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de quelqu'un de nos amis ou de nos connaissances, et qui peuvent apporter pis; la crainte qu'on a des mauvaises nouvelles, et la curiosité qu'on a de les apprendre; la désolation de ceux qui sont outrés de douleur, et avec qui je passe une partie de ma vie; l'inconcevable état de ma tante, et l'envie que j'ai de vous voir, tout cela me déchire, et me tue, et me fait mener une vie si contraire à mon humeur et à mon tempérament, qu'en vérité il faut que j'aie une bonne santé pour y résister.

Vous n'avez jamais vu Paris comme il est; tout le monde pleure, ou craint de pleurer. L'esprit tourne à la pauvre Madame de Nogent. Madame de Longueville fait fendre le cœur, à ce qu'on dit; je ne l'ai point vue, mais voici ce que je sais. Mademoiselle de Vertus était retournée depuis deux jours à Port-Royal, où elle est quasi toujours: on est allé la quérir avec Monsieur Arnauld, pour dire cette terrible nouvelle. Mademoiselle de Vertus n'avait qu'à se montrer; ce retour si précipité marquait bien quelque chose de funeste; en effet, dès qu'elle parut: Ah, Mademoiselle! comment se porte Monsieur mon frère?' sa pensée n'osa aller plus loin. Madame, il se porte bien de sa blessure; il y a eu un combat. Et mon fils? on ne lui répondit rien. Ah! Mademoiselle! mon fils, mon cher enfant, répondez-moi, est-il mort? Madame, je n'ai point de parole pour vous répondre. Ah! mon cher fils, est-il mort sur le champ? n'a-t-il pas eu un seul moment? ah! mon Dieu, quel sacrifice! et là-dessus elle tombe sur son lit, et tout ce que la plus vive douleur peut faire, et par des convulsions, et par des évanouïssemens, et par un silence mortel, et par des cris étouffés, et par des larmes amères, et par des élans vers le ciel, et par des plaintes tendres et pitoyables, elle a tout éprouvé. Elle voit certaines gens, elle prend des bouillons, parce que Dieu le veut; elle n'a aucun repos; sa santé déjà très mauvaise est visible

1 Louis de Bourbon, Prince de Condé.

ment altérée: pour moi, je lui souhaite la mort, ne comprenant pas qu'elle puisse vivre après une telle perte.

A SA FILLE.

A Montelimar, Jeudi 5 Octobre 1673. Voici un terrible jour, ma chère enfant, je vous avoue que je n'en puis plus. Je vous ai quittée dans un état qui augmente ma douleur. Je songe à tous les pas que vous faites, et à tous ceux que je fais; et combien il s'en faut qu'en marchant toujours de cette sorte, nous puissions jamais nous rencontrer. Mon cœur est en repos, quand il est auprès de vous, c'est son état naturel, et le seul qui peut lui plaire. Ce qui s'est passé ce matin, me donne une douleur sensible, et me fait un déchirement dont votre philosophie sait les raisons. Je les ai senties, et les sentirai long-temps. J'ai le cœur et l'imagination tout remplis de vous, je n'y puis penser sans pleurer, et j'y pense toujours; de sorte que l'état où je suis, n'est pas une chose soutenable; comme il est extrême, j'espère qu'il ne durera pas dans cette violence. Je vous cherche toujours, et je trouve que tout me manque, parce que vous me manquez. Mes yeux qui vous ont tant rencontrée depuis quatorze mois, ne vous trouvent plus. Le temps agréable qui est passé, rend celui-ci douloureux, jusqu'à ce que j'y sois un peu accoûtumée: mais ce ne sera jamais assez pour ne pas souhaiter ardemment de vous revoir et de vous embrasser. Je ne dois pas espérer mieux de l'avenir que du passé; je sais ce que votre absence m'a fait souffrir; je serai encore plus à plaindre, parce que je me suis fait imprudemment une habitude nécessaire de vous voir. Il me semble que je ne vous ai point assez embrassée en partant, qu'avais-je à ménager? je ne vous ai point assez dit combien je suis contente de votre tendresse; je ne vous ai point assez recommandée à Monsieur de Grignan; je ne l'ai point assez remercié de toutes ses politesses et de toute l'amitié qu'il a pour moi; j'en attendrai les

effets sur tous les chapitres; il y en a, où il a plus d'intérêt que moi, quoique j'en sois plus touchée que lui. Je suis déjà dévorée de curiosité; je n'espère de consolation que de vos lettres, qui me feront encore bien soupirer. En un mot, ma fille, je ne vis que pour vous: Dieu me fasse la grâce de l'aimer quelque jour, comme je vous aime. Je songe aux Pichons, je suis toute pétrie des Grignans, je tiens par-tout. Jamais voyage n'a été si triste que le nôtre, nous ne disions pas un mot. Adieu, ma chère enfant, plaignez-moi de vous avoir quittée; hélas! nous revoilà dans les lettres. Assurez Monsieur l'Archevêque de mon respect très tendre, et embrassez le Coadjuteur, je vous recommande à lui. Nous avons encore dîné à vos dépens. Voilà Monsieur de Saint-Géniez qui vient me consoler.

A SA FILLE.

le faire, quoique mes lettres ne partent pas; mais le plaisir d'écrire est uniquement pour vous; car à tout le reste du monde on voudrait avoir écrit, et c'est parce qu'on le doit. Vraiment, ma fille, je m'en vais bien vous parler encore de M. de Turenne. Madame d'Elbeuf, qui demeure pour quelques jours chez le Cardinal de Bouillon, me pria hier de diner avec eux, afin de parler de leur affliction; Madame de la Fayette y était; nous fîmes bien précisément ce que nous avions résolu, les yeux de nous ne séchèrent pas. Madame l'Elbeuf avait un portrait divinement bien fait de ce Héros, dont tout le train était arrivé à onze heures; ces pauvres gens, déjà tout habillés de deuil, ne faisaient que pleurer; il vint trois Gentilshommes qui pensèrent mourir de voir ce portrait; c'étaient des cris qui faisaient fendre le cœur; ils en pouvaient prononcer une parole; ses valets de chambre, ses laquais, ses A Paris, Lundi 5 Février 1674, pages, ses trompettes, tout était fondu L'Archevêque de Rheims revenait en larmes, et faisait fondre les autres. hier fort vite de S. Germain, c'était Le premier qui fut en état de parler, comme un tourbillon: il croit être bien répondit à nos tristes questions: nous grand Seigneur, mais ses gens le croient nous fîmes raconter sa mort. Il vouencore plus que lui. Ils passaient au lait se confesser, et en se cachotant il travers de Nanterre, tra, tra, tra; ils avait donné les ordres pour le soir, et rencontrent un homme à cheval, gare, devait communier le lendemain Digare; ce pauvre homme se veut ranger, manche, qui était le jour qu'il croyait son cheval ne veut pas, et enfin, le donner la bataille. Il monta à cheval carrosse et les six chevaux renversent à deux heures le Samedi, après avoir cul par-dessus tête le pauvre homme mangé, et comme il avait bien des gens et le cheval, et passent par-dessus, et avec lui, il les laissa tous à trente pas si bien par-dessus, que le carrosse en de la hauteur où il voulait aller, et fut versé et renversé: en même temps dit au petit d'Elbeuf: „Mon neveu, l'homme et le cheval, au lieu de s'amu- demeurez-là; vous ne faites que tourser à être roués et estropiés, se relèvent ner autour de moi, vous me feriez remiraculeusement, remontent l'un sur connaître." M. d'Hamilton, qui se trouva l'autre, et s'enfuient et courent encore, près de l'endroit où il allait, lui dit: pendant que les laquais de l'Arche-,,Monsieur, venez par ici; on tirera du vêque, et le cocher, et l'Archevêque même, se mettent à crier, arrête, arrête ce coquin, qu'on lui donne cent coups!

A SA FILLE.

A Paris, Mercredi 28 Août 1675. Si l'on pouvait écrire tous les jours, je m'en accommoderais fort bien: je trouve même quelquefois le moyen de

côté où vous allez." ,,Monsieur, lui dit-il, vous avez raison; je ne veux point du tout être tué aujourd'hui; cela sera le mieux du monde." Il eut à peine tourné son cheval, qu'il aperçut S. Hilaire, qui lui dit le chapeau à la main: „Monsieur, jetez les yeux sur cette batterie que je viens de faire placer-là." M. de Turenne revint, et dans l'instant, sans être arrêté, il eut le bras

et le corps fracassés du même coup qui emporta le bras et la main qui tenait le chapeau de S. Hilaire. Ce Gentilhomme qui le regardait toujours, ne le voit point tomber; le cheval l'emporte où il avait laissé le petit d'Elbeuf; il était penché le nez sur l'arçon: dans ce moment le cheval s'arrête; le Héros tombe entre les bras de ses gens; il ouvre deux fois de grands yeux et la bouche, et demeure tranquille pour jamais. Songez qu'il était mort, et qu'il avait une partie du cœur emportée; on crie, on pleure; M. d'Hamilton fait cesser le bruit, et ôter le petit d'Elbeuf, qui était jeté sur ce corps, qui ne le voulait pas quitter, et qui se pâmait de crier. On couvre le corps d'un manteau, on le porte dans une haye, on le garde à petit bruit; un carrosse vient, on l'emporte dans sa tente; ce fut-là où M. de Lorge, M. de Roye, et beaucoup d'autres pensèrent mourir de douleur; mais il fallut se faire violence, et songer aux grandes affaires qu'on avait sur les bras. On lui a fait un service militaire dans le camp, où les larmes et les cris faisaient le véritable deuil: tous les Officiers pourtant avaient des écharpes de crêpe; tous les tambours en étaient couverts, ils ne battaient qu'un coup; les piques traînantes

et les mousquets renversés; mais ces cris de toute une armée ne se peuvent pas représenter, sans que l'on en soit ému. Ses deux neveux étaient à cette pompe dans l'état que vous pouvez penser; M. de Roye tout blessé s'y fit porter; car cette Messe ne fut dite que quand ils eurent repassé le Rhin. Je pense que le pauvre Chevalier (de Grignan) était bien abîmé de douleur. Quand ce corps a quitté son armée, ç'a été encore une désolation, et par-tout où il a passé, on n'entendait que des clameurs: mais à Langres ils se sont surpassés; ils allèrent au-devant de lui en habits de deuil, au nombre de plus de deux cens, suivis du peuple; tout le Clergé en cérémonie; il y eut un Service solennel dans la Ville; et en un moment ils se cotisèrent tous pour cette dépense, qui monta à cinq mille francs, parce qu'ils reconduisirent le corps jusqu'à la première Ville, et voulurent défrayer tout le train. Que dites-vous de ces marques naturelles d'une affection fondée sur un mérite extraordinaire? Il arrive à Saint Denis ce soir: tous ses gens l'allaient reprendre à deux lieues d'ici; il sera dans une Chapelle en dépôt; on lui fera un Service à Saint Denis, en attendant celui de NotreDame, qui sera solennel.

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Ils furent partagés en diverses classes pour servir tour à tour dans le temple, d'un jour de sabbat à l'autre. Les prêtres étaient de la famille d'Aaron; et il n'y avait que ceux de cette famille lesquels pussent exercer la sacrificature. Les lévites entre autres choses, du chant, de la préparation des victimes, et de la garde du temple. Ce nom de lévite ne laisse pas d'être donné quelquefois indifféremment à tous ceux de la tribu. Ceux qui étaient en semaine avaient, ainsi que le grand-prêtre, leur logement dans les portiques ou galeries dont le temple était environné, et qui faisaient partie du temple même. Tout l'édifice s'appelait en général le lieu saint: mais on appelait plus particulièrement de ce nom cette partie du temple intérieur où étaient le chandelier d'or, l'autel des parfums, et les tables des pains de proposition; et cette partie était encore distinguée du Saint des saints, où était l'arche, et où le grandprêtre seul avait droit d'entrer une fois l'année. C'était une tradition assez constante que la montagne sur laquelle le temple était bâti, était la même montagne où Abraham avait autrefois offert en sacrifice son fils Isaac.

J'ai cru devoir expliquer ici ces particularités, afin que ceux à qui l'histoire de l'Ancien Testament ne sera pas assez présente, n'en soient point arrêtés en lisant cette tragédie. Elle a pour sujet Joas reconnu et mis sur le trône: et j'aurais dû, dans les règles, l'intituler Joas; mais la plupart du monde n'en ayant entendu parler que sous le nom d'Athalie, je n'ai pas jugé à propos de la leur présenter sous un autre titre, puisque d'ailleurs Athalie y joue un personnage si considérable, et que c'est sa mort qui termine la pièce.

d'imiter son impiété et celle d'Athalie sa mère. Mais ce prince, après avoir régné seulement un an, étant allé rendre visite au roi d'Israël, frère d'Athalie, fut enveloppé dans la ruine de la maison d'Achab, et tué par l'ordre de Jéhu, que Dieu avait fait sacrer par ses prophètes pour régner sur Israël, et pour être le ministre de ses vengeances. Jéhu extermina toute la postérité d'Achab, et fit jeter par les fenêtres Jézabel, qui, selon la prédiction d'Élie, fut mangée des chiens dans la vigne de ce même Naboth qu'elle avait fait mourir autrefois pour s'emparer de son héritage. Athalie, ayant appris à Jérusalem tous ces massacres, entreprit de son côté d'éteindre entièrement la race royale de David, en faisant mourir tous les enfants d'Ochozias, ses petits-fils. Mais heureusement Josabeth, sœur d'Ochozias, et fille de Joram, mais d'une autre mère qu'Athalie, étant arrivée lorsqu'on égorgeait les princes ses neveux, trouva moyen de dérober du milieu des morts le petit Joas encore à la mamelle, et le confia avec sa nourrice au grand prêtre son mari, qui les cacha tous deux dans le temple, où l'enfant fut élevé secrètement jusqu'au jour qu'il fut proclamé roi de Juda. L'histoire des Rois dit que ce fut la septième année d'après. Mais le texte grec des Paralipomènes, que Sévère Sulpice a suivi, dit que ce fut la huitième. C'est ce qui m'a autorisé à donner à ce prince neuf à dix ans, pour le mettre déjà en état de répondre aux questions qu'on lui fait.

Je crois ne lui avoir rien fait dire qui soit au-dessus de la portée d'un enfant de cet âge qui a de l'esprit et de la mémoire. Mais, quand j'aurais été un peu au delà, il faut considérer que c'est ici un enfant tout extraordinaire, élevé dans le temple par un

Voici une partie des principaux évènements qui devancèrent cette grande ac-grand-prêtre, qui, le regardant comme l'unition.

Joram, roi de Juda, fils de Josaphat, et le septième roi de la race de David, épousa Athalie, fille d'Achab et de Jézabel, qui régnaient en Israël, fameux l'un et l'autre, mais principalement Jézabel, par leurs sanglantes persécutions contre les prophètes. Athalie, non moins impie que sa mère, entraîna bientôt le roi son mari dans l'idolâtrie, et fit même construire dans Jérusalem un temple à Baal, qui était le dieu du pays de Tyr et de Sidon, où Jézabel avait pris naissance. Joram, après avoir vu périr par la main des Arabes et des Philistins tous les princes ses enfants, à la réserve d'Ochozias, mourut lui-même misérablement d'une longue maladie qui lui consuma les entrailles. Sa mort funeste n'empêcha pas Ochozias

que espérance de sa nation, l'avait instruit de bonne heure dans tous les devoirs de la religion et de la royauté. Il n'en était pas de même des enfants des Juifs que de la plupart des nôtres: on leur apprenait les saintes lettres, non seulement dès qu'ils avaient atteint l'usage de la raison, mais, pour me servir de l'expression de saint Paul, dès la mamelle. Chaque Juif était obligé d'écrire une fois en sa vie de sa propre main le volume de la loi tout entier. Les rois étaient même obligés de l'écrire deux fois, et il leur était enjoint de l'avoir continuellement devant les yeux. Je puis dire ici que la France voit en la personne d'un prince de huit ans et demi, qui fait aujourd'hui ses plus chères délices, un exemple illustre de ce que peut dans un

enfant un heureux naturel aidé d'une ex-mère. Elle chante avec lui, porte la pacellente éducation; et que si j'avais donné role pour lui, et fait enfin les fonctions de au petit Joas la même vivacité et le même ce personnage des anciens chœurs qu'on discernement qui brillent dans les reparties appelait Coryphée. J'ai aussi essayé d'imiter de ce jeune prince, on m'aurait accusé avec des anciens cette continuité d'action qui fait raison d'avoir péché contre les règles de que leur théâtre ne demeure jamais vide, la vraisemblance. les intervalles des actes n'étant marqués que par des hymnes et par des moralités du chœur, qui ont rapport à ce qui se passe.

L'âge de Zacharie, fils du grand-prêtre, n'étant point marqué, on peut lui supposer, si l'on veut, deux ou trois ans de plus qu'à Joas.

J'ai suivi l'explication de plusieurs commentateurs fort habiles qui prouvent, par le texte même de l'Écriture, que tous ces soldats à qui Joïada, ou Joad, comme il est appelé dans Josèphe, fit prendre les armes consacrées à Dieu par David, étaient autant de prêtres et de lévites, aussi bien que les cinq centeniers qui les commandaient. En effet, disent ces interprètes, tout devait être saint dans une si sainte action, et aucun profane n'y devait être employé. Il s'y agissait non seulement de conserver le sceptre dans la maison de David, mais encore de conserver à ce grand roi cette suite de descendants dont devait naître le Messie. Car ce Messie, tant de fois promis comme fils d'Abraham, devait aussi être fils de David et de tous les rois de Juda." De là vient que l'illustre et savant prélat de qui j'ai emprunté ces paroles appelle Joas le précieux reste de la maison de David. Josèphe en parle dans les mêmes termes: et l'Ecriture dit expressément que Dieu n'extermina pas toute la famille de Joram, voulant conserver à David la lampe qu'il lui avait promise. Or cette lampe, qu'était-ce autre chose que la lumière qui devait être un jour révélée aux nations?

"

L'histoire ne spécifie point le jour où Joas fut proclamé. Quelques interprètes veulent que ce fût un jour de fête. J'ai choisi celle de la Pentecôte, qui était l'une des trois grandes fêtes des Juifs. On y célébrait la mémoire de la publication de la loi sur le mont de Sinaï, et on y offrait aussi à Dieu les premiers pains de la nouvelle moisson: ce qui faisait qu'on la nommait encore la fête des prémices. J'ai songé que ces circonstances me fourniraient quelque variété pour les chants du chœur.

Ce chœur est composé de jeunes filles de la tribu de Lévi, et je mets à leur tête une fille que je donne pour sœur à Zacharie. C'est elle qui introduit le chœur chez sa

1 Bossuet.

On me trouvera peut-être un peu hardi d'avoir osé mettre sur la scène un prophète inspiré de Dieu, et qui prédit l'avenir. Mais j'ai eu la précaution de ne mettre dans sa bouche que des expressions tirées des prophètes mêmes. Quoique l'Écriture ne dise pas en termes exprès que Joïada ait eu l'esprit de prophétie, comme elle le dit de son fils, elle le représente comme un homme tout plein de l'esprit de Dieu. Et d'ailleurs ne paraît-il pas, par l'Évangile, qu'il a pu prophétiser en qualité de souverain pontife? Je suppose donc qu'il voit en esprit le funeste changement de Joas qui, après trente années d'un règne fort pieux, s'abandonna aux mauvais conseils des flatteurs, et se souilla du meurtre de Zacharie, fils et successeur de ce grand-prêtre. Ce meurtre, commis dans le temple, fut une des principales causes de la colère de Dieu contre les Juifs, et de tous les malheurs qui leur arrivèrent dans la suite. On prétend même que depuis ce jour-là les réponses de Dieu cessèrent entièrement dans le sanctuaire. C'est ce qui m'a donné lieu de faire prédire tout de suite à Joad et la destruction du temple et la ruine de Jérusalem. Mais comme les prophètes joignent d'ordinaire les consolations aux menaces, et que d'ailleurs il s'agit de mettre sur le trône un des ancêtres du Messie, j'ai pris occasion de faire entrevoir la venue de ce consolateur, après lequel tous les anciens justes soupiralent. Cette scène, qui est une espèce d'épisode, amène très naturellement la musique, par la coutume qu'avaient plusieurs prophètes d'entrer dans leurs saints transports au son des instruments; témoin cette troupe de prophètes qui vinrent au-devant de Saül avec des harpes et les lyres qu'on portait devant eux; et témoin Élisée luimême, qui, étant consulté sur l'avenir par le roi de Juda et par le roi d'Israël, dit, comme fait ici Joad, Adducite mihi Psaltem. Ajoutez à cela que cette prophétie sert beaucoup à augmenter le trouble dans la pièce, par la consternation et par les différents mouvements où elle jette le chœur et les principaux acteurs.

Herrig, La France litt.

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