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Toi pour qui dans le Mans le laboureur | Où sans cesse, étalant bons et méchants

moissonne,

Pour qui naissent à Caen tous les fruits de l'automne;

Si, dès mes premiers ans, heurtant tous les mortels,

L'encre a toujours pour moi coulé sur tes autels,

Daigne encor me connaître en ma saison dernière.

D'un prélat qui t'implore exauce la prière.
Un rival orgueilleux, de sa gloire offensé,
A détruit le lutrin par nos mains redressé.
Épuise en sa faveur ta science fatale:
Du Digeste et du Code ouvre nous le dé-
dale,

Et montre nous cet art, connu de tes amis, Qui, dans ses propres lois, embarrasse Thémis.

La Sibylle, à ces mots, déjà hors d'ellemême,

Fait lire sa fureur sur son visage blême, Et pleine du démon qui la vient oppresser, Par ces mots étonnants tâche à le repousser: Chantres, ne craignez plus une audace in

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écrits.

Barbin vend aux passants des auteurs à tout prix.

Là le chantre à grand bruit arrive et se fait place,

Dans le fatal instant, que d'une égale audace,

Le prélat et sa troupe, à pas tumultueux,
Descendaient du Palais l'escalier tortueux.
L'un et l'autre rival, s'arrêtant du passage,
Se mesure des yeux, s'observe, s'envisage;
Une égale fureur anime leurs esprits.
Tels deux fougueux taureaux, de jalousie
épris,'

Auprès d'une génisse au front large et superbe,

Oubliant tous les jours le pâturage et l'herbe,

A l'aspect l'un de l'autre embrasés, furieux, Déjà, le front baissé, se menacent des yeux. Mais Evrard, en passant, coudoyé par Boirude

Ne sait point contenir son aigre inquiétude,

Il entre chez Barbin, et, d'un bras irrité,
Saisissant du Cyrus un volume écarté,
Il lance au sacristain le tome épouvantable.
Boirude fuit le coup: le volume effroyable
Lui rase le visage, et, droit dans l'estomac,
Va frapper en sifflant l'infortuné Sidrac.
Le vieillard, accablé de l'horrible Arta-
mène,2

Tombe aux pieds du prélat sans pouls et sans haleine.

Sa troupe le croit mort, et chacun empressé, Se croit frappé du coup dont il le voit

blessé.

Aussitôt contre Evrard vingt chanoines s'élancent;

Pour soutenir leur choc les champions s'avancent.

La Discorde triomphe, et du combat fatal Par un cri donne en l'air l'effroyable signal. Chez le libraire absent tout entre, tout se inêle:

Leur appétit fougueux, par l'objet excité,
Parcourt tous le recoins d'un monstrueux Les livres sur Evrard fondent comme la

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Est robuste de corps, terrible de visage, Et de l'eau dans son vin n'a jamais su l'usage.

Il terrasse lui seul et Guibert et Grasset, Et Gorrillon la basse, et Grandin le fausset, Et Gerbais l'agréable, et Guérin, l'insipide. Des chantres désormais la brigade timide S'écarte et du Palais regagne les chemins. Telle, à l'aspect d'un loup, terreur des champs voisins,

Fuit d'agneaux effrayés une troupe bêlante; Ou tels devant Achille, aux campagnes du Xanthe,

Les Troyens se sauvaient à l'abri de leurs tours:

Quand Brontin à Boirude adresse ce discours: Illustre porte-croix, par qui notre bannière N'a jamais en marchant fait un pas en arrière,

Un chanoine lui seul, triomphant du prélat, Du rochet à nos yeux ternira-t-il l'éclat? Non, non: pour te couvrir de sa main redoutable,

Accepte de mon corps l'épaisseur favorable: Viens, et sous ce rempart, à ce guerrier hautain

Fais voler ce Quinault qui me reste à la main.
A ces mots, il lui tend le doucereux ouvrage.
Le sacristain, bouillant de zèle et de cou-
rage,

Le prend, se cache, approche, et droit entre
les yeux
Frappe du noble écrit l'athlète audacieux.
Mais e'est pour l'ébranler une faible tem-

pête;

Le livre sans vigueur mollit contre sa tête.
Le chanoine les voit, de colère embrassé:
Attendez, leur dit-il, couple lâche et ruse,
Et jugez si ma main, aux grands exploits
novice,

Lance à mes ennemis un livre qui mollisse.
A ces mots, il saisit un vieil Infortiat,1
Grossi des visions d'Accurse et d'Alciat; 2
Inutile ramas de gothique écriture,
Dont quatre ais mal unis formaient la cou-
verture,

Entouré à demi d'un vieux parchemin noir,
Où pendait à trois clous un reste de fermoir.
Sur l'ais qui le soutient auprès d'un Avi-
cenne, 3

Deux des plus forts mortels l'ébranleraient à peine:

1 Livre de droit, d'une grosseur énorme.

2 Jurisconsultes.

3 Auteur arabe.

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Le chanoine pourtant l'enlève sans effort, Et sur le couple pâle, et déjà demi mort Fait tomber à deux mains l'effroyable ton

nerre.

Les guerriers, de ce coup, vont mesurer la terre,

Et du bois et des clous meurtris et déchirés, Longtemps, loin du perron, roulent sur les degrés.

Au spectacle étonnant de leur chute im

prévue, Le prélat pousse un cri qui pénètre la nue. Il maudit dans son cœur le démon des combats,

Et de l'horreur du coup il recule six pas. Mais bientôt rappelant son antique prouesse 11 tire du manteau sa dextre vengeresse; Il part, et, de ses doigts saintement allongés, Bénit tous les passants, en deux files rangés. 11 sait que l'ennemi, que ce coup va surprendre,

Désormais sur ses pieds ne l'oserait attendre, Et déjà voit pour lui tout le peuple en

courroux

Crier aux combattants: Prophanes, à genoux! Le chantre, qui de loin voit approcher l'orage, Dans son cœur éperdu cherche en vain du courage: Sa fierté l'abandonne, il tremble, il cède, il fuit,

Le long des sacrés murs sa brigade le suit: Tout s'écarte à l'instant; mais aucun n'en réchappe.

Partout le doigt vainqueur les suit et les rattrape.

Evrard seul, en un coin prudemment retiré, Se croyait à couvert de l'insulte sacré: Mais le prélat vers lui fait une marche adroite;

Il l'observe de l'œil et tirant vers la droite, Tout d'un coup tourne à gauche, et d'un bras fortuné,

1

Bénit subitement le guerrier consterné.
Le chanoine, surpris de la foudre mortelle,
Se dresse, et lève en vain une tête rebelle:
Sur ses genoux tremblants il tombe à cet
aspect,

Et donne à la frayeur ce qu'il doit au respect.

Dans le temple

Va goûter les

Et de leur vain

aussitôt le prélat plein de gloire

doux fruits de sa sainte victoire;

projet les chanoines punis,

S'en retournent chez eux, éperdus et bénis.

JEAN DE LA FONTAINE.

Voyez sa notice dans l'histoire de la littérature. Le premier ouvrage de La Fontaine est une Traduction de l'Eunuque de Térence, Reims, 1654. Il écrivit ensuite la Disgrâce de Fouquet. Le

premier receuil de ses Fables parut en 1668. On a en outre de lui Philémon et Baucis, les Filles de Minée, Adonis, Psyché, quatre Comédies et des Contes.

LE RAT DE VILLE ET LE RAT DES
CHAMPS.

Autrefois le rat de ville
Invita le rat des champs
D'une façon fort civile,
A des reliefs1 d'ortolans.
Sur un tapis de Turquie
Le couvert se trouva mis.
Je laisse à penser la vie
Que firent ces deux amis.
Le régal fut fort honnête;
Rien ne manquait au festin;
Mais quelqu'un troubla la fête
Pendant qu'ils étaient en train.
A la porte de la salle
Ils entendirent du bruit.
Le rat de ville détale;
Son camarade le suit.

Le bruit cesse, on se retire,
Rats en campagne aussitôt:
Et le citadin de dire:
Achevons tout notre rôt.
C'est assez, dit le rustique;
Demain vous viendrez chez moi;
Ce n'est pas que je me pique
De tous vos festins de roi.

Mais rien ne vient m'interrompre:
Je mange tout à loisir.
Adieu donc; fi du plaisir

Que la crainte peut corrompre.

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Quittez les bois, vous ferez bien: Vos pareils y sont misérables, Cancres, hères, et pauvres diables, Dont la condition est de mourir de faim. Car quoi? Rien d'assuré: point de franche lippée; Tout à la pointe de l'épée. Suivez-moi; vous aurez un bien meilleur destin.

Le loup reprit, que me faudra-t-il faire? Presque rien, dit le chien, donner la chasse aux gens

Portant bâtons, et mendiants; Flatter ceux du logis; à son maître complaire: Moyennant quoi votre salaire Sera force reliefs de toutes les façons; Os de poulets, os de pigeons : Sans parler de mainte caresse. Le loup déjà se forge une félicité

Qui le fait pleurer de tendresse. Chemin faisant il vit le cou du chien pelé. Qu'est-ce là? lui dit-il. Rien. Quoi rien? Peu de chose.

Mais encor? Le collier dont je suîs attaché De ce que vous voyez est peut-être la

cause.

Attaché! dit le loup, vous ne courez donc pas

Où vous voulez? Pas toujours, mais qu'importe?

Il importe si bien, que de tous vos repas

Je ne veux en aucune sorte: Et ne voudrais pas même à ce prix un

trésor.

Cela dit, maître loup s'enfuit, et court encor.

LE CHÊNE ET LE ROSEAU.

Le Chêne un jour dit au roseau,
Vous avez bien sujet d'accuser la nature.
Un roitelet pour vous est un pesant far-
deau.

Le moindre vent qui d'aventure
Fait rider la face de l'eau
Vous oblige à baisser la tête:
Cependant que mon front au Caucase pa-
reil,

Non content d'arrêter les rayons du soleil,
Brave l'effort de la tempête.
Tout vous est aquilon: tout me semble
zéphir.

Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage;
Vous n'auriez pas tant à souffrir;
Je vous défendrais de l'orage:

Mais vous naissez le plus souvent Sur les humides bords des royaumes du

vent.

La nature envers vous me semble bien injuste.

Votre compassion, lui répondit l'arbuste, Part d'un bon naturel; mais quittez ce souci.

Les vents me sont moins qu'à vous redoutables;

Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici

Contre leurs coups épouvantables
Résisté sans courber le dos:
Mais attendons la fin. Comme il disait ces
mots,

Du bout de l'horizon accourt avec furie
Le plus terrible des enfants
Que le nord eût porté jusques-là dans ses
flancs.

L'arbre tient bon; le roseau plie:

Le vent redouble ses efforts: Et fait si bien qu'il déracine Celui de qui la tête au ciel était voisine, Et dont les pieds touchaient à l'empire des

morts.

CONSEIL TENU PAR LES RATS.
Un chat nommé Rodilardus1
Faisait de rats telle déconfiture

Que l'on n'en voyait presque plus,
Tant il en avait mis dedans la sépulture.
Le peu qu'il en restait n'osant quitter son
trou,

Ne trouvait à manger que le quart de son

sou;

Et Rodilard passait chez la gent misérable
Non pour un chat, mais pour un diable.
Or un jour qu'au haut et au loin
Le galant alla chercher femme,
Pendant tout le sabbat qu'il fit avec sa
dame,

Le demeurant des rats tint chapitre en un coin

Sur la nécessité présente. Dès l'abord leur doyen, personne fort prudente

Opina qu'il fallait, et plutôt que plus tard,
Attacher un grelot au cou de Rodilard;
Qu'ainsi quand il irait en guerre
De sa marche avertis ils senfuiraient sous-
terre.

Qu'il n'y avait que ce moyen.
Chacun fut de l'avis de Monsieur le doyen.
Chose ne leur parut à tous plus salutaire.

1 Rabelais (IV, 6 et 7) fait mention, dans Pantagruel, du célèbre chat Rodilard, ou rongeur de lard.

La difficulté fut d'attacher le grelot.

Se mit à rire de sa peur;

L'un dit: je n'y vais point, je ne suis pas Car c'est double plaisir de tromper le trom

si sot;

L'autre, je ne saurais. Si bien que sans

rien faire

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LE POT DE TERRE ET LE POT DE FER.

Le pot de fer proposa

Au pot de terre un voyage.
Celui-ci s'en excusa;
Disant qu'il ferait que sage
De garder le coin du feu:
Car il lui fallait si peu,
Si peu, que la moindre chose
De son débris serait cause;
Il n'en reviendrait morceau.
Pour vous, dit-il, dont la peau
Est plus dure que la mienne,
Je ne vois rien qui vous tienne.
Nous vous mettrons à couvert,
Répartit le pot de fer.
Si quelque matière dure
Vous menace d'aventure,
Entre deux je passerai,
Et du coup vous sauverai.
Cette offre le persuade.
Pot de fer, son camarade,
Se met droit à ses côtés.
Mes gens s'en vont à trois piés
Clopin, clopant comme ils peuvent,
L'un contre l'autre jetés,

Au moindre hoquet qu'ils treuvent. Le pot de terre en souffre: il n'eut pas fait cent pas,

Que par son compagnon il fut mis en éclats,

1 Secousse. On disait hoqueter pour secouer fortement.

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