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Les États souverains ne sont pas les seuls entre lesquels il existe des droits et des obligations. La chaîne des droits est immense; elle relie entre eux tous les hommes pris individuellement ou collectivement, parce que la sociabilité établit entre eux des rapports à tous les degrés et dans toutes les combinaisons de l'humanité. Ainsi, il y a des droits et des obligations de particulier à particulier; il y en a d'État à particulier et de particulier à État; d'État à province et de province à État; d'État confédéré à chaque État confédéré en particulier, ou à la confédération en général, et réciproquement; d'État souverain aux États mi-souverains qui lui sont liés, et réciproquement; enfin d'État souverain à État souverain.

Quoique dans les affaires diplomatiques la prise en considération de ces diverses sortes de droits ne soit pas toujours dénuée d'intérêt; que, notamment, ceux qui existent entre un État souverain et les États subordonnés qui se rattachent à lui, méritent une grande attention, néanmoins tous ces droits, sauf ceux de la dernière espèce, constituent plus ou moins étroitement des questions intérieures, particulièrement propres à l'État ou aux États qu'elles concernent; et il n'y a que les droits existant entre États souverains qui appartiennent complétement et directement à la matière des relations extérieures.

En effet, puisque ce sont ces États qui sont investis à l'extérieur de la souveraineté, c'est-à-dire de la puissance suprême, ce sont eux qui sont tenus de se soumettre aux nécessités morales obligatoires pour la conduite des nations, et qui peuvent réclamer à leur tour l'observation de ces nécessités. En d'autres termes, ce sont eux qui ont des droits et des obligations internationales.

On a coutume de diviser en deux sortes les droits dont jouissent les États souverains les uns à l'égard des autres :

en driots primitifs ou absolus et en droits conditionnels ou hypothétiques (1).

Les droits absolus, que nous aimerions mieux nommer droits permanents, sont ceux qui existent pour l'État en toute situation, par le fait seul de sa qualité d'État et comme conséquence permanente de cette qualité. On les nomme absolus, parce qu'ils ne sont pas limités à l'occurrence de telle ou telle situation spéciale.

Les droits conditionnels, qui seraient mieux nommés, selon nous, accidentels ou occasionnels, ne prennent naissance que dans certaines relations internationales particulières, et cessent avec les circonstances qui y ont donné lieu. Ils sont bien des conséquences de la qualité d'État souverain, mais des conséquences non permanentes qui ne se produisent que dans tel cas donné. La guerre, par exemple, confère aux États belligérants et aux États neutres certains droits qui n'existent pas en temps de paix.

Du reste cette division, dont l'expression même ne paraît pas à l'abri de toute critique, est une division de pure doctrine, dont les détails poussés trop loin conduisent à des obscurités, à des doubles emplois inévitables; et que, par conséquent, nous croyons utile de maintenir uniquement dans ses généralités les plus saillantes.

Le premier de tous les droits absolus ou permanents, celui qui sert de base fondamentale à la plupart des autres et au plus grand nombre des droits occasionnels, est le droit de conservation de soi-même. Toute personne

(4) Voyez KLÜBER, Droit des gens moderne, § 36. of intern. law, t. 1, part. 2, chap. 1, §§ 1 et 2.

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morale, de même que les personnes individuelles, du moment que son existence est légitime, a le droit de pourvoir au bien-être et à la conservation de cette existence. Les sociétés humaines ou États souverains légitimement établis ont donc ce droit.

Ils peuvent pourvoir à leur bien-être et à leur conservation de deux manières : soit spontanément, en cherchant d'eux-mêmes à se procurer, à multiplier, à développer tous les éléments qui y sont nécessaires, pourvu que ce ne soit pas au préjudice du droit d'autrui ;

soit par réaction, en repoussant, au préjudice même de l'agresseur, les attaques injustes dont ils seraient l'objet, ou en exigeant la réparation. Cette dernière modification du droit de bien-être et de conservation, qui est celle sur laquelle se porte le plus l'attention des publicistes, est ce qu'on appelle le droit de légitime défense.

C'est soit de l'une soit de l'autre de ces deux variétés du droit de bien-être et de conservation, que dérive pour les États souverains la faculté de développer autant que possible en leur sein tous les éléments de richesse ou de puissance nationale, publique ou privée; non-seulement de défendre leur droit de propriété d'État, consistant à conserver l'intégrité du territoire, mais même d'augmenter ce territoire par des acquisitions légitimes; non-seulement de repousser les agressions injustes quand elles ont lieu, mais même de se précautionner contre elles à l'avance, d'en prévenir l'éventualité par la disposition de tous les moyens légitimes de force ou de sûreté, tels que bâtir des forteresses sur les frontières, faire toutes sortes d'armements ou d'approvisionnements, lever des armées, former des camps, construire et équiper des flottes; enfin la faculté, si des lésions ont eu lieu, d'en exiger et d'en poursuivre la réparation.

Un autre droit absolu ou permanent de tout État souverain, c'est d'être indépendant; c'est-à-dire de n'avoir à reconnaître, dans aucun de ses actes, l'autorité supérieure d'aucun autre État isolé ou réuni à d'autres; de ne pas être tenu d'obéir aux injonctions impératives des autres puissances. Sans quoi il ne serait pas souverain, puisqu'il aurait au-dessus de lui une autorité plus haute. Ainsi, par exemple, dans ces armements, équipements de flottes, préparatifs de tous moyens de défense ou d'attaque dont nous venons de parler, un État souverain n'a à recevoir ni injonction, ni prohibition, ni limitation d'aucune puissance étrangère. Mais celles-ci, en vertu de leur propre droit de conservation, qu'elles ont tout autant que lui, si elles voient dans ces préparatifs un sujet d'alarme, une occasion de prévoir pour elles-mêmes quelque danger possible d'agression, peuvent demander des explications; et la loyauté comme un intérêt bien entendu commandent de satisfaire à ces demandes, lorsqu'elles sont raisonnables et bien intentionnées.

Enfin, un troisième droit permanent ou absolu des États souverains est celui de l'égalité entre eux. L'infériorité relative de forces dans un État, par comparaison aux forces d'autres puissances, ne préjudicie point à la souveraineté ni à ses conséquences.

Sans doute, un État faible est, dans la balance politique, d'un moindre poids qu'un État puissant; et il faut appliquer aux nations cette vérité qui existe à l'égard des individus isolés, que souvent le faible est contraint, dans son propre intérêt, à garder certains ménagements envers le fort, souvent même d'agir contre son propre gré. Mais par ces mots indépendance et égalité appliqués aux nations, on veut dire seulement que la faiblesse d'un

État, résultant soit du peu d'étendue de son territoire ou du chiffre restreint de sa population, soit de l'infériorité de ses forces militaires, soit de toute autre cause, n'est pas un motif pour lui reconnaître moins de droits qu'à un autre plus puissant.

L'inégalité est une loi de la nature, elle est partout dans l'ordre des faits, que l'on considère les hommes individuels ou les nations, qu'on les compare dans leurs facultés physiques ou dans leurs facultés morales. C'est l'idée du juste qui, nonobstant ces inégalités de fait, vient établir le principe de l'égalité de droit.

Ainsi un État souverain, quelque faible qu'il soit, n'en a pas moins, comme l'État le plus puissant et au même degré, le droit absolu de bien-être et de conservation, celui d'indépendance, et tous ceux qui en dérivent.

En résumé, les trois droits qui suivent:
Droit de bien-être et de conservation,

Droit d'indépendance,

Droit d'égalité,

sont les attributs permanents et essentiels de tout Etat souverain.

Le détail des droits, si nombreux, que la variété des situations peut faire naître entre nations, vient toujours se rattacher plus ou moins à l'un de ces trois principes; et bien souvent il ne s'agit que d'en tirer les corollaires.

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