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Ces coutumes émanent moins directement du dogme de l'immortalité de l'âme que de celui de la résurrection des corps ; d'où l'on a tiré cette conséquence, qu'après la mort, un même individu aurait les mêmes besoins, les mêmes sentimens, les mêmes passions. Dans ce. point de vue, le dogme de l'immortalité de l'âme affecte prodigieusement les hommes, parce que l'idée d'un simple changement de demeure est plus à la portée de notre esprit, et flatte plus notre cœur que l'idée d'une modification nouvelle.

Ce n'est pas assez pour une religion d'établir un dogme; il faut encore qu'elle le dirige. C'est ce qu'a fait admirablement bien la religion chrétienne à l'égard des dogmes dont nous parlons: elle nous fait espérer un état que nous croyions, non pas. un état que nous sentions ou que nous connaissions tout jusqu'à la résurrection des corps, nous mène à des idées spirituelles.

CHAPITRE XX.

Continuation du même sujet.

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LES livres sacrés des anciens Perses disaient (1): « Si vous vou» lez être saint, instruisez vos enfans, parce que toutes les bonnes » actions qu'ils feront, vous seront imputées. » Ils conseillaient de se marier de bonne heure, parce que les enfans seraient comme un pont au jour du jugement, et que ceux qui n'auraient point d'enfans ne pourraient pas passer. Ces dogmes étaient faux, mais ils étaient très-utiles..

CHAPITRE XXI.

De la métempsycose.

LE dogme de l'immortalité de l'âme se divise en trois branches : celui de l'immortalité pure, celui du simple changement de demeure, celui de la métempsycose; c'est-à-dire, le système des Chrétiens, le système des Scythes, le système des Indiens. Je viens de parler des deux premiers ; et je dirai du troisième que, comme il a été bien et mal dirigé, il a aux Indes de bons et de mauvais effets. Comme il donne aux hommes une certaine horreur pour verser le sang, il y a aux Indes très-peu de meurtres; et, quoiqu'on n'y punisse guère de mort, tout le monde y est tranquille.

D'un autre côté, les femmes s'y brûlent à la mort de leurs maris il n'y a que les innocens qui y souffrent une mort violente.

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(1) M. Hyde.

CHAPITRE XXII.

Combien il est dangereux que la religion inspire de l'horreur pour des choses indifférentes.

UN certain honneur que des préjugés de religion établissent aux Indes fait que les diverses castes ont horreur les unes des autres. Cet honneur est uniquement fondé sur la religion; ces distinctions de famille ne forment pas des distinctions civiles : il y a tel Indien qui se croirait déshonoré s'il mangeait avec son roi.

Ces sortes de distinctions sont liées à une certaine aversion pour les autres hommes, bien différente des sentimens que doivent faire naître les différences des rangs, qui, parmi nous, contiennent l'amour pour les inférieurs.

Les lois de la religion éviteront d'inspirer d'autre mépris que celui du vice, et surtout d'éloigner les hommes de l'amour et de la pitié pour les hommes.

La religion mahométane et la religion indienne ont dans leur sein un nombre infini de peuples: les Indiens haissent les Mahométans, parce qu'ils mangent de la vache; les Mahométans détestent les Indiens, parce qu'ils mangent du cochon.

CHAPITRE XXIII.

Des fétes.

QUAND une religion ordonne la cessation du travail, elle doit avoir égard aux besoins des hommes plus qu'à la grandeur de l'être qu'elle honore.

C'était à Athènes (1) un grand inconvénient que le trop grand nombre de fêtes. Chez ce peuple dominateur, devant qui toutes les villes de la Grèce venaient porter leurs différens, on ne pouvait suffire aux affaires.

Lorsque Constantin établit que l'on chômerait le dimanche, il fit cette ordonnance pour les villes (2), et non pour les peuples de la campagne : il sentait que dans les villes étaient les travaux utiles, et dans les campagnes les travaux nécessaires.

Par la même raison, dans les pays qui se maintiennent par le commerce, le nombre des fêtes doit être relatif à ce commerce même. Les pays protestans et les pays catholiques sont situés (3) de manière que l'on a plus besoin de travail dans les premiers que dans les seconds: la suppression des fêtes convenait donc plus aux pays protestans qu'aux pays catholiques.

(1) Xénophon, de la république d'Athènes. (2) Leg. III, cod. de feriis. Cette loi n'était faite sans doute que pour les paiens.— (3) Les catholiques sont plus vers le midi, et les protestans vers le nord.

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Dampierre (1) remarque que les divertissemens des peuples varient beaucoup selon les climats. Comme les climats chauds produisent quantité de fruits délicats, les barbares, qui trouvent d'abord le nécessaire, emploient plus de temps à se divertir. Les Indiens des pays froids n'ont pas tant de loisir; il faut qu'ils pêchent et chassent continuellement : il y a donc chez eux moins de danses, de musique et de festins; et une religion qui s'établirait chez ces peuples devrait avoir égard à cela dans l'institution des fêtes.

CHAPITRE XXIV.

Des lois de religion locales.

Il y a beaucoup de lois locales dans les diverses religions. Et quand Montésuma s'obstinait tant à dire que la religion des Espagnols était bonne pour leur pays, et celle du Mexique pour le sien, il ne disait pas une absurdité, parce qu'en effet les législateurs n'ont pu s'empêcher d'avoir égard à ce que la nature avait établi avant eux.

L'opinion de la métempsycose est faite pour le climat des Indes. L'excessive chaleur brûle (2) toutes les campagnes; on n'y peut nourrir que très-peu de bétail; on est toujours en danger d'en manquer pour le labourage; les bœufs ne s'y multiplient (3) que médiocrement; ils sont sujets à beaucoup de maladies: une loi de religion qui les conserve est donc très-convenable à la police du pays.

Pendant que les prairies sont brûlées, le riz et les légumes y croissent heureusement par les eaux qu'on y peut employer: une loi de religion qui ne permet que cette nourriture, est donc trèsutile aux hommes dans ces climats.

La chair (4) des bestiaux n'y a pas de goût; et le lait et le beurre qu'ils en tirent fait une partie de leur subsistance: la loi qui défend de manger et de tuer des vaches n'est donc pas dé

raisonnable aux Indes.

Athènes avait dans son sein une multitude innombrable de peuple; son territoire était stérile ce fut une maxime religieuse, que ceux qui offraient aux dieux de certains petits présens les honoraient (5) plus que ceux qui immolaient des bœufs.

(1) Nouveaux Voyages autour du monde, tome II. (2) Voyage de Bernier, tome II, page 137. - (3) Lettres édifiantes, douzième recueil, p. 95.-(4) Voyage de Bernier, tome II, p. 137. — (5) Euripide, dans Athénée, liv. II, p. 40.

CHAPITRE XXV.

Inconvénient du transport d'une religion d'un pays à un autre.

IL suit de là qu'il y a très-souvent beaucoup d'inconvéniens à transporter une religion (1) d'un pays dans un autre.

« Le cochon, dit (2) M. de Boulainvilliers, doit être très-rare » en Arabie, où il n'y a presque point de bois, et presque rien >> de propre à la nourriture de ces animaux; d'ailleurs la salure » des eaux et des alimens rend le peuple très-susceptible des maladies de la peau. » La loi locale qui le défend ne saurait être bonne pour d'autres (3) pays, où le cochon est une nourriture presque universelle, et en quelque façon nécessaire.

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Je ferai ici une réflexion. Sanctorius a observé que la chair de cochon que l'on mange se transpire (4) peu, et que même cette nourriture empêche beaucoup la transpiration des autres alimens: il a trouvé que la diminution allait à un tiers. On sait d'ailleurs que le défaut de transpiration forme ou aigrit les maladies de la peau : la nourriture du cochon doit donc être défendue dans les climats où l'on est sujet à ces maladies, comme celui de la Palestine, de l'Arabie, de l'Egypte et de la Libye. CHAPITRE XXVI.

Continuation du même sujet.

M. CHARDIN (5) dit qu'il n'y a point de fleuve navigable en Perse, si ce n'est le fleuve Kur, qui est aux extrémités de l'empire. L'ancienne loi des Guèbres, qui défendait de naviguer sur les fleuves, n'avait donc aucun inconvénient dans leur pays; mais elle aurait ruiné le commerce dans un autre.

Les continuelles lotions sont très en usage dans les climats chauds cela fait que la loi mahométane et la religion indienne. les ordonnent. C'est un acte très-méritoire aux Indes de prier (6) Dieu dans l'eau courante; mais comment exécuter ces choses dans d'autres climats?

Lorsque la religion, fondée sur le climat, a trop choqué le climat d'un autre pays, elle n'a pu s'y établir; et quand on l'y a introduite, elle en a été chassée. Il semble, humainement parlant, que ce soit le climat qui a prescrit des bornes à la religion chrétienne et à la religion mahométane.

Il suit de là qu'il est presque toujours convenable qu'une re

(1) On ne parle point ici de la religion chrétienne, parce que, comme on a dit au liv. XXIV, ch. 1, à la fin, la religion chrétienne est le premier bien. (2) Vie de Mahomet. (3) Comme à la Chine. (4) Médecine statique, sect. III, aphor. 23.—(5) Voyage de Perse, tome II. (6) Voyage de Bernier, tome II.

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ligion ait des dogmes particuliers et un culte général. Dans les lois qui concernent les pratiques de culte, il faut peu de détails; par exemple, des mortifications, et non pas une certaine mortification. Le christianisme est plein de bon sens : l'abstinence est de droit divin; mais une abstinence particulière est de droit de police, et on peut la changer.

LIVRE XXV.

DES LOIS, DANS LE RAPPORT QU'ELLES ONT AVEC L'ÉTABLISSEMENT DE LA RELIGION DE CHAQUE PAYS ET SA POLICE EXTÉRIEURE.

CHAPITRE PREMIER.

Du sentiment pour la religion.

L'HOMME pieux et l'athée parlent toujours de religion; l'un

parle de ce qu'il aime, et l'autre de ce qu'il craint.

CHAPITRE II.

Du motif d'attachement pour les diverses religions.

LES diverses religions du monde ne donnent pas à ceux qui les professent des motifs égaux d'attachement pour elles: cela dépend beaucoup de la manière dont elles se concilient avec la façon de penser et de sentir des hommes.

Nous sommes extrêmement portés à l'idolâtrie, et cependant nous ne sommes pas fort attachés aux religions idolâtres; nous ne sommes guère portés aux idées spirituelles, et cependant nous sommes très-attachés aux religions qui nous font adorer un être spirituel. C'est un sentiment heureux qui vient en partie de la satisfaction que nous trouvons en nous-mêmes d'avoir été assez intelligens pour avoir choisi une religion qui tire la Divinité de l'humiliation où les autres l'avaient mise. Nous regardons l'idolâtrie comme la religion des peuples grossiers; et la religion qui a pour objet un être spirituel, comme celle des peuples éclairés. Quand, avec l'idée d'un être spirituel suprême qui forme le dogme, nous pouvons joindre encore des idées sensibles qui entrent dans le culte, cela nous donne un grand attachement pour la religion, parce que les motifs dont nous venons de parler se trouvent joints à notre penchant naturel pour les choses sensibles. Aussi les catholiques, qui ont plus de cette sorte de culte que les protestans, sont-ils plus invinciblement attachés à

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