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plus de juridiction, mais bien de défense légitime, et l'État attaqué aurait, sans aucun doute, le droit de prendre, non-seulement dans ses eaux territoriales, mais encore en pleine mer, toutes les mesures nécessaires à cette défense (1).

La Cour de cassation à eu à statuer en 1832 sur un point analogue, et elle s'est prononcée conformément à ces principes dans l'affaire du Carlo Alberto, navire de commerce sarde, qui était venu débarquer clandestinement sur la plage de Marseille la duchesse de Berri, avec plusieurs de ses partisans, pour l'exécution d'un complot de guerre civile foriné par eux (2).

(1) L'affaire bien connue du Cagliari, arrivée en juin 1857, a donné lieu d'agiter cette question. Les passagers de ce navire à vapeur sarde s'en étaient emparés en mer, la nuit, une heure après le départ de Gênes, et le surlendemain, étant venus mouiller dans le port de l'île Ponza, près de l'entrée du golfe de Naples, avaient fait une irruption armée dans cette île et livré un combat à la garnison, dont ils avaient fait prisonnier le commandant. Ayant ouvert les prisons de la ville, et s'étant joints à près de quatre cents détenus, presidiari, il les avait emmenés à bord, et appareillant le Cagliari, étaient allés le lendemain au soir débarquer à Sapri, sur la côte napolitaine, avec leur bande ainsi grossie et armée. Quel qu'ait été le dénoûment de cette affaire après de longues discussions diplomatiques entre les gouvernements de Naples et de Sardaigne, auxquelles l'Angleterre elle-même a pris part, il est hors de doute, dans notre conviction, que le gouvernement napolitain a eu tous les droits possibles d'envoyer, ainsi qu'il le fit, ses bâtiments de guerre poursuivre le Cagliari, l'arrêter en vue des côtes napolitaines, même en dehors du rayon ordinaire de la mer territoriale, et l'emmener dans un port. Toutefois, les circonstances qui ont précédé et suivi ce fait d'une attaque à main armée sur un territoire ami, par des individus montant un bâtiment portant un pavillon ami, notamment la violence employée envers le capitaine et envers l'équipage par les passagers révoltés et la restitution que ces derniers firent du navire après s'en être servis pour débarquer à Sapri, ont rendu la question litigieuse quant au point de savoir si le gouvernement napolitain a pu légitimement condamner le navire et le confisquer.

(2) On peut voir, pour les détails de cette affaire, le réquisitoire du

Il va sans dire également que les droits de police et de juridiction qui sont reconnus à la puissance territoriale dans les eaux de laquelle sont mouillés les navires soit de guerre, soit de commerce, et devant lesquels s'arrête en certain cas la propre juridiction de l'État auquel les navires appartiennent, il va sans dire que ces droits ne sont reconnus que dans la supposition qu'il s'agit de pays civilisés, où une puissance régulière est organisée et où le droit des gens est connu et pratiqué. Mais s'il s'agit de pays barbares ou à demi barbares, de peuplades grossières et n'offrant aucune garantie de justice et d'institutions locales, la souveraineté et la juridiction des pays auxquels appartient le navire ne subissent aucune diminution et restent dans leur intégrité à l'égard des faits commis dans les eaux territoriales ou même à terre par les gens appartenant au navire.

La Cour de cassation a eu l'occasion également de sanctionner ce principe, au sujet d'un homicide qui avait été commis au préjudice d'un Français, par les nommés Suleman et Samba Dantyllia, dans le pays de Cayor, voisin des établissements français de la côte occidentale d'Afrique. La Cour a jugé que, bien que le pays de Cayor se trouve en dehors du territoire des établissements, les inculpés ont pu être régulièrement arrêtés à Saint-Louis

procureur général à la Cour de cassation et le texte de l'arrêt de la Cour, du 7 septembre 1832, conforme à ce réquisitoire, dans le recueil des réquisitoires de M. DUPIN, tom. 1, p. 477. Un des considérants de cet arrêt est ainsi conçu : « Attendu que le privilége établi par le droit des » gens en faveur des navires amis ou neutres cesse dès que ces navires, >> au mépris de l'alliance ou de la neutralité du pavillon qu'ils portent, >> commettent des actes d'hostilité; que, dans ce cas, ils deviennent >> ennemis, et doivent subir toutes les conséquences de l'état d'agression » dans lequel ils se sont placés. » (Voy. aussi Ann. marit. de 1832, part. 1, p. 579).

et jugés dans cette ville par les tribunaux français, conformément à la loi française (1).

Cette observation nous conduit à une dernière particularité quant à l'objet qui nous occupe.

Bien que les pays qui font partie ou qui sont une dépendance de l'empire ottoman ne puissent être rangés dans la classe de ceux dont nous venons de parler, bien qu'ils aient une organisation et des institutions sociales à eux, bien qu'en un mot leur gouvernement souverain, la Porte, soit en communication du droit des gens avec les

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(4) Cet arrêt de la chambre criminelle, en date du 17 mai 1839, est ainsi motivé : « La Cour, attendu..... que si, en règle générale, la juri>> diction de chaque État est bornée par les limites du territoire, et si les » articles 5, 6 et 7 Code d'instr. crim. contiennent les seules exceptions >> qu'il ait admises, ces principes de droit international supposent néces>> sairement l'existence de rapports constants et réguliers qui unissent les >> peuples entre eux, dont la réciprocité soit le fondement, qui assurent » à chaque peuple la protection efficace et les justes satisfactions que les >> autres obtiennent de lui; qu'ainsi l'article 6 suppose des conven» tions ou des traités en vertu desquels on obtiendrait l'extradition de » l'étranger qui aurait commis l'un des crimes prévus par l'article 5; » que l'article 7 admet aussi cette supposition, que le Français qui se » serait rendu coupable d'un crime contre un Français, hors du territoire >> du royaume, aurait pu être jugé par les tribunaux du pays où l'ordre >> public a été troublé; mais que toutes ces conditions manquent lors» qu'il s'agit de crimes commis au sein de tribus indépendantes ou de » peuplades à demi barbares, étrangères aux principes du droit des gens >> et qui méconnaissent les obligations qui en dérivent; que, pour la >> protection de ses nationaux, la France conserve toujours les droits » qu'elle tient de la légitime défense et de la souveraineté attachée à la >> conquête; qu'elle peut se saisir des coupables et les livrer à la justice » de ses tribunaux ; que c'est d'après ces distinctions que l'ordonnance » royale du 10 août 1834, concernant l'administration de la justice dans >> les possessions françaises du nord de l'Afrique, art. 37, réserve aux >> conseils de guerre la connaissance des crimes et délits commis par un » indigène au préjudice d'un Français ou d'un Européen, et même, en » certain cas, par un indigène au préjudice d'un autre indigène, en >> dehors des limites déterminées par le gouvernement, etc.; rejette, etc. »

autres nations, cependant les croyances, les coutumes, les institutions musulmanes sont tellement en désaccord avec celles de la chrétienté, que les gouvernements chrétiens ont dû modifier profondément, par leurs conventions publiques, les règles ordinaires du droit des gens en matière de juridiction internationale. Ces modifications étaient surtout indispensables aux temps passés, lorsque la séparation des idées religieuses était plus profonde, lorsque l'administration et les institutions musulmanes, sévèrement assises sur les croyances du mahométisme, n'empruntaient rien aux peuples de la chrétienté; lorsque enfin plusieurs dépendances de l'empire ottoman paraissaient tellement en dehors de notre civilisation, qu'on les appelait les pays ou les puissances barbaresques.

C'est par ces motifs que la France, par un grand nombre de ses traités ou capitulations avec la Porte, traités remontant jusqu'au commencement du seizième siècle et fréquemment renouvelés depuis, a stipulé que les Français ne seraient justiciables que de leur justice nationale, tant en matière civile qu'en matière criminelle, pour les faits passés soit dans les eaux territoriales, soit même sur le territoire des pays ou dépendances de l'empire ottoman; en d'autres termes, dans les pays qui sont désignés communément sous la dénomination d'Échelles du Levant ou de Barbarie (1

La capitulation ou diplôme du 28 mai 1740, qui contient les dernières dispositions à cet égard, s'exprime en

(4) Les conventions publiques entre la France et la Porte sur ce point sont les traités de 4535, 4569, 4584; - celui de 1604, entre Henri IV et le sultan Amurat (art. 18, pour la juridiction criminelle); - celui du 5 juin 4673, entre Louis XIV et Méhémet IV (art. 46, pour la juridiction criminelle); celui du 28 mai 1740 (art. 45 pour la juridiction criminelle); — enfin, celui du 25 juin 4802, purement confirmatif des précédents.

ces termes, dans son article 15, au sujet de la juridiction criminelle : « S'il arrivait quelque meurtre ou quel» que désordre entre les Français, leurs ambassadeurs et >> leurs consuls en décideront selon leurs us et coutumes, » sans qu'aucun de nos officiers puisse les inquiéter à >> cet égard.

L'usage a encore étendu cette concession: bien que les traités ne parlent que de crimes entre Français, les dispositions en ont été appliquées au cas où il s'agit de crimes ou délits commis par un Français même contre un sujet de la Porte; et il est sans exemple, toutes les fois que les consuls ont réclamé en cas pareil la faveur de s'emparer de la poursuite contre leur national, que cette faveur leur ait été refusée.

Par suite de ce droit particulier de juridiction que la France possède sur ses nationaux dans les Échelles du Levant et de Barbarie, un édit de juin 1778, comprenant 85 articles, avait réglé la compétence des consuls, ainsi que le mode d'instruction et de poursuite, quant aux crimes et aux délits commis par des Français dans ces pays. Mais les dispositions de cet édit se référant à un ordre de pouvoirs qui n'existe plus chez nous depuis notre première révolution, une loi du 28 mai 1836, tout en n'abrogeant de l'édit que les articles 39 et suivants jusques et compris l'article 81, est venue régler de nouveau cette matière, et la mettre en harmonie avec nos institutions judiciaires actuelles (1).

Le consul (à Constantinople un officier français spécial) est chargé de la police judiciaire à l'occasion des crimes, contraventions ou délits commis par les Français dans

(4) Loi du 28 mai-1er juin 1836, relative à la poursuite et au jugement des contraventions, délits et crimes commis par dés Français dans les Échelles du Levant et de Barbarie.

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