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tiques et civiles; ils l'accusèrent d'avoir fait mourir quelquesuns de ses sujets, d'avoir eu plusieurs femmes, etc. Et le comble" de la stupidité fut qu'ils ne le condamnèrent pas par les lois politiques et civiles de son pays, mais par les lois politiques et civiles du leur.

CHAPITRE XXIII.

Que, lorsque, par quelque circonstance, la loi politique détruit l'état, il faut décider par la loi politique qui le conserve, qui devient quelquefois un droit des gens.

QUAND la loi politique qui a établi dans l'état un certain ordre de succession devient destructrice du corps politique pour lequel elle a été faite, il ne faut pas douter qu'une autre loi politique ne puisse changer cet ordre; et, bien loin que cette même loi soit opposée à la première, elle y sera dans le fond entièrement conforme, puisqu'elles dépendront toutes deux de ce principe: LE SALUT DU PEUPLE EST LA SUPRÊME LOI.

J'ai dit qu'un grand état (1) devenu accessoire d'un autre s'affaiblissait, et même affaiblissait le principal. On sait que l'état a intérêt d'avoir son chef chez lui, que les revenus publics soient bien administrés, que sa monnaie ne sorte point pour enrichir un autre pays. Il est important que celui qui doit gouverner ne soitpoint imbu de maximes étrangères; elles conviennent moins que celles qui sont déjà établies: d'ailleurs, les hommes tiennent prodigieusement à leurs lois et à leurs coutumes; elles font la félicité de chaque n'ation; il est rare qu'on les change sans de grandes secousses et une grande effusion de sang, comme les histoires de tous les pays le font voir.

Il suit de là que, si un grand état a pour héritier le possesseur d'un grand état, le premier peut fort bien l'exclure, parce qu'il est utile à tous les deux états que l'ordre de la succession soit changé. Ainsi la loi de Russie, faite au commencement du règne d'Elisabeth, exclut-elle très-prudemment tout héritier qui posséderait une autre monarchie; ainsi la loi de Portugal rejette-t-elle tout étranger qui serait appelé à la couronne par le droit du sang.

Que si une nation peut exclure, elle a à plus forte raison le droit de faire renoncer. Si elle craint qu'un certain mariage n'ait des suites qui puissent lui faire perdre son indépendance ou la jeter dans un partage, elle pourra fort bien faire renoncer les contractans et ceux qui naîtront d'eux à tous les droits qu'ils

(1) Voyez ci-dessus, liv. V, chap. xiv; liv. VIII, chap. XVI, XVII, XVIII, XIX et xx; liv. IX, chap. IV, V, vi et vii; et liv. X, chap. ix el x.

auraient sur elle; et celui qui renonce, et ceux contre qui on renonce, pourront d'autant moins se plaindre, que l'état aurait pu faire une loi pour les exclure.

CHAPITRE XXIV.

Que les règlemens de police sont d'un autre ordre que les autres

lois civiles.

Il y a des criminels que le magistrat punit, il y en a d'autres IL qu'il corrige les premiers sont soumis à la puissance de la loi, les autres à son autorité; ceux-là sont retranchés de la société, on oblige ceux-ci de vivre selon les règles de la société.

:

Dans l'exercice de la police, c'est plutôt le magistrat qui punit que la loi dans les jugemens des crimes, c'est plutôt la loi qui punit que le magistrat. Les matières de police sont des choses de chaque instant, et où il ne s'agit ordinairement que de peu : il ne faut donc guère de formalités. Les actions de la police sont promptes, et elle s'exerce sur des choses qui reviennent tous les jours les grandes punitions n'y sont donc pas propres. Elle s'occupe perpétuellement de détails: les grands exemples ne sont donc point faits pour elle. Elle a plutôt des règlemens que des lois. Les gens qui relèvent d'elle sont sans cesse sous les yeux du magistrat; c'est donc la faute du magistrat s'ils tombent dans des excès. Ainsi il ne faut pas confondre les grandes violations des lois avec la violation de la simple police: ces choses sont d'un ordre différent.

De là il suit qu'on ne s'est point conformé à la nature des choses dans cette république d'Italie (1) où le port des armes à feu est puni comme un crime capital, et où il n'est pas plus fatal d'en faire un mauvais usage que de les porter.

Il suit encore que l'action tant louée de cet empereur qui fit empaler un boulanger qu'il avait surpris en fraude est une action de sultan, qui ne sait être juste qu'en outrant la justice même.

CHAPITRE XXV.

Qu'il ne faut pas suivre les dispositions générales du droit civil, lorsqu'il s'agit de choses qui doivent être soumises à des règles particulières tirées de leur propre nature.

EST-CE une bonne loi, que toutes les obligations civiles passées dans le cours d'un voyage entre les matelots dans un navire soient nulles? François Pirard nous dit (2) que de son temps elle n'était point observée par les Portugais, mais qu'elle l'était par les Français. Des gens qui ne sont ensemble que pour peu de temps; (1) Venise. (2) Chap. XIV, part. 12.

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qui n'ont aucuns besoins, puisque le prince y pourvoit; qui ne peuvent avoir qu'un objet, qui est celui de leur voyage; qui ne sont plus dans la société, mais citoyens du navire, ne doivent point contracter de ces obligations, qui n'ont été introduites pour soutenir les charges de la société civile.

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C'est dans ce même esprit que la loi des Rhodiens, faite pour un temps où l'on suivait toujours les côtes, voulait que ceux qui pendant la tempête restaient dans le vaisseau eussent le navire et la charge, et que ceux qui l'avaient quitté n'eussent rien.

LIVRE XXVII.

CHAPITRE UNIQUE.

De l'origine et des révolutions des lois des Romains sur les successions.

CETTE matière tient à des établissemens d'une antiquité trèsreculée; et, pour la pénétrer à fond, qu'il me soit permis de chercher dans les premières lois des Romains ce que je ne sache pas que l'on y ait vu jusqu'ici.

On sait que Romulus partagea les terres de son petit état à ses citoyens (1); il me semble que c'est de là que dérivent les lois de Rome sur les successions.

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La loi de la division des terres demanda que les biens d'une famille ne passassent pas dans une autre : de là il suivit qu'il n'y que deux ordres d'héritiers établis par la loi (2); les enfans et tous les descendans qui vivaient sous la puissance du père, qu'on appela héritiers-siens; et, à leur défaut, les plus proches parens par måles, qu'on appela agnats.

Il suivit encore que les parens par femmes, qu'on appela cognats, ne devaient point succéder; ils auraient transporté les biens dans une autre famille et cela fut ainsi établi.

Il suivit encore de là que les enfans ne devaient point succéder à leur mère, ni la mère à ses enfans; cela aurait porté les biens d'une famille dans une autre. Aussi les voit-on exclus dans la loi des douze tables (3); elle n'appelait à la succession que les agnats, et le fils et la mère ne l'étaient pas entre eux.

(1) Denys d'Halicarnasse, liv. II, chap. III. Plutarque, dans sa comparaison de Numa et de Lycurgue. · (2) Ast si intestatus moritur,, cui suus hæres nec extabit, agnatus proximus familiam habeto. (Fragm. de la loi des douze tables, dans Ulpien, titre dernier.)-(3) Voyez les fragm. d'Ulpien, §. 8, tit. XXVI; Instit. tit. III, in præmio ad sen. cons. Ter

tullianum,

Mais il était indifférent que l'héritier-sien, ou, à son défaut, le plus proche agnat, fût mâle lui-même ou femelle, parce que les parens du côté maternel ne succédant point, quoiqu'une femme héritière se mariât, les biens rentraient toujours dans la famille dont ils étaient sortis. C'est pour cela que l'on ne distinguait point dans la loi des douze tables si la personne qui succédait était mâle ou femelle (1).

Cela fit que, quoique les petits-enfans par le fils succédassent au grand-père, les petits-enfans par la fille ne lui succédèrent point: car, pour que les biens ne passassent pas dans une autre famille, les agnats leur étaient préférés. Ainsi la fille succéda à son père, et non pas ses enfans (2).

Ainsi, chez les premiers Romains, les femmes succédaient, lorsque cela s'accordait avec la loi de la division des terres; et elles ne succédaient point, lorsque cela pouvait la choquer.

Telles furent les lois des successions chez les premiers Romains; et, comme elles étaient une dépendance naturelle de la constitution, et qu'elles dérivaient du partage des terres, on voit bien qu'elles n'eurent pas une origine étrangère, et ne furent point du nombre de celles que rapportèrent les députés que l'on envoya dans les villes grecques.

Denys d'Halicarnasse (3) nous dit que Servius Tullius trouvant les lois de Romulus et de Numa sur le partage des terres abolies, il les rétablit, et en fit de nouvelles pour donner aux anciennes un nouveau poids. Ainsi on ne peut douter que les lois dont nous venons de parler, faites en conséquence de ce partage, ne soient l'ouvrage de ces trois législateurs de Rome.

L'ordre de succession ayant été établi en conséquence d'une loi politique, un citoyen ne devait pas le troubler par une volonté particulière; c'est-à-dire que, dans les premiers temps de Rome, il ne devait pas être permis de faire un testament. Cependant il eût été dur qu'on eût été privé, dans ses derniers momens, du commerce des bienfaits.

On trouva un moyen de concilier, à cet égard, les lois avec la volonté des particuliers. Il fut permis de disposer de ses biens dans une assemblée du peuple; et chaque testament fut, en quelque façon, un acte de la puissance législative.

La loi des douze tables permit à celui qui faisait son testament de choisir pour son héritier le citoyen qu'il voulait. La raison qui fit que les lois romaines restreignirent si fort le nombre de ceux qui pouvaient succéder ab intestat, fut la loi du partage des terres ; et la raison pourquoi elles étendirent si fort la faculté de

(1) Paul, liv. IV, de Sentent. tit. VIII, §. 3. tit. I, §. 15.- (3) Liv. IV, p. 276.

1

(2) Instit. liv. III,

tester, fut que le père pouvant vendre ses enfans (1), il pouvait à plus forte raison les priver de ses biens. C'étaient donc des effets différens, puisqu'ils coulaient de principes divers; et c'est l'esprit des lois romaines à cet égard.

:

Les anciennes lois d'Athènes ne permirent point au citoyen de faire de testament. Solon le permit (2), excepté à ceux qui avaient des enfans et les législateurs de Rome, pénétrés de l'idée de la puissance paternelle, permirent de tester, au préjudice même des enfans. Il faut avouer que les anciennes lois d'Athènes furent plus conséquentes que les lois de Rome. La permission indéfinie de tester, accordée chez les Romains, ruina peu à peu la disposition politique sur le partage des terres; elle introduisit, plus que toute autre chose, la funeste différence entre les richesses et la pauvreté ; plusieurs partages furent assemblés sur une même tête ; des citoyens eurent trop, une infinité d'autres n'eurent rien. Aussi le peuple, continuellement privé de son partage, demandat-il sans cesse une nouvelle distribution des terres. Il la demanda dans le temps où la frugalité, la parcimonie et la pauvreté, faisaient le caractère distinctif des Romains, comme dans les temps où leur luxe fut porté à l'excès.

Les testamens étant proprement une loi faite dans l'assemblée du peuple, ceux qui étaient à l'armée se trouvaient privés de la faculté de tester. Le peuple donna aux soldats le pouvoir de faire (3) devant quelques-uns de leurs compagnons les dispositions qu'ils auraient faites devant lui (4).

Les grandes assemblées du peuple ne se faisaient que deux fois l'an; d'ailleurs le peuple s'était augmenté, et les affaires aussi : on jugea qu'il convenait de permettre à tous les citoyens de faire leur testament devant quelques citoyens romains pubères (5) qui représentassent le corps du peuple: on prit cinq citoyens (6), devant lesquels l'héritier achetait du testateur sa famille, c'est-àdire son hérédité (7); un autre citoyen portait une balance pour en peser le prix, car les Romains n'avaient point encore de monnaie (8). (1) Denys d'Halicarnasse prouve, par une loi de Numa, que la loi qui permettait au père de vendre son fils trois fois, était une loi de Romulus, non pas des décemvirs, liv. II. (2) Voyez Plutarque, Vie de Solon. -(3) Ce testament, appelé in procinctu, était différent de celui que l'on appela militaire, qui ne fut établi que par les constitutions des empereurs, Leg. I, ff. de militari testamento: ce fut une de leurs cajoleries envers les soldats. (4) Ce testament n'était point écrit, et était sans formalités, sine libra et tabulis, comme dit Cicéron, liv. I, de l'Orateur. — (5) Inst. liv. II, tit. X, §. 1; Aulu-Gelle, liv. XV, chap. xxvI. Oa appela cette sorte de testament, per æs et libram. (6) Ulpien, tit. X §. 2. - - (7) Théophile, Inst. liv. II, tit. X. (8) Ils n'en eurent qu'au temps de la guerre de Pyrrhus. Tite-Live, parlant du siége de Veïes, dit: Nondùm argentum signatum erat. (Lib. IV.)

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