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fondateur de l'histoire politique, Philippe de Commines, lui appartient.

A un point de vue plus général, le XVe siècle est aussi l'ère de la renaissance de l'antiquité en Occident. On voit alors s'établir les premières chaires de grec et de latin. Plusieurs savants byzantins dé goûtés des humiliations de leur pays, émigrèrent en Italie, et après la chute de Constantinople, en 1453, les Grecs se répandirent partout. Ils exercèrent l'influence la plus utile en enseignant la langue de leurs aïeux et en faisant connaître les grands écrivains.

Mais le fait qui, au XVe siècle, domine tous les autres, celui qui marque la fin du moyen-âge, c'est la découverte de l'imprimerie. La commence, avec son éclat et sa force, la civilisation moderne.

Durant la période qui nous occupe, la littérature française, tout en se développant fort lentement, montre une tendance marquée à se dégager de l'imperfection de ses premières formes. La langue s'épure et se fixe: la prose prend tout à fait sa place à côté de la poésie. Les ouvrages des prosateurs nous indiquent la marche des idées, les progrès des connaissances et l'esprit de l'époque.

PROSE.

Chroniqueurs et historiens.

Nous avons déjà constaté dans le siècle précédent les progrès de l'histoire avec Villehardouin et Joinville. Avec eux, nous l'avons vue devenir plus nationale; avec Froissart, nous allons la voir devenir plus vive, plus animée; nous allons la voir peindre son époque sous toutes les faces, et gagner un nouveau charme en devenant plus dramatique. Avec ces trois hommes, qui ont chacun un génie anologue au génie du siècle qui les a vus naître, on peut suivre la destinée et les progrès de l'histoire.

Jean Froissart a écrit une histoire pour ainsi dire universelle de 1322 à 1400. Il avait pris pour modèle de son ouvrage les chroniques de maître Jean Lebel, chanoine de Liège, qui n'ont de valeur que comme document historique, tandis que celles de Froissart sont peut-être le plus précieux monument du moyen-âge.

L'histoire n'avait alors aucune unité visible; elle était disséminée sur tous les points de l'Europe; le romanesque Froissart court après elle et va la chercher de castel en castel. Il parvint ainsi à connaître les événements d'une manière assez complète; mais il les raconte sans ordre ni

méthode, il n'a pas de profondeur dans ses vues et dans l'appréciation des affaires politiques, il ne sait pas même faire la distinction du bien et du mal. Le spectacle des faits est tout pour lui: il ne s'inquiète point de leur sens moral et reste assez indifférent à la perversité des actions humaines. Tels sont les défauts de Froissart. Voici les qualités qui font le mérite de son livre. Il raconte admirablement: il dépeint les hommes et les choses avec une grande vérité et une vivacité de coloris que rien ne surpasse; s'il fait parler ses personnages, leur langage a toujours une convenance parfaite avec leur caractère et les mœurs du temps. Son style est court, animé, inimitable dans sa naïveté, et parfois spirituel et énergique.

Ce n'est que dans les dernières années du quinzième siècle qu'apparaît enfin le premier des historiens français, Philippe de Commines. Ses Mémoires renferment l'histoire des règnes de Louis XI et de Charles VIII, dont il raconte les principaux événements d'après ses propres souvenirs.

Commines connaît parfaitement les hommes et les choses de son temps; il a une rare pénétration d'esprit, une grande profondeur de pensée et une rectitude de jugement peu commune. La netteté et la précision sont les qualités de son style. C'est un homme sans littérature", comme il le dit lui-même; il est exempt de toute prétention d'écrivain: il parle „naturellement" et son langage flexible et nerveux rend sa pensée avec une merveilleuse vigueur. Mais à la supériorité de l'intelligence, Commines ne joint pas la noblesse de l'âme et le sentiment de la justice. Son éloge et sa critique se déterminent moins d'après la moralité, que d'après la prudence, l'opportunité et le succès des actes. Toutefois il ne faut pas oublier qu'il vécut au milieu des intrigues et de la corruption des cours, à une époque où l'enthousiasme religieux et chevaleresque tombait devant le positif des intérêts nationaux et privés.

Le héros de Philippe de Commines est Louis XI, pour l'adresse duquel il professe une véritable admiration. Le portrait qu'il trace de ce prince défiant, artificieux et farouche, est frappant de vérité. Commines accepte comme légitimes les ruses et les cruautés de son maître; cependant il n'est pas arrivé à la perversion complète des notions sociales que professe Machiavel, son contemporain. Quelques idées religieuses se présentent fréquemment à son esprit: mais les réflexions qu'elles lui suggèrent n'éveillent en lui aucun sentiment durable. Il croit à l'influence de la volonté arbitraire

de Dieu, plus qu'à l'autorité inviolable du devoir et à la sainteté de la vertu.

A part cette indifférence morale, le confident de Louis XI ne mérite que des éloges pour la sagacité avec laquelle il juge les hommes et les choses. Il indique les causes des grands événements, met à jour les mobiles qui font agir ses personnages, développe feurs desseins et dépeint admirablement leur caractère. Il a un sens profond de ce qui fait la force ou la faiblesse des princes. La gloire des armes ne l'éblouit pas: il voit dans la guerre la source principale des misères publiques. Aussi ne s'amuse-t-il guère à décrire les combats; il lui arrive quelquefois d'enfermer dédaigneusement une grande bataille dans une phrase incidente. Il s'attache à constater le résultat des opérations militaires et les causes qui l'ont amené.

POÉSIE.

On peut diviser en deux classes les productions poétiques du XIVe et du XVe siècles d'une part, des poésies diverses, parmi lesquelles le genre lyrique; de l'autre, les ouvrages composés pour la scène.

Dans la première classe, aucune œuvre n'a l'étendue, ni le retentissement des grandes compositions de l'époque précédente. Le poète n'est plus l'interprète avoué de l'esprit général de son temps; mais la poésie se perfectionne, la langue s'épure, le goût commence à se former.

Poésies diverses.

Eustache Deschamps dont nous avons cité le nom dans le résumé historique de la première période, appartient au XIVe siècle. C'est un écrivain fécond, animé du plus pur sentiment patriotique, de la haine de l'étranger, et qui a pour les souffrances du peuple une véritable commisération. Homme de guerre et magistrat, ce poète aime la justice, qu'il a dû rendre en qualité de bailli, et déteste les Anglais, qu'il a combattus comme soldat. Sa pensée offre souvent de la force et de la noblesse. Il prend un ton assez élevé dans les ballades qu'il consacre, sous le titre de lais, à l'éloge funèbre de Du Guesclin et à la peinture des devoirs des rois et des chevaliers.

qui ne nous est pas parvenu. Ses poésies les plus intéressantes sont celles où il se met lui-même en scène avec autant de grâce que de naïveté. Il écrit avec plus de facilité que de soin.

1

Olivier Basselin, maître foulon de Vire, en Normandie, composa, vers le milieu du XVe siècle, des chansons bachiques qui se conservèrent dans la mémoire des buveurs de son pays: elles ont de la verve et une franche gaieté. Ces chansons ne sont arrivées jusqu'à nous qu'après avoir été rajeunies par ceux qui les avaient répétées depuis un siècle. La forme des mots n'est donc pas restée sans altération, mais celle des couplets s'est mieux conservée, et l'on y remarque quelques-unes des combinaisons les plus parfaites qu'adopta plus tard la poésie lyrique. Les Vaux de Vire montrent peu d'invention; cependant, dans le cercle étroit où il se renferme, Olivier Basselin a laissé peu de choses nouvelles à dire après lui.

La dernière et la plus délicate fleur de la poésie chevaleresque est l'œuvre d'un prince du sang royal, Charles d'Orléans. Fait prisonnier à la bataille d'Azincourt (1415), il est conduit en Angleterre, où il fut gardé vingt-cinq ans. Cette captivité a valu à la France le premier ouvrage où l'imagination soit correcte sans cesser d'être naïve.

Charles d'Orléans a un esprit élégant et gracieux, mais qui ne se complaît qu'aux choses légères. Ce qu'il regretta surtout dans la captivité, c'est le beau soleil de France, le beau mois de mai, les danses, les belles dames de France. Il a peu de mélancolie sur le reste.

Ce qui le distingue surtout des autres poètes de son époque, c'est l'élégance de son langage et l'habileté avec laquelle il manie les formes un peu monotones du rondeau et de la ballade.

A côté de ce bel esprit de race royale, apparaît un poète plébéien dont la vie aventureuse et déréglée avait failli se terminer au gibet; c'est l'enfant de Paris, François Corbueil, surnommé Villon.

Les poésies de Villon peu nombreuses et composées au milieu des désordres de son existence, comprennent le Petit Testament, le Grand Testament et quelques

1 Il nous reste 62 de ces chansons, nommées Vaux de Vire, d'après le nom du lieu de sa naissance. Olivier Basselin exploitait un moulin à fouler les draps

Froissart joignait au génie de narrateur qu'il déploie dans ses chroniques, un brillant talent de poète dont il abusa souvent pour composer sans inspiration des près du pont de Vaux, dans le canton de Vire, en Norpièces de circonstance en l'honneur de ses hôtes. I travailla de longues années à un roman de chevalerie intitulé Melia dus,

mandie.

2 On trouve aussi parmi les œuvres de Charles d'Orléans quelques caroles, dont la forme est celle du rondeau avec cette différence que la première partie est de seize vers, la seconde de dix.

pièces détachées, dont six en argot. Elles portent le cachet d'un esprit vigoureux mais détourné par ses habitudes cyniques des inspirations élevées qui ne lui reviennent qu'en passant. Villon, c'est la populace de Paris au XVe siècle, informe mélange de raison théorique et d'immoralité pratique, d'esprit pénétrant, narquois, souple, inventif, ruse jusqu'à la friponnerie, d'extrême misère matérielle et de foi chrétienne tout extérieure et illettrée.

Villon est un poète original: il n'a rien de convenu ni d'apprêté, il est indépendant et naturel; il foule aux pieds tous les oripeaux de la galanterie chevaleresque, tout le clinquant du bel esprit des cours: il peint ce qu'il éprouve, il représente ce qu'il voit, et il trouve un langage qui est l'image de sa pensée et de son émotion. Cet accent de vérité répandu dans tous ses écrits en fait le charme et le mérite. Il se montre à nous sans masque et sans fard, dans l'expression naïve de ses torts et de ses regrets. II excelle aussi à manier la raillerie, mais la grossièreté des sujets sur lesquels se répand sa verve le fait souvent tomber dans les allusions basses et de mauvais goût.

Drames religieux, Soties, Moralités, Farces.

Les miracles qui avaient été d'abord des compositions assez simples, prirent des formes plus étendues à partir du XIVe siècle. Il s'y joignit des mystères, représentations plus ou moins fidèles de la vie du Christ et des principaux Saints. De ces deux genres de pièces qui conservaient une certaine similitude, le second était le plus solennel par la nature de ses sujets puisés au cœur même des croyances chrétiennes. Les miracles au contraire ne tenant qu'aux légendes et aux traditions laissaient plus de liberté à l'imagination du poète.

L'appareil de la représentation était devenu imposant. On commençait à construire de véritables scènes pour y jouer les mystères. Toutefois ce n'est que vers 1402, que le théâtre prit en France une sorte de consistance, lors de l'établissement des Confrères de la Passion.

Les mystères prirent une grande extension, et il fallut bientôt en diviser la représentation en plusieurs journées. Celui de la Passion, p. ex., qui demandait d'abord six jours, finit par en exiger vingt-cinq; celui des Actes des Apôtres se divisait en quarante journées. Le nombre des personnages variait à l'infini, en proportion de la durée de l'action. Tel mystère n'en admettait que quinze ou vingt, tel autre près de cinq cents. Le lieu de la scène variait

lui-même à chaque instant, et parcourait successivement le ciel, la terre et l'enfer. Dans quelques-uns même, la scène représentait à la fois plusieurs contrées fort éloignées, qu'on avait le soin de désigner par un écriteau pour l'intelligence des spectateurs.

On comprend que ces pièces d'une étendue démesurée devaient être au point de vue de l'art des œuvres fort irrégulières et d'une grande inégalité. Le but des poètes en traçant des tableaux religieux était de mettre sous les yeux de la foule des scènes plus frappantes par leur grandeur et par l'enseignement qu'elles renfermaient que par l'intérêt dramatique qu'elles pouvaient offrir. Un seul fait exception_sous ce rapport: c'est le Mystère de la Passion, dont le sujet tiré du récit des Evangiles réunit à un caractère sacré l'action la plus touchante.

Nous avons déjà dit qu'au drame religieux s'étaient jointes de bonne heure des compositions scéniques d'un ordre moins grave, les unes pastorales, les autres comiques. Ce dernier genre prit au XVe siècle une extension rapide. On vit successivement apparaître les Soties, les Moralités et les Farces.

Les Enfants sans souci, jeunes gens de famille, spirituels et dérangés, confrérie joyeuse qui s'était formée à Paris sous le règne de Charles VI, et dont le chef s'intitulait le Prince des Sots (fous), sont les premiers à qui l'histoire attribue des représentations théâtrales d'un caractère bouffon et satirique. Mais celles de leurs pièces qui nous sont parvenus ne datent que du temps de Louis XII. Ce sont en général des allégories morales et politiques d'une grande hardiesse dont les plus fameuses, composées par Pierre Gringoire, sont dirigées contre la cour de Rome à l'occasion de la guerre entre Jules II et le roi de France.

Les Moralités avaient un but instructif, elles tenaient le milieu entre la Sotie et le Miracle. Elles représentaient tantôt un sujet édifiant tiré de la vie des saints ou un exemple de vertu, tantôt quelques scènes allégoriques.

Les clercs de la Bazoche, corporation composée des clercs des procureurs passaient pour avoir inventé les Moralités, faute de pouvoir représenter les Mystères, qu'un privilége royal attribuait, comme on l'a vu, aux Confrères de la Passion. Cette société, dont les pièces étaient, la plupart du temps, de virulentes satires dirigées contre les personnages du temps, fut accueillie avec faveur par tout le monde jus

qu'au mois de mai 1476, qu'un arrêt du | Il était encadré dans une immense gueule

parlement défendit à chacun de ses membres de donner des représentations, sous peine de bannissement et d'être battu de verges. Cette suspension dura jusqu'en 1497. Louis XII permit aux Bazo chiens de couvrir leur théâtre, et de le dresser, lorsqu'ils joueraient, sur la fameuse table de marbre du palais. Leurs représentations ne cessèrent que sous François I.

Les Farces différaient des deux genres précédents par leur plus grande simplicité. Sans recourir à l'allégorie et sans aborder des sujets graves, elles puisaient leur thème plus ou moins bouffon dans les scènes de la vie commune. On en cite un très grand nombre, dont une partie ressemblait aux parades des foires et où les acteurs avaient le visage couvert de farine; de là le nom de farces enfarinées qu'on leur donna. Mais à côté des productions souvent insipides ou grossières, la fin du XVe siècle vit enfin paraître une véritable comédie, la farce de l'avocat Pathelin. Ce petit chef-d'œuvre, dont l'auteur est inconnu, offre des peintures de caractère d'une vérité parfaite.

La scène moins large, mais plus élevée que de nos jours, se composait de vastes échafauds et se partageait en plusieurs étages superposés, pareils à des galeries, dont le nombre ordinaire était de six. L'ensemble de cette scène se nommait l'eschafault, le jeu ou le parloir. L'étage le plus élevé, qui devait être une cinquantaine de pieds au-dessus du parterre, figurait le ciel. Il était suivi du paradis, séjour des élus, placé au-dessous de la demeure divine. Le troisième rang était occupé quelquefois par le jardin d'Eden, richement garni de beaux fruits. Le quatrième et le cinquième étages représentaient la partie de la terre où se passait l'action. Le dernier de tous était consacré à l'enfer.

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de dragon qui s'ouvrait et se fermait à volonté pour donner entrée aux diables sur la scène ou les recevoir à leur sortie. L'intérieur de cette gueule était muni de fournaises ardentes.

Chaque étage avait ses décorations caractéristiques. Le ciel offrait un fond d'azur, étoilé, en avant duquel se dressait un large trône doré. Dieu le Père s'y montrait décoré de tous les attributs de la puissance papale ou impériale, le Saint-Esprit, sous la forme d'une colombe, ce qui ne lui permettait pas de prendre lui-même la parole; mais, s'il avait à parler, un ange lui servait d'interprète. La Paix, la Miséricorde, la Justice et la Charité entouraient l'image divine. A ses pieds se rangeaient neuf ordres d'anges, représentés en partie par des enfants affublés d'aubes et de chapes de diacres, et munis d'instruments de musique. Les orgues qui servaient à accompagner le chœur des anges étaient placées au même étage; elles avaient assez de puissance pour faire entendre un doux tonnerre".

L'enfer était généralement fermé et ne s'ouvrait que lorsqu'une action devait s'y passer: on ne voulait pas que l'attention du public fût détournée par le spectacle toujours populaire des diableries. Dans le voisinage de l'enfer s'élevait assez souvent le purgatoire où les âmes en peine étaient retenues par des filets, et paraissaient consumées par des flammes que vomissaient des brasiers où l'on jetait de l'esprit de vin.

Les tortures, les supplices sont très fréquents dans les Mystères; les spectateurs aimaient à repaître leurs yeux comme leur esprit de ces horribles tableaux.

Quand le texte l'exigeait, on faisait parler les animaux qui figuraient dans l'action, mais en leur choisissant des monosyllabes en rapport avec leur accentuation habituelle.

TROISIÈME PÉRIODE.'

XVIe Siècle.

Le XVIe siècle est, en général, une époque de progrès en tous genres, une époque où les idées et les choses ont un caractère

1 Cf. Baron, Sayous.

d'inspiration et de renouvellement, une époque de méditation et d'action, de grandes luttes et de grandes pensées, de révolutions prodigieuses et de personnages gigantesques, une époque qu'on ne peut com

parer qu'à celle de l'établissement du christianisme.

Cependant la France, qui, pendant tout le moyen-âge, était le centre d'où émanait tout ce qui se faisait de grand, la France qui enfanta les croisades, dont la littérature servait de modèle aux fabliaux d'Italie et aux poèmes chevaleresques d'Angleterre; la France, au XVIe siècle, ne semble jouer qu'un rôle passif; rien ne s'y produit plus, tout y arrive.

La renaissance naît en Italie, l'Allemagne enfante la réforme; la France reçoit la renaissance et la réforme; mais elle applique la première et amène la seconde à ses derniers résultats.

François I, qui avait sur le Milanais des prétentions personnelles à sa maison, suivit en Italie les traces de ses prédécesseurs: comme eux et à un plus haut degré, il y puisa le goût des lettres et des arts. C'est pendant ces courtes et brillantes années de son règne naissant (1515 à 1521), que se développèrent chez lui ces nobles goûts dont la nature lui avait donné le germe. L'Italie rencontrait en lui un esprit sympathique fait pour la comprendre. Si quelque chose put dédommager la France des désastres que lui causèrent les inclinations belliqueuses de son roi, c'est que sans ces guerres aventureuses, le siècle de François I n'eût pas été pour elle le premier siècle des

lettres et des arts.

C'est par l'érudition que l'Italie avait tout d'abord influé sur la France. François I l'accueillit et la traita avec cette libéralité

qu'il savait mettre dans toutes ses actions. Les rois ses prédécesseurs avaient patronné quelques savants; ce fut lui qui créa le patronnage littéraire qu'il avait vu exercer avec tant d'éclat dans les cours italiennes. Il voulut ouvrir à la science un sanctuaire auquel il attacherait son nom et celui de la France. Dans ce nouvel établissement (le collége de France), créé en 1529, et rival de ceux qu'elle devait à la munificence de ses princes, l'Italie apporta son contingent d'initiative et de lumières. Le vieux Lascaris, qui passe pour avoir donné l'idée de cette belle création, fit venir de Venise des jeunes gens destinés à le seconder dans cet apostolat de la science. Parmi les noms des professeurs figurent quatre Italiens pour les chaires d'hébreu, de philosophie et de médecine. Les presses françaises tâchaient de rivaliser avec celles de l'Italie pour la reproduction des classiques, et l'imprimerie de Paris, qu'honoraient les Estienne, les Simon de Coline, les Vascosan, multipliait les grammaires et les monuments des langues hébraïque, grecque et latine.

Léonard de Vinci était mort entre les bras de François I, Raphaël lui envoya plusieurs de ses chefs-d'œuvre. C'est pour le roi chevalier que le Primatice vint déployer à Fontainebleau sa poétique imagination. C'est à son appel que Jean Cousin fonda une école française et opéra la transition de la peinture sur verre à la peinture à l'huile. Ses architectes firent construire ces beaux châteaux de la renaissance qui remplacèrent les vieilles forteresses féodales.

La galanterie française, vive, légère, enjouée, s'était trouvée en contact, au delà des monts, avec la sensualité méridionale, qui fait de l'amour, tantôt une passion furieuse, tantôt une science et un calcul. De là, en France, des conséquences qui se développèrent avec le temps: pour les femmes, des leçons de coquetterie, des modes provocantes et voluptueuses; pour les hommes, les enseignements et les fruits d'un libertinage auquel le souvenir et le nom de l'Italie resteront toujours attachés.

Loin de s'éteindre avec François I, l'influence italienne vint au contraire prendre officiellement possession du trône des Valois. Elle domina la morale publique et privée à partir de la régence de Catherine de Médicis. L'Italienne, comme l'apellent les pamphlets du temps, avait apporté en France le code politique des Borgia, et elle le fit régner avec elle sous ses trois fils, au sein de cette patrie du point d'honneur et des vertus chevaleresques, elle amena à sa suite les maximes d'un pays enrichi par le commerce, civilisé jusqu'à la corruption, où l'empire appartenait à la supériorité de l'intelligence; elle introduisit la fraude et l'hypocrisie. De là une altération profonde dans les mœurs nationales de la France. François I brûlait en public les protestants, Charles IX les égorgeait en les trompant.

Depuis son arrivée en France jusqu'à sa mort (1533 à 1589), Catherine de Médicis eut trop souvent l'occasion de mettre en œuvre la dissimulation. C'est alors qu'elle se souvint des préceptes de Machiavel sur la manière dont les princes doivent tenir leur parole, sur le bon usage de la ruse et de la cruauté, sur le peu de souci qu'ils doivent prendre du reproche de rigueur, quand il s'agit de réduire leurs sujets à l'union et à la fidélité.

Nous verrons ailleurs que, dans le cours du XVIe siècle, l'influence italienne joua aussi un rôle dans la réaction de l'école savante de Ronsard et de Du Bellay contre la littérature de Marot et de son école.

La réforme religieuse reçut sa première

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