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Quant à nous, nous n'hésitons pas à émettre l'opinion que ces dispositions particulières des traités devraient passer en principe universel de droit des gens. Quand nous exposerons les règles internationales maritimes relatives à l'état de guerre, nous verrons, en traitant des corsaires, que leur emploi se justifie comme un appel que chaque État belligérant fait aux forces particulières de ses propres nationaux, de ses propres armateurs. C'est le concours, c'est la réunion des sujets au gouvernement, des forces privées aux forces publiques, de la marine marchande à la marine militaire de la nation. Qu'un pays réunisse contre son ennemi toutes ses ressources de guerre, il n'y a rien là que de légitime. Mais comment justifier l'appel qu'il ferait aux forces privées d'un État étranger qui reste neutre dans la querelle? Comment, tandis que l'État reste neutre, les sujets particuliers de cet État prendraient-ils parti pour l'un ou pour l'autre des belligérants? Comment, tandis que l'État est en paix, les sujets particuliers de cet État entreraient-ils en guerre? Un navire dans une telle situation ne serait pas avoué par l'État auquel il appartient, puisque cet État reste neutre et en paix, et ne l'a pas commissionné. Il ne serait donc pas placé sous la responsabilité de cet État, et n'en pourrait pas invoquer la nationalité. Il ne pourrait pas davantage invoquer celle de l'État belligérant dont il porte la commission, puisqu'il n'appartient véritablement pas à cet État et ne remplit aucune des conditions constitutives de cette nationalité à laquelle il est étranger. C'est donc un navire qui, pour les actes auxquels il se livre, se trouve dénationalisé, et n'est légitimement cou

échappant à la vigilance du gouvernement, se seraient rendus coupables d'actes de corsaires contre les États-Unis.

vert par aucun pavillon. Ces actes ont donc le caractère de véritables actes de piraterie suivant le droit des gens. -Ce qui fait que la navigation générale est moins alarmée de cette sorte de piraterie, c'est qu'un tel navire ne court pas sus à tout bâtiment de commerce indistinctement, et qu'il se borne à capturer ceux d'une seule puissance ou de quelques puissances déterminées; de telle sorte qu'en fait, pour le moment, ces puissances paraissent les seules intéressées à réprimer ses actes. Mais il faut observer que ce qui arrive aujourd'hui contre telle puissance pourra arriver demain contre telle autre, et qu'ainsi l'intérêt d'empêcher une telle violation du droit des gens, en la punissant chaque fois qu'elle se présente, est véritablement un intérêt universel.

Une application de ces principes de droit international a été faite par le vice-amiral Baudin dans son expédition du Mexique, en 1838. Comme il était question de navires étrangers au gouvernement mexicain, auxquels ce gouvernement délivrerait des commissions pour courir sus aux navires du commerce français, l'amiral déclara qu'il traiterait comme pirate tout navire qui commettrait de pareils actes sous le pavillon mexicain, sans appartenir véritablement à cette nation par la composition de son équipage et par l'accomplissement des autres conditions constitutives de la nationalité des navires (1).

Les publicistes s'accordent beaucoup plus généralement à qualifier acte de piraterie suivant le droit des gens, le fait d'un navire armé en guerre qui court les mers avec commission de deux ou de plusieurs princes ou États différents. Plusieurs écrivains font même entrer ce fait dans la définition générale qu'ils donnent de la

(4) Voir à l'Appendice, annexe H.

piraterie. Les lois particulières de quelques puissances s'expliquent formellement sur ce cas, et déclarent punissables comme pirates le capitaine et les officiers d'un tel navire. Telle est la disposition de notre ordonnance du mois d'août 1681 (titre des Prises, art. 5). Cette disposition a été maintenue, mais à l'égard du capitaine seulement, par l'article premier de la loi du 10 avril 1825 (1).

Nous ferons observer, relativement à ce cas, qu'il se rattache au précédent, et tombe sous l'application des mêmes principes. En effet, si le navire ainsi armé est étranger à chacun des États dont il a pris commission, sa situation est la même que celle qui précède, avec une circonstance aggravante de plus: savoir, que le navire ayant pris commission de plusieurs États, a ainsi augmenté le cercle de ses captures illégitimes. Si c'est un acte de piraterie du droit des gens que de se couvrir d'une commission étrangère pour courir sus aux navires en paix avec sa propre nation, à plus forte raison est-ce un acte de piraterie du même genre, que de se couvrir de deux ou de plusieurs commissions pareilles, afin de pouvoir courir sus à un plus grand nombre de navires. L'intention et le métier de piraterie apparaissent ici d'une manière encore plus ostensible.

Mais si le navire est commissionné d'un côté par son propre gouvernement, et d'un autre côté par un gouvernement étranger, il y a là un mélange susceptible d'atténuer la situation. Toutefois, nous croyons que si cette situation est légitime d'une part, de l'autre elle est illégitime; et que le navire qui fait des captures en vertu de la commission étrangère qu'il porte, fait en cela des actes

(1) Art. 1, § 2. « Sera poursuivi et jugé comme pirate tout comman»dant d'un navire ou bâtiment de mer armé et porteur de commissions » délivrées par deux ou plusieurs puissances ou États différents. »

de piraterie suivant le droit des gens. Il y a un intérêt international à prohiber et à punir un pareil cumul.

L'indulgence que quelques lois particulières et notamment notre loi française accordent, dans le cas de cumul de plusieurs commissions, aux gens de l'équipage autres que le capitaine et les officiers, ou même autres que le capitaine seulement, est motivée sur ce que ces gens ne sont pas toujours en état d'apprécier la situation et d'en comprendre toute la culpabilité. Cependant, nous croyons que cette indulgence, posée ainsi comme règle obligatoire et absolue pour tous les cas, est beaucoup trop étendue. Si l'existence de cette exception favorable ne peut plus être mise en controverse dans les législations particulières intérieures qui la mentionnent formellement, il n'en est pas de même dans le droit international universel. Nous croyons que, dans les principes de ce droit, les nations, ou au moins celles dont les bâtiments ont été attaqués, sont autorisées à traiter comme pirates, nonseulement le capitaine et les officiers, mais encore l'équipage d'un navire qui, sous une commission étrangère, court sus à des bâtiments amis de sa nation. Chacun, même les simples matelots, peut bien comprendre facilement ce qu'un pareil acte a d'illicite. Il en est de même, à plus forte raison, de l'équipage des navires ayant commission de divers États auxquels ils sont étrangers. Seulement, il doit en être ici comme dans toute accusation. de piraterie: c'est au juge qui prononce sur l'accusation à apprécier pour les hommes de l'équipage, en particulier, si quelqu'un d'entre eux n'a pas été contraint ou trompé, et à se montrer plus facile, sous ce dernier rapport, dans tous les cas où la culpabilité de la situation. était moins apparente pour des gens vulgaires.

Les décisions qui précèdent, et en particulier l'article

de la loi française qui punit comme pirate le capitaine d'un navire porteur de deux ou de plusieurs commissions délivrées par des États différents, seraient-elles applicables au cas où ces commissions auraient été délivrées par deux ou plusieurs puissances alliées ensemble contre un ennemi commun, et où le navire ainsi commissionné n'attaquerait que ce seul ennemi? - En droit international, on n'est pas d'accord pour la solution de cette question. Nous croyons qu'il y faut faire quelques distinctions.

Incontestablement, à notre avis, il y a piraterie suivant le droit des gens, si le navire ainsi commissionné est étranger à chacune des puissances alliées dont il a pris commission. L'acte de piraterie ne consiste pas, de sa part, seulement en ce qu'il porte plusieurs commissions d'États différents, mais surtout en ce qu'il est étranger à ces États, et court sus à des navires en paix avec sa propre nation.

Mais si le navire est ainsi commissionné par sa propre nation, et par une ou plusieurs puissances alliées de cette nation dans une guerre commune, de telle sorte qu'en vertu de ces commissions, il court sus à un ennemi de son pays, et se borne à faire bonne et loyale guerre à cet ennemi, la situation change; il est impossible d'y voir un crime de piraterie. Néanmoins, cette situation est irrégulière, elle blesse les lois internationales et ouvre la porte à beaucoup d'abus (1). En effet, si l'on se demande quelle peut être l'utilité pour un tel navire, tandis qu'il est déjà muni d'une commission de son gouvernement contre un ennemi commun, d'y joindre encore celle d'un gouvernement allié, contre le même ennemi, on n'en

(1) Voyez DE MARTENS, Essai concernant les armateurs, ch. 2, § 14. - WHEATON, Elem, of intern. law, t. 4, part. 2, chap. 2, § 15.

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