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La maison du seigneur, seule un peu plus ornée,

Se présente au dehors de murs environnée.
Le soleil en naissant la regarde d'abord,
Et le mont la défend des outrages du nord.
C'est là, cher Lamoignon,' que mon esprit
tranquille

Met à profit les jours que la Parque me file.

Ici dans un vallon bornant tous mes désirs, J'achète à peu de frais de solides plaisirs. Tantôt, un livre en main, errant dans les prairies,

J'occupe ma raison d'utiles rêveries: Tantôt cherchant la fin d'un vers que je construis,

Je trouve au coin d'un bois le mot qui m'avait fui.

Quelquefois aux appas d'un hameçon perfide, J'amorce en badinant le poisson trop avide; Ou d'un plomb qui suit l'œil, et part avec l'éclair,

Je vais faire la guerre aux habitants de l'air. Une table, au retour, propre et non magnifique,

Nous présente un repas agréable et rustique: Là, sans s'assujettir aux dogmes du Broussain,2

La maison le fournit, la fermière l'ordonne, Et mieux que Bergerat l'appétit l'assai

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muse,

Moi-même en ma faveur, Seignelay," je m'abuse. Cessons de nous flatter. Il n'est esprit si droit

Qui ne soit imposteur et faux par quelque endroit.

Sans cesse on prend le masque, et, quittant la nature,

On craint de se montrer sous sa propre figure.

Par là le plus sincère assez souvent déplaît. Rarement un esprit ose être ce qu'il est. Vois-tu cet importun que tout le monde évite,

Cet homme à toujours fuir, qui jamais ne vous quitte? Il n'est pas sans esprit; mais, né triste et pesant,

Il veut être folâtre, évaporé, plaisant;

1 Jacques Coras et Sainte-Garde sont les auteurs de ces deux poèmes que Boileau a très justement décriés.

2 Cette épître est adressée au marquis de Seignelay, fils de J. B. Colbert, ministre et secrétaire d'État.

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Grand roi, c'est vainement qu'abjurant la satire,

Pour toi seul désormais j'avais fait voeu d'écrire.

Dès que je prends la plume, Apollon éperdu Semble me dire: Arrête, insensé, que fais-tu? Sais-tu dans quels périls aujourd'hui tu t'engages?

Cette mer où tu cours est célèbre en naufrages. Ce n'est pas qu'aisément, comme un autre, à ton char

Je ne puisse attacher Alexandre et César; Qu'aisément je ne puisse, en quelque ode insipide,

T'exalter aux dépens et de Mars et d'Alcide:

Te livrer le Bosphore, et d'un vers incivil Proposer au Sultan de te céder le Nil. Mais pour te bien louer, une raison sévère Me dit qu'il faut sortir de la route vulgaire: Qu'après avoir joué tant d'auteurs différents, Phébus même aurait peur, s'il entrait sur

les rangs; Que par des vers tout neufs, avoués du Parnasse,

Il faut de mes dégoûts justifier l'audace; Et, si ma muse enfin n'est égale à mon roi, Que je prête à des Cotins des armes contre moi.

Est-ce là cet auteur, l'effroi de la Pucelle, Qui devait des bons vers nous tracer le modèle, Ce censeur, diront-ils, qui nous réformait tous? Quoi? ce critique affreux n'en sait pas plus que nous ?

Que répondrais-je alors? Honteux et rébuté,

J'aurais beau me complaire en ma propre beauté,

Et de mes tristes vers admirateur unique, Plaindre, en les relisant, l'ignorance publique.

Quelque orgueil en secret dont s'aveugle

un auteur, Il est fâcheux, grand roi, de se voir sans lecteur, Et d'aller du récit de ta gloire immortelle, Habiller chez Francœur le sucre et la cannelle.

Ainsi, craignant toujours un funeste accident,

J'imite de Courart le silence prudent: Je laisse aux plus hardis l'honneur de la carrière,

Et regarde le champ, assis sur la barrière. Malgré moi toutefois, un mouvement se

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Je vais, lui dit ce prince, à Rome où on m'appele.

Quoi faire? L'assiéger. L'entreprise est fort belle,

Et digne seulement d'Alexandre ou de

vous:

Mais, Rome prise enfin, Seigneur, où courrons nous?

Du reste des Latins la conquête est facile. Sans doute on les peut vaincre: Est-ce tout? La Sicile

De là nous tend les bras, et bientôt sans effort

Syracuse reçoit nos vaisseaux dans son port. Bornez-vous là vos pas? Dès que nous l'aurons prise,

Il ne faut qu'un bon vent, et Carthage est conquise.

Les chemins sont ouverts: qui peut nous arrêter?

Je vous entends, Seigneur, nous allons tout dompter.

Nous allons traverser les sables de Libye, Asservir en passant l'Égypte, l'Arabie, Courir delà le Gange en de nouveaux pays,

Faire trembler le Scythe aux bords du Tanais:

Et ranger sous nos lois tout ce vaste hémisphère.

Mais de retour enfin, que prétendez-vous faire?

Alors, cher Cinéas, victorieux, contents, Nous pourrons rire à l'aise, et prendre du

bon temps.

Hé, Seigneur, dès ce jour, sans sortir de l'Épire, Du matin jusqu'au soir qui vous défend de rire?

Le conseil était sage, et facile à goûter. Pyrrhus vivait heureux, s'il eût pu l'écouter: Mais à l'ambition d'opposer la prudence, C'est aux prélats de cour prêcher la rési

dence.

Ce n'est pas que mon cœur du travail ennemi, Approuve un fainéant sur le trône endormi. Mais quelques vains lauriers que promette la guerre, On peut être héros sans ravager la terre. Il est plus d'une gloire. En vain aux conquérants

L'erreur parmi les rois donne les premiers rangs.

Entre les grands héros ce sont les plus vulgaires.

Chaque siècle est fécond en heureux témé-
raires.
Chaque climat produit des favoris de Mars.
La Seine a des Bourbons, le Tibre a des
Césars.

On a vu mille fois des fanges Méotides Sortir des conquérants, Gothes, Vandales, Gépides.

Mais un roi vraiment roi, qui, sage en ses projets,

Sache en un calme heureux maintenir ses sujets,

Qui du bonheur public ait cimenté sa gloire, Il faut, pour le trouver, courir toute l'histoire. La terre compte peu de ces rois bienfaisants.

Le ciel à les former se prépare longtemps. Tel fut cet empereur, sous qui Rome adoréc Vit renaître les jours de Saturne et de Rhée : Qui rendit de son joug l'univers amoureux : Qu'on n'alla jamais voir sans revenir heu

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Et nos voisins frustrés de ces tribus serviles Que payait à leur art le luxe de nos villes. Tantôt je tracerai tes pompeux bâtiments, Du loisir d'un héros nobles amusements. J'entends déjà frémir les deux mers éton

nées

De voir leurs flots unis au pied des Pyrénées.

Déjà de tous côtés la chicane aux abois
S'enfuit au seul aspect de tes nouvelles lois.
O, que ta main par là va sauver de pupilles!
Que de savants plaideurs désormais inutiles!
Qui ne sent point l'effet de tes soins géné-
reux?
L'univers sous ton règne a-t-il des mal-
heureux ?

Est-il quelque vertu dans les glaces de l'ourse,

Ni dans ces lieux brûlés où le jour prend

sa source,

Dont la triste indigence ose encore approcher

Et qu'en foule tes dons d'abord n'aillent chercher?

C'est par toi qu'on va voir les muses enrichies,

De leur longue disette à jamais affranchies Grand roi, poursuis toujours, assure leur repos.

Sans elles un héros n'est pas longtemps héros.

Bientôt, quoiqu'il ait fait, la mort d'une ombre noire

Enveloppe avec lui son nom et son histoire. En vain, pour s'exempter de l'oubli du cercueil,

Achille mit vingt fois tout Ilion en deuil. En vain, malgré les vents, aux bords de l'Hespérie

Énée enfin porta ses dieux et sa patrie. Sans le secours des vers leurs noms tant

publiés Seraient depuis mille ans avec eux oubliés. Non, à quelques hauts faits que ton destin t'appelle,

Sans le secours soigneux d'une muse fidèle,
Pour t'immortaliser tu fais de vains efforts.
Apollon te la doit: ouvre-lui tes trésors.
En poètes fameux rends nos climats fertiles.
Un Auguste aisément peut faire des Vir-
giles.

Que d'illustres témoins de ta vaste bonté
Vont pour toi déposer à la postérité !
Pour moi, qui sur ton nom déjà brûlant
d'écrire

Sens au bout de ma plume expirer la satire,
Je n'ose de mes vers vanter ici le prix.
Toutefois, si quelqu'un de mes faibles écrits

1 Le canal de Languedoc, qui joint la Méditerranée à la Garonne.

Des ans injurieux peut éviter l'outrage, Peut-être pour ta gloire aura-t-il son usage Et comme tes exploits, étonnant les lecteurs,

Seront à peine crus sur la foi des auteurs, Si quelque esprit malin les veut traiter de fables,

On dira quelque jour pour les rendre croyables:

Boileau qui, dans ses vers pleins de sincérité,

Jadis à tout son siècle a dit la vérité, Qui mit à tout blâmer son étude et sa gloire,

A pourtant de ce roi parlé comme l'histoire.

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Sans sortir de leurs lits, plus doux que leurs hermines,

Ces pieux fainéants faisaient chanter matines, Veillaient à bien dîner, et laissaient en leur lieu

A des chantres gagés le soin de louer Dieu: Quand la Discorde, encor toute noire de crimes,

Sortant des Cordeliers pour aller aux Minimes,'

Avec cet air hideux qui fait frémir la Paix, S'arrêta près d'un arbre au pied de son palais.

Là, d'un œil attentif, contemplant son empire,

A l'aspect du tumulte, elle-même s'admire. Elle y voit, par le coche et d'Évreux et du Mans,

Accourir à grands flots ses fidèles Normands.

Elle y voit aborder le marquis, la comtesse, Le bourgeois, le manant, le clergé, la noblesse; plaideurs les escadrons épars Thémis flotter ses étendards.

Et partout des Faire autour de

Mais une église seule, à ses yeux immobile, Garde, au sein du tumulte, une assiette tranquille.

Elle seule la brave; elle seule aux procès De ses paisibles murs veut défendre l'accès. La Discorde, à l'aspect d'un calme qui l'offense,

Fait siffler ses serpents, s'excite à la vengeance:

Sa bouche se remplit d'un poison odieux, Et de longs traits de feu lui sortent par les yeux. Quoi! dit-elle d'un ton qui fit trembler les vitres, J'aurai pu jusqu'ici brouiller tous les chapitres,

Diviser Cordeliers, Carmes et Célestins; J'aurai fait soutenir un siège aux Augustins; Et cette église seule, à mes ordres rebelle, Nourrira dans son sein une paix éternelle! Suis-je donc la Discorde? et parmi les mortels,

Qui voudra désormais encenser mes autels? A ces mots, d'un bonnet couvrant sa tête énorme, Elle prend d'un vieux chantre et la taille et la forme; Elle peint de bourgeons son visage guerrier, Et s'en va de ce pas trouver le trésorier.

Il y eut de grandes brouilleries dans ces deux convents, à l'occasion de quelques supérieurs qu'on y voulait élire. (Boil.)

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Lui souffle avec ces mots l'ardeur de la chicane.

Le prélat se réveille, et plein d'émotion,
Lui donne toutefois la bénédiction.
Tel qu'on voit un taureau qu'une guêpe
en furie

A piqué dans les flancs aux dépens de sa vie;

Le superbe animal, agité de tourments, Exhale sa douleur en longs mugissements: Tel le fougueux prélat, que ce songe épouvante,

Querelle, en se levant, et laquais et servante;

Et d'un juste courroux ranima sa vigueur, Même avant le dîner parle d'aller au chœur. Le prudent Gilotin,' son aumônier fidèle, En vain par ses conseils sagement le rappelle;

1 Son véritable nom était Guéronet.

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