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vie de cet empereur (1), que l'on surprit Aaron lisant un livre de Salomon, dont la lecture faisait paraître des légions de démons. Or, en supposant dans la magie une puissance qui arme l'enfer, et en partant de là, on regarde celui que l'on appelle un magicien comme l'homme du monde le plus propre à troubler et à renverser la société, et l'on est porté à le punir sans mesure.

L'indignation croît lorsque l'on met dans la magie le pouvoir de détruire la religion. L'histoire de Constantinople (2) nous apprend que, sur une révélation qu'avait eue un évêque, qu'un miracle avait cessé à cause de la magie d'un particulier, lui et son fils furent condamnés à mort. De combien de choses prodigieuses ce crime ne dépendait-il pas ! Qu'il ne soit pas rare qu'il y ait des révélations ; que l'évêque en ait eu une; qu'elle fût véritable; qu'il y eût eu un miracle; que ce miracle eût cessé ; qu'il y eût de la magie; que la magie pût renverser la religion; que ce particulier fût magicien ; qu'il eût fait enfin cet acte de magie.

L'empereur Théodore Lascaris attribuait sa maladie à la magie. Ceux qui en étaient accusés n'avaient d'autre ressource que de manier un fer chaud sans se brûler. Il aurait été bon chez les Grecs, d'être magicien pour se justifier de la magie. Tel était l'excès de leur idiotisme, qu'au crime du monde le plus incertain ils joignaient les preuves les plus incertaines.

Sous le règne de Philippe-le-Long, les Juifs furent chassés de France, accusés d'avoir empoisonné les fontaines par le moyen des lépreux. Cette absurde accusation doit bien faire douter de toutes celles qui sont fondées sur la haine publique.

Je n'ai point dit ici qu'il ne fallait point punir l'hérésie; je dis qu'il faut être très-circonspect à la punir.

CHAPITRE VI.

Du crime contre nature.

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A Dieu ne plaise que je veuille diminuer l'horreur que pour un crime que la religion, la morale et la politique condamnent tour à tour! Il faudrait le proscrire, quand il ne ferait que donner à un sexe les faiblesses de l'autre, et préparer à une vieillesse infâme par une jeunesse honteuse. Ce que j'en dirai lui laissera toutes ses flétrissures, et ne portera que contre la tyrannie qui peut abuser de l'horreur même que l'on en doit avoir. Comme la nature de ce crime est d'être caché, il est souvent arrivé que des législateurs l'ont puni sur la déposition d'un en(1) Nicétas, Vie de Manuel Comnène, liv. IV. (2) Histoire de l'empereur Maurice, par Théophylacte, chap. XI.

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fant. C'était ouvrir une porte bien large à la calomnie. « Justinien, dit Procope (1), publia une loi contre ce crime; il fit >> rechercher ceux qui en étaient coupables, non-seulement depuis la loi, mais avant. La déposition d'un témoin, quelque» fois d'un enfant, quelquefois d'un esclave, suffisait, surtout » contre les riches, et contre ceux qui étaient de la faction des » verds. »

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Il est singulier que, parmi nous, trois crimes, la magie, l'hérésie, et le crime contre nature, dont on pourrait prouver, du premier, qu'il n'existe pas; du second, qu'il est susceptible d'une infinité de distinctions, interprétations, limitations; du troisième, qu'il est très-souvent obscur; aient été tous trois punis de la peine du feu.

Je dirai bien que le crime contre nature ne fera jamais dans une société de grands progrès, si le peuple ne s'y trouve porté d'ailleurs par quelque coutume, comme chez les Grecs, où les jeunes gens faisaient tous leurs exercices nus; comme chez nous, où l'éducation domestique est hors d'usage; comme chez les Asiatiques, où des particuliers ont un grand nombre de femmes qu'ils méprisent, tandis que les autres n'en peuvent avoir. Que l'on ne prépare point ce crime, qu'on le proscrive par une police exacte comme toutes les violations des mœurs ; et l'on verra soudain la nature, ou défendre ses droits, ou les reprendre. Douce, aimable, charmante, elle a répandu les plaisirs d'une main libérale; et, en nous comblant de délices, elle nous prépare, par des enfans qui nous font, pour ainsi dire, renaître, à des satisfactions plus grandes que ces délices mêmes.

CHAPITRE VII.

Du crime de lèse-majesté.

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LES lois de la Chine décident que quiconque manque pect à l'empereur doit être puni de mort. Comme elles ne définissent pas ce que c'est que ce manquement de respect, tout peut fournir un prétexte pour ôter la vie à qui l'on veut, et exterminer la famille que l'on veut.

Deux personnes chargées de faire la gazette de la cour, ayant mis dans quelque fait des circonstances qui ne se trouvèrent pas vraies, on dit que mentir dans une gazette de la cour, c'était manquer de respect à la cour, et on les fit mourir (2). Un prince du sang ayant mis quelque note par mégarde sur un mémorial signé du pinceau rouge par l'empereur, on décida qu'il avait manqué de respect à l'empereur; ce qui causa contre cette fa(1) Histoire secrète. — (2) Le P. du Halde, tome I, p. 43.

mille une des terribles persécutions dont l'histoire ait jamais parlé (1).

C'est assez que le crime de lèse-majesté soit vague pour que le gouvernement dégénère en despotisme. Je m'étendrai davantage là-dessus dans le livre de la Composition des lois.

CHAPITRE VIII.

De la mauvaise application du nom de crime de sacrilége et de lèse-majesté.

C'EST encore un violent abus, de donner le nom de crime de lese - majesté à une action qui ne l'est pas. Une loi des empereurs (2) poursuivait comme sacriléges ceux qui mettaient en question le jugement du prince, et doutaient du mérite de ceux qu'il avait choisis pour quelque emploi (3). Ce furent bien le cabinet et les favoris qui établirent ce crime. Une autre loi avait déclaré que ceux qui attentent contre les ministres et les officiers du prince sont criminels de l'èse-majesté, comme s'ils attentaient contre le prince même (4). Nous devons cette loi à deux princes (5) dont la faiblesse est célèbre dans l'histoire; deux princes qui furent menés par leurs ministres, comme les troupeaux sont conduits par les pasteurs; deux princes, esclaves dans le palais, enfans dans le conseil, étrangers aux armées, qui ne conserverent l'empire que parce qu'ils le donnèrent tous les jours. Quelques-uns de ces favoris conspirèrent contre leurs empereurs. Ils firent plus: ils conspirèrent contre l'empire; ils y appelèrent les barbares: : et, quand on voulut les arrêter, l'état était si faible qu'il fallut violer leur loi, et s'exposer au crime de lèse-majesté pour les punir.

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C'est pourtant sur cette loi que se fondait le rapporteur de M. de Cinq-Mars (6), lorsque, voulant prouver qu'il était coupable du crime de lèse-majesté pour avoir voulu chasser le cardinal de Richelieu des affaires, il dit : « Le crime qui touche » la personne des ministres des princes est réputé, par les cons»titutions des empereurs, de pareil poids que celui qui touche leur personne. Un ministre sert bien son prince et son état; on » l'ôte à tous les deux : c'est comme si l'on privait le premier » d'un bras (7), et le second d'une partie de sa puissance. » (1) Le P. Parennin, dans les Lettres édif. (2) Gratien, Valentinien, et Théodose. C'est la troisième au code de crim. sacril. (3) Sacrilegii instar est dubitare an is dignus sit quem elegerit imperator. : (Ibid.) Cette loi a servi de modèle à celle de Roger, dans les Constitutions de Naples, tit. IV. (4) La loi XVe, ad leg. Jul. maj. cod. IX, til. VIII. —(5) Arcadius et Honorius. —(6) Mémoires de Montrésor, t. I. (7) Nam ipsi pars corporis nostri sunt. (Même loi, au cod. ad leg. Jul. maj.)

Quand la servitude elle-même viendrait sur la terre, elle no parlerait pas autrement.

Une autre loi de Valentinien, Théodose et Arcadius (1), déclare les faux-monnayeurs coupables du crime de lèse-majesté. Mais n'était-ce pas confondre les idées des choses? Porter sur un autre crime le nom de lèse-majesté, n'est-ce pas diminuer l'horreur du crime de lèse-majesté?

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CHAPITRE IX.

Continuation du même sujet.

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PAULIN ayant mandé à l'empereur Alexandre « qu'il se préparait à poursuivre, comme criminel de lèse-majesté, un juge qui avait prononcé contre ses ordonnances, l'empereur lui répondit que, dans un siècle comme le sien, les crimes de lèse» majesté indirects n'avaient point de lieu (2). »

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Faustinien ayant écrit au même empereur qu'ayant juré, par la vie du prince, qu'il ne pardonnerait jamais à son esclave, il se voyait obligé de perpétuer sa colère, pour ne pas se rendre coupable du crime de lèse-majesté : « Vous avez pris de vaines » terreurs (3), lui répondit l'empereur, et vous ne connaissez pas » mes maximes. »

Un sénatus-consulte (4) ordonna que celui qui avait fondu des statues de l'empereur qui auraient été réprouvées, ne serait point coupable de lèse-majesté. Les empereurs Sévère et Antonin écri virent à Pontius (5), que celui qui vendrait des statues de l'empereur non consacrées ne tomberait point dans le crime de lèsemajesté. Les mêmes empereurs écrivirent à Julius Cassianus, que celui qui jetterait par hasard une pierre contre une statue de l'empereur ne devait point être poursuivi comme criminel de lèse-majesté (6). La loi Julie demandait ces sortes de modifications; car elle avait rendu coupables de lèse-majesté, non-seulement ceux qui fondaient les statues des empereurs, mais ceux qui commettaient quelque action semblable (7); ce qui rendait ce crime arbitraire. Quand on eut établi bien des crimes de lèsemajesté, il fallut nécessairement distinguer ces crimes. Aussi le jurisconsulte Ulpien, après avoir dit que l'accusation du crime de lèse-majesté ne s'éteignait point par la mort du coupable, ajoute-t-il (8) que cela ne regarde pas tous les crimes de lèse(1) C'est la neuvième, au code théod, de falsá monetá. — (2) Etiam ex aliis caussis majestatis crimina cessant meo sæculo. (Leg. I, cod. 1. IX, tit. VIII, ad leg. Jul. maj.) · (3) Alienam sectæ meæ sollicitudinem concepisti. (Leg. II, cod. 1. XLIII, tit. IV, ibid.) — (4) Voyez la loi IV, S. 3, au ff. ad leg. Jul. maj. liv. XLVIII, tome IV. −(5) Voyez la loi V, S. 2, ibid. (6) Ibid. §. 1.- — (7) Aliudve quid simile admiserint. (Leg. VI, ibid.)—(8) Dans la loi dernière, au ff. ad leg. Jul. maj. de adulteriis.

majesté établis par la loi Julie, mais seulement celui qui contient un attentat contre l'empire, ou contre la vie de l'empereur. CHAPITRE X.

Continuation du même sujet.

UNE loi d'Angleterre, passée sous Henri VIII, déclarait coupables de haute trahison tous ceux qui prédiraient la mort du roi. Cette loi était bien vague. Le despotisme est si terrible, qu'il se tourne même contre ceux qui l'exercent. Dans la dernière maladie de ce roi, les médecins n'osèrent jamais dire qu'il fût en danger, et ils agirent sans doute en conséquence (1).

CHAPITRE XI.
Des pensées.

UN Marsias songea qu'il coupait la gorge à Denys (2). Celui-ci le fit mourir, disant qu'il n'y aurait pas songé la nuit s'il n'y eût pensé le jour. C'était une grande tyrannie car, quand même il y aurait pensé, il n'avait pas attenté (3). Les lois ne se chargent de punir que les actions extérieures.

CHAPITRE XII.

Des paroles indiscrètes,

RIEN ne rend encore le crime de lèse-majesté plus arbitraire que quand des paroles indiscrètes en deviennent la matière. Les discours sont si sujets à interprétation, il y a tant de différence entre l'indiscrétion et la malice, et il y en a si peu dans les expressions qu'elles emploient, que la loi ne peut guère soumettre les paroles à une peine capitale, à moins qu'elle ne déclare expressément celles qu'elle y soumet (4).

Les paroles ne forment point un corps de délit; elles ne restent que dans l'idée. La plupart du temps elles ne signifient point par elles-mêmes, mais par le ton dont on les dit. Souvent, en redisant les mêmes paroles, on ne rend pas le même sens ; ce sens dépend de la liaison qu'elles ont avec d'autres choses. Quelquefois le silence exprime plus que tous les discours. Il n'y a rien de si équivoque que tout cela. Comment donc en faire un erime de lèse-majesté? Partout où cette loi est établie, non-seulement la liberté n'est plus, mais son ombre même.

tion.

(1) Voyez l'Histoire de la réformation, par M. Burnet. (2) Plutarque, Vie de Denys.- (3) Il faut que la pensée soit jointe à quelque sorte d'ac· (4) Si non tale sit delictum, in quod vel scriptura legis descendit, vel ad exemplum legis vindicandum est dit Modestinus, dans la loi VII, §. 3, in fine, au ff. ad leg. Jul. maj.

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