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N'oublions pas que ces hypothèses ont pour objet de réfuter les manichéens, qui attribuaient l'ignorance, le penchant au mal et toutes les misères, à l'union de l'âme avec le corps, qu'ils prétendaient mauvais. Si donc saint Augustin ne le supposait point vicié, les hypothèses auraient peu de rapport avec la ques

tion.

Ensuite ce qui montre combien il s'éloigne de la pure nature, c'est qu'il propose à l'âme la vie heureuse, la jouissance de l'éternité. Comme l'observe Jansénius, il s'agit de l'état actuel.

Quand l'âme qui, avant tout péché et avant sa vie présente, est dès l'origine dans l'ignorance et la concupiscence, il faut songer à la première hypothèse, où, tirée de celle d'Adam, comme le corps du sien, elle se trouve coupable à son origine, à la génération de l'âme. Dans la seconde hypothèse, l'âme n'est point coupable à son origine, à la génération du corps, et néanmoins se trouve ignorante et faible par son union avec lui 1.

Les purnaturistes prétendent trouver aussi leur doctrine dans saint Thomas 2. Elle doit y être, en effet, s'il est conséquent à ses principes philosophiques,

1. Voir les autres passages de saint Augustin objectés et les réponses de l'Anti-Tournely, t. I, p. 455. Voir Bellelli, t. I, p. 354 et suivantes.

2. In II sent. dist. 34, quæst. 1, art. 2, ad 3.—De Malo, quæst. 4,

art. 1.

comme il est impossible qu'elle soit dans saint Augustin, s'il est conséquent aux siens.

On oppose ce que saint Thomas dit dans le livre IV, ch. LII, du traité Contre les Gentils, que s'il y a une Providence, les misères de l'homme sont une peine du péché 1.

Mais il faut songer que Bellarmin, partisan si déclaré de la pure nature, en dit autant 2. C'est la vérité qui éclate à travers les erreurs.

Au reste, pour dire que tel auteur enseigne la possibilité de la pure nature, il suffit à Bellarmin qu'il admette la surnaturalité primitive, sans qu'il avoue qu'elle pouvait être refusée. Aussi range-t-il saint Thomas de son côté, et remarque que les purnaturistes saluent en lui leur chef.

Si par elle-même la nature humaine n'était capable que d'ignorance, d'impuissance, de misère, on ne voit pas pourquoi Dieu ne pourrait l'avoir créée en cet état. Or tous ceux qui l'élèvent surnaturellement à la science, à la force, au bonheur, affirment ou supposent qu'elle ne saurait de soi y parvenir. Tous dès lors professent le purnaturisme.

Faute de connaître parfaitement les rapports naturels de l'âme avec Dieu, et pour s'accorder avec la

4. Voir Tournely convaincu d'erreur, t. I, p. 484. Bellelli, t. I, p. 412.

2. De Amissione gratiæ et statu peccati, 1. VI, c. vII, p. 633.

condamnation de Baïus, Noris 4, Bellelli et Berti 2, introduisent un surnaturel qui, malgré les citations de saint Augustin que ce surnaturel était dû, n'empêcherait pas Bellarmin d'y voir la possibilité du purnaturisme. On ne comprend point, en effet, que Dieu, bien qu'ayant créé l'homme pour le posséder, s'il lui a refusé le moyen de le faire, ne puisse le laisser dans l'impossession. Bellarmin l'assimilera à la chauvesouris par rapport au soleil 3.

LE PURNATURISME ET SES ADVERSAIRES. LE VÉRITABLE ÉTAT DE PURE NATURE.

Ceux qui nient la possibilité de la pure nature, la combattent mal 4.

« Je ne parle point, dit Gennes, qui, après Jansénius, paraît être celui qui s'est appliqué contre elle avec le plus de soin, je ne parle point d'un homme en idée, tel que l'imagination peut le feindre, je parle de l'homme tel qu'il est en effet, avec les inclinations et les penchants que Dieu a imprimés dans le fond de son être, qui en sont inséparables par la volonté de son auteur, et qui se trouvent dans tous les hommes de tous les temps et de tous les lieux, c'est-à-dire d'un

1. P. 23 et 27.

2. P. 357.

3. De Gratià primi hominis, c. vii, p. 47.

4. Voir la Revue ecclésiastique, t. IX, p. 342.

homme formé à l'image de Dieu, qui par là est capable de le connaître et qui en porte l'idée gravée dans son âme; d'un homme qui a un désir invincible d'être heureux et qui ne tend à autre chose par toutes ses recherches et ses agitations; d'un homme enfin dont le cœur est si immense qu'il ne peut être pleinement heureux que par la possession d'un bien infini, éternel et immuable. C'est d'un tel homme que je soutiens qu'il n'a pu, sous un Dieu juste, être misérable, aveugle, enclin au mal avant sa désobéissance.

Cette remarque est nécessaire, parce qu'il y a des théologiens qui n'admettent la possibilité de l'état de pure nature qu'en supposant que l'homme serait fort différent de ce qu'il est en effet, que destiné à jouir avec modération des biens créés, il n'aurait que des désirs proportionnés à cette fin, et que par conséquent il ne sentirait point d'impression invincible vers le souverain bien. Or cette question purement métaphysique n'est point la nôtre... Il ne s'agit pas de savoir si Dieu pouvait lui prescrire une autre fin et lui donner d'autres inclinations que celles qu'il a maintenant 1. »

Toutefois, direz-vous, Dieu ne pouvait-il pas créer l'homme pour une fin purement naturelle, c'est-à-dire pour jouir avec modération et reconnaissance des biens créés et sensibles? De quel homme parlez-vous ici?

1. Troisième Lettre sur l'impossibilité de l'état de pure nature, pour la justification du R. P. de Gennes, 1722. P. 32 et 33.

Est-ce d'un homme chimérique que l'imagination se forme à plaisir, ou de l'homme tel qu'il est par sa nature? Que sais-je si Dieu pouvait mettre dans le cœur de l'homme des inclinations aussi bornées que les biens sensibles, ou lui donner un désir d'être heureux qui pût être pleinement satisfait par la possession des biens finis et créés? Je laisse une pareille question aux gens oisifs qui aiment à se perdre dans le pays des chimères 1. »

Quelle est donc la question que Gennes prétend traiter? Il nous l'a dit et il va le rappeler : « Il s'agit ici, poursuit-il, de l'homme tel qu'il est en effet, c'est-àdire d'un homme qui naît avec un désir invincible d'un bien éternel, infini, nécessaire, qui est Dieu même. La possession de ce bien est sa fin naturelle. Or, c'est d'un tel homme que j'assure qu'il n'a pu avoir pour terme de sa félicité la jouissance des biens créés et sensibles, parce qu'un Dieu sage n'a pu concevoir deux desseins aussi contradictoires que celui de faire un être capable de le posséder et celui de le destiner à une fin basse et

terrestre. >>

Non, sans doute. Aussi la question n'est pas si Dieu créant l'homme capable de le posséder, a pu le destiner à posséder autre chose que lui: le contraire est trop évident; mais s'il a pu le créer non capable de

1. Ibid., p. 140.

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