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CHAPITRE XXVIII.

De l'adoption chez les Germains.

COMME, chez les Germains, on devenait majeur en recevant les armes, on était adopté par le même signe. Ainsi Gontran, voulant déclarer majeur son neveu Childebert, et de plus l'adopter, il lui dit : « J'ai mis (1) ce javelot dans tes mains, comme un signe que je t'ai donné mon royaume. » Et se tournant vers l'assemblée : « Vous voyez que mon fils Childebert est devenu un homme; » obéissez-lui. » Théodoric, roi des Ostrogoths, voulant adopter le roi des Hérules, lui écrivit (2) : « C'est une belle chose, parmi de pouvoir être adopté par les armes; car les hommes >> courageux sont les seuls qui méritent de devenir nos enfans. » Il y a une telle force dans cet acte, que celui qui en est l'objet » aimera toujours mieux mourir que de souffrir quelque chose » de honteux. Ainsi, par la coutume des nations, et parce que >> vous êtes un homme, nous vous adoptons par ces boucliers, » ces épées, ces chevaux, que nous vous envoyons. »>

>>> nous,

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CHAPITRE XXIX.

Esprit sanguinaire des rois francs.

CLOVIS n'avait pas été le seul des princes, chez les Francs, qui eût entrepris des expéditions dans les Gaules: plusieurs de ses parens y avaient mené des tribus particulières; et comme il y eut de plus grands succès, et qu'il put donner des établissemens considérables à ceux qui l'avaient suivi, les Francs accoururent à lui de toutes les tribus, et les autres chefs se trouvèrent trop faibles pour lui résister. Il forma le dessein d'exterminer toute sa maison, et il y réussit (3). Il craignait, dit Grégoire de Tours (4), que les Francs ne prissent un autre chef. Ses enfans et ses successeurs suivirent cette pratique autant qu'ils purent: on vit sans cesse le frère, l'oncle, le neveu; que dis-je ! le fils, le père, conspirer contre toute sa famille. La loi séparait sans cesse la monarchie; la crainte, l'ambition, et la cruauté, voulaient la réunir.

CAAPITRE XXX.

Des assemblées de la nation chez les Francs.

ON a dit ci-dessus, que les peuples qui ne cultivent point les terres jouissaient d'une grande liberté. Les Germains furent dans Tacite dit qu'ils ne donnaient à leurs rois ou chefs qu'un

ce cas.

(1) Voyez Grégoire de Tours, liv. VII, ch. xxIII. dore, liv. IV, lett. 2.

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- (3) Grégoire de Tours, liv. II.

(4) Ibid.

pouvoir très-modéré (1); et César (2), qu'ils n'avaient point de magistrat commun pendant la paix; mais que, dans chaque village, les princes rendaient la justice entre les leurs. Aussi les Francs, dans la Germanie, n'avaient-ils point de roi; comme Grégoire de Tours (3) le prouve très-bien.

« Les princes, dit Tacite (4), délibèrent sur les petites choses, >> toute la nation sur les grandes; de sorte pourtant que les af»faires dont le peuple prend connaissance sont portées de même » devant les princes. » Cet usage se conserva après la conquête, comme (5) on le voit dans tous les monumens.

Tacite (6) dit que les crimes capitaux pouvaient être portés devant l'assemblée. Il en fut de même après la conquête, et les grands vassaux y furent jugés.

CHAPITRE XXXI.

De l'autorité du clergé dans la première race.

CHFZ les peuples barbares, les prêtres ont ordinairement du pouvoir, parce qu'ils ont, et l'autorité qu'ils doivent tenir de la religion, et la puissance que chez des peuples pareils donne la superstition. Aussi voyons-nous, dans Tacite, que les prêtres étaient fort accrédités chez les Germains, qu'ils mettaient la police (7) dans l'assemblée du peuple. « Il n'était permis qu'à (8) >> eux de châtier, de lier, de frapper ce qu'ils faisaient, » non par un ordre du prince ni pour infliger une peine, mais » comme par une inspiration de la Divinité, toujours présente » à ceux qui font la guerre. »

Il ne faut pas être étonné si, dès le commencement de la première race, on voit les évêques arbitres (9) des jugemens, si on les voit paraître dans les assemblées de la nation, s'ils influent si fort dans les résolutions des rois, et si on leur donne tant de biens.

(1) Nec regibus libera aut infinita potestas. Cæterùm neque animadvertere, neque vincire, neque verberare, etc. ( De Moribus German.) — (2) In pace nullus est communis magistratus, sed principes regionum atque pagorum inter suos jus dicunt. (De bello gall. lib. VI.) — (3) Liv. II. (4) De minoribus rebus principes consultant de majoribus omnes ; ita tamen ut ea quorum penès plebem arbitrium est, apud principes quoque pertractentur. (De Moribus German.)-(5) Lex consensu populi fit et constitutione regis. (Capitulaires de Charles-le-Chauve, an 804, art. 6.) — (6) Licet apud concilium accusare et discrimen capitis intendere. (De Moribus German.) - (7) Silentium per sacerdotes, quibus et coërcendi jus est, imperatur. (De Moribus German.) — (8) Nec regibus libera aut infinita potestas. Cæterùm neque animadvertere, neque vincire, neque verberare, nisi sacerdotibus est permissum; non quasi in pœ¬ nam, nec ducis jussu, sed velut Deo imperante, quem adesse bellatoribus credunt.(Ibid.) — (9) Voyez la constitution de Clotaire, de l'an 560,

art. 6.

LIVRE XIX.

DES LOIS, DANS LE RAPPORT QU'elles ont AVEC LES PRINCIPES QUI FORMENT L'ESPRIT GÉNÉRAL, LES MOEURS ET LES MANIÈRES D'UNE NATION.

CHAPITRE PREMIER.

Du sujet de ce livre.

CETTE matière est d'une grande étendue. Dans cette foule d'idées qui se présentent à mon esprit, je serai plus attentif à l'ordre des choses qu'aux choses mêmes. Il faut que j'écarte à droite et à gauche, que je perce, et que je me fasse jour.

CHAPITRE II.

Combien, pour les meilleures lois, il est nécessaire que les esprits soient préparés.

RIEN ne parut plus insupportable aux Germains (1) que le tribunal de Varus. Celui que Justinien érigea (2) chez les Laziens, pour faire le procès au meurtrier de leur roi, leur parut une chose horrible et barbare. Mithridate (3), haranguant contre les Romains, leur reproche surtout les formalités (4) de leur justice. Les Parthes ne purent supporter ce roi, qui, ayant été élevé à Rome, se rendit affable (5) et accessible à tout le monde. La liberté même a paru insupportable à des peuples qui n'étaient pas accoutumés à en jouir. C'est ainsi qu'un air pur est quelquefois nuisible à ceux qui ont vécu dans des pays marécageux.

Un Vénitien nommé Balbi, étant au (6) Pégu, fut introduit chez le roi. Quand celui-ci apprit qu'il n'y avait point de roi à Venise, il fit un si grand éclat de rire qu'une toux le prit, et qu'il eut beaucoup de peine à parler à ses courtisans. Quel est le législateur qui pourrait proposer le gouvernement populaire à des peuples pareils?

(1) Ils conpaient la langue aux avocats, et disaient: « l'ipère cesse de siffler. (Tacite.)-(2) Agathias, liv. IV. (3) Justin, liv. XXXVIII. (4) Calumnias litium, (Ibid.) — (5) Prompti aditus, obvia omitas, ignoto Parthis virtutes, nova vitia. (Tacite, Ann. liv. II. ) — (6) Il en fait la description en 1596. (Recueil des voyages qui ont servià l'établissement de la compagnie des Indes, tome 111, part. 1, p. 33. )

CHAPITRE III.

De la tyrannie.

IL y a deux sortes de tyrannie : une réelle, qui consiste dans la violence du gouvernement; et une d'opinion, qui se fait sentir lorsque ceux qui gouvernent établissent des choses qui choquent la manière de penser d'une nation.

Dion dit qu'Auguste voulut se faire appeler Romulus; mais qu'ayant appris que le peuple craignait qu'il ne voulût se faire roi, il changea de dessein. Les premiers Romains ne voulaient point de roi, parce qu'ils n'en pouvaient souffrir la puissance; les Romains d'alors ne voulaient point de roi, pour n'en point souffrir les manières: car, quoique César, les triumvirs, Auguste, fussent de véritables rois, ils avaient gardé tout l'extérieur de l'égalité, et leur vie privée contenait une espèce d'opposition avec le faste des rois d'alors; et quand ils ne voulaient point de roi, cela signifiait qu'ils voulaient garder leurs manières, et ne pas prendre celles des peuples d'Afrique et d'Orient. Dion (1) nous dit que le peuple romain était indigné contre Auguste, à cause de certaines lois trop dures qu'il avait faites; mais que, sitôt qu'il eut fait revenir le comédien Pylade, que les factions avaient chassé de la ville, le mécontentement cessa. Un peuple pareil sentait plus vivement la tyrannie lorsqu'on chassait un baladin que lorsqu'on lui ôtait toutes ses lois.

CHAPITRE IV.

Ce que c'est que l'esprit général.

PLUSIEURS choses gouvernent les hommes : le climat, la religion, les lois, les maximes du gouvernement, les exemples des choses passées, les mœurs, les manières ; d'où il se forme un esprit général qui en résulte.

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A mesure que dans chaque nation une de ces causes agit avec plus de force, les autres lui cèdent d'autant. La nature et le climat dominent presque seuls sur les sauvages; les manières gouvernent les Chinois; les lois tyrannisent le Japon; les mœurs donnaient autrefois le ton dans Lacédémone; les maximes du gouvernement et les mœurs anciennes le donnaient dans Rome.

CHAPITRE V.

Combien il faut être attentif à ne point changer l'esprit général

d'une nation.

S'IL y avait dans le monde une nation qui eût une humeur sociable, une ouverture de cœur, une joie dans la vie, un goût, (1) Liv. LIV, p. 532,

une facilité à communiquer ses pensées ; qui fût vive, agréable, enjouée, quelquefois imprudente, souvent indiscrète et qui eût avec cela du courage, de la générosité, de la franchise, un certain point d'honneur, il ne faudrait point chercher à gêner, par des lois, ses manières, pour ne point gêner ses vertus. Si en général le caractère est bon, qu'importe de quelques défauts qui s'y trouvent?

On y pourrait contenir les femmes, faire des lois pour corriger leurs mœurs, et borner leur luxe : mais, qui sait si on n'y perdrait pas un certain goût qui serait la source des richesses de la nation, et une politesse qui attire chez elle les étrangers?

C'est au législateur à suivre l'esprit de la nation lorsqu'il n'est pas contraire aux principes du gouvernement; car, nous ne faisons rien de mieux que ce que nous faisons librement, et en suivant notre génie naturel.

Qu'on donne un esprit de pédanterie à une nation naturellement gaie, l'état n'y gagnera rien, ni pour le dedans, ni pour le dehors. Laissez-lui faire les choses frivoles sérieusement, et gaiement les choses sérieuses.

CHAPITRE VI.

Qu'il ne faut pas tout corriger.

Qu'on nous laisse comme nous sommes, disait un gentilhomme d'une nation qui ressemble beaucoup à celle dont nous venons de donner une idée. La nature répare tout. Elle nous a donné une vivacité capable d'offenser, et propre à nous faire manquer à tous les égards: cette même vivacité est corrigée par la politesse qu'elle nous procure, en nous inspirant du goût pour le monde, et surtout pour le commerce des femmes.

Qu'on nous laisse tels que nous sommes. Nos qualités indiscrètes, jointes à notre peu de malice, font que les lois qui gêneraient l'humeur sociable parmi nous ne seraient point convenables.

CHAPITRE VII.

Des Athéniens et des Lacédémoniens.

LES Athéniens, continuait ce gentilhomme, étaient un peuple qui avait quelque rapport avec le nôtre. Il mettait de la gaieté dans les affaires; un trait de raillerie lui plaisait sur la tribune, comme sur le théâtre. Cette vivacité qu'il mettait dans les conseils, il la portait dans l'exécution. Le caractère des Lacédémoniens était grave, sérieux, sec, taciturne. On n'aurait pas plus tiré parti d'un Athénien en l'ennuyant, que d'un Lacédémonien en le divertissant.

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