, au contraire, dont la cause est mauvaise, et qui le sent bien, est obligé d'agir comme on agit en pareil cas. Après avoir traité à sa manière la question de droit, il entasse les uns sur les autres des faits et des actes exagérés ou inexacts, qu'il dénature pour les tourner en sa faveur ; il épuise les citations tronquées, et donne à ces citations une interprétation forcée; mais ni l'étalage curieux de son immense érudition, ni tous ses raisonnements, ni toutes ses subtilités n'entraînent la conviction.

On prétend que Selden mit vingt ans à composer son ouvrage. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il dut avoir besoin de beaucoup de temps pour consulter les vieux documents, les lettres et les diplômes qu'il cite en si

(1) « Et verum certe est, juxta testimoniorum superius adductorum cumulum, ipsa vicinorum principum (qui transmarini sunt) littora seu portus, Britannici imperii quod marinum est, metas esse sive australes sive orientales; in aperto autem et vasto septentrionis atque occidentis oceano, post diffusissima æquora quæ anglo, scoto, hiberno occupata sunt, eas esse constituendas. » (Liv. 2, chap. 32.)

grande abondance et qu'il puisait dans les archives du Parlement et dans celles de la Tour de Londres, dont il fut nommé conservateur après sa publication.

Les théories de Selden furent adoptées par le gouvernement anglais, qui voulut en faire un code obligatoire pour toutes les nations. Charles Ier les notifia aux États généraux; le long Parlement les fit traduire en anglais, en y ajoutant un commentaire, et fit la guerre aux Hollandais pour les soutenir. Enfin, sous la dynastie de Hanovre, l'histoire nous montre Guillaume III adoptant ces maximes, et, dans son manifeste du 27 mai 1689, reprochant à Louis XIV d'avoir souffert que ses sujets violassent le droit de souveraineté de la couronne d'Angleterre sur les mers britanniques.

Nous ne parlerons pas des temps postérieurs.

Aujourd'hui, les discussions sur le domaine et sur l'empire des mers, dont nous venons de retracer le tableau, sont reléguées dans le pur domaine de l'histoire. Il n'est plus d'écrivain, il n'est plus de gouvernement qui songeât à renouveler de nos jours ces prétentions d'une autre époque. Si celles du Portugal, de l'Espagne et de la Hollande s'en sont allées avec la haute fortune maritime qui les avait fait naître, celles de la Grande-Bretagne elle-même ont dû céder devant les lumières apportées par les années, devant le progrès des événements et des idées en tout ce qui concerne les relations internationales.

Ainsi, il est bien reconnu par tout le monde, aujourd'hui, que la pleine mer ne peut être soumise, en aucune de ses parties quelconques, ni à la propriété, ni à l'empire d'aucun peuple;

Que les pavillons, à quelque nation souveraine qu'ils appartiennent, y sont égaux en droits, et libres, sauf

« PrécédentContinuer »